Une phrase s’intercale et l’Histoire (dynastique) s’accélère. Selon la version du discours à prononcer par le Grand-Duc à la fête nationale qui a été envoyé en amont aux rédactions, à la phrase « ech gleewen un de Mënsch, u säi fräie Geescht, u seng Capacitéit sech ëmmer erëm nei ze erfannen, un eis jonk Generatioun », devait suivre : « Loosst äis mat Vertrauen an d’Zukunft kucken, mam Wëssen datt mir nëmmen zesumme grouss Saache kënnen erreechen. Dat gëllt fir Lëtzebuerg a fir Europa. » Mais seul le discours prononcé fait foi. Et le souverain a ajouté entre les deux : « An deem Kontext wëll ech, mat der Grande-Duchesse, dem Prënz Guillaume an der Prinzessin Stéphanie, Iech matdeelen, dass ech decidéiert hunn dësen Oktober dem Prënz Guillaume d’Lieutenance ze iwwerdroen. » Personne ne s’y attendait à l’exception du cercle familial et du Premier ministre, Luc Frieden (CSV).
Le souverain a officiellement ouvert la voie à sa succession. En avril, en marge de la visite d’État chez le cousin belge Philippe, le Grand-Duc Henri, 69 ans, avait déjà partagé face à la presse son souhait d’abdiquer au profit de son fils Guillaume, 42 ans. Il avait parlé d’un calendrier dont il connaissait les grandes lignes, mais qu’il réservait pour l’heure au cercle familial. Le voilà donc en partie dévoilé.
« C’est avec tout mon amour et toute ma confiance que je lui souhaite bonne chance », a poursuivi le chef de l’État à l’attention de son futur successeur dimanche. Mais quels pouvoirs délèguera le Grand-Duc Henri au Lieutenant-Représentant Guillaume à l’automne ? L’article 58 de la Constitution applicable depuis juillet dernier indique simplement que le Grand-Duc « peut se faire représenter » par la personne portant le titre de représentant du Grand-Duc. Sur X (ex-Twitter), le conseiller d’État Alex Bodry, qui a participé des années durant à l’élaboration de la nouvelle Constitution s’interroge : « Le régime de la lieutenance n’est pas précisément déterminé. S’agit-il d’un simple mandat de représentation ou d’un véritable transfert d’attributions ? » L’ancien chef de fraction juge ainsi « souhaitable » que soit publié « un mandat de représentation pour assurer la sécurité juridique ». Ce jeudi, la député écologiste et ancienne ministre de la Justice, Sam Tanson, demande au Premier ministre par voie de question parlementaire dans quelle mesure l’arrêté grand-ducal portant institution de la Lieutenance précisera le partage des compétences entre le Grand-Duc Henri et le Prince Guillaume. Interrogée par le Land, la Maison du Grand-Duc n’éclaire pas vraiment sur ce point. Il faut se référer à « l’interview ping-pong » du Grand-Duc face à RTL-Télé (devant des pongistes en action et sur fond de bruit de balles en plastique) pour comprendre qu’ils y réfléchiront cet été à Cabasson. Un point de repère notable sur la frise du règne toutefois : Le Grand-Duc Henri fêtera ses 25 ans de règne l’année prochaine. Le consultant des têtes couronnées, Stéphane Bern, parie dans L’Essentiel sur une transmission après le jubilé, en 2026.
Le Grand-Duc Henri redevient maître des horloges dans un contexte apaisé. Ces dernières années se sont révélées tumultueuses avec des polémiques sur la gestion de la Cour et l’emprise de la Grande-Duchesse Maria Teresa sur la gestion du personnel (et donc des deniers publics). L’ingérence du super-auditeur Jeannot Waringo (nommé par le Premier ministre de l’époque Xavier Bettel, DP) et la réforme de l’institution (en 2020) ont froissé les susceptibilités à Colmar Berg, mais elles ont aussi conféré à l’institution une certaine lisibilité, avec une hiérarchie et des fonctions bien établies. Une nouvelle affaire de mauvais traitement par la Grande Duchesse fin 2022 (d’Land, 9.12.2022) avait laissé croire à un changement précipité sur le trône tant le Grand-Duc associe sa pratique du pouvoir à son épouse. Alors que la Grande-Duchesse n’est pas mentionnée dans la Constitution. Le trublion Xavier Bettel a quitté l’Hôtel Saint-Maximim. Luc Frieden l’y a remplacé en novembre dernier. Le conservateur rend pleinement au monarque sa dimension stabilisatrice. Si bien qu’il renonce au titre de ministre d’État pour éviter toute confusion. Le chef de l’État, c’est le Grand-Duc. Les deux hommes échangent régulièrement et avec une certaine complicité. L’image de sérénité se réinstalle et se prête à une transition en douceur. Sauf accident, il n’y aura pas d’élection d’ici 2026. Mais des événements symboliques d’ampleur pour la monarchie figurent au programme. À commencer par la visite du pape François au Luxembourg le 26 septembre. La première et unique visite sous le règne d’Henri. Vient ensuite le jubilé.
Henri avait hérité de la lieutenance le 3 mars 1998 et pris le officiellement le relais de Jean le 7 octobre 2000. Soit une période de transition comparable pour le Prince Guillaume si l’année 2026 est bien visée. Le temps de diversifier ses compétences après plus de vingt années, déjà, consacrées à la promotion des activités économiques du Grand-Duché. Il préside depuis 2001 (19 ans alors) le Trade and Investment Board. Le site monarchie.lu insiste sur ses liens avec les chambres professionnelles, mais aussi la Fedil, avant d’évoquer son patronage aux Scouts et dans diverses bonnes œuvres. Le Grand-Duc héritier est encore apparu ce lundi à la Chambre de commerce pour la présentation des services « export » de l’institution patronale (en coopération avec les ministères de l’Économie et des Affaires étrangères). Le Vice-Premier ministre l’a ainsi félicité au lendemain de l’annonce du chef de l’État (après avoir félicité la Chambre de commerce pour son nouveau pupitre dans la grande salle du sous-sol). Xavier Bettel l’a remercié pour ses facultés de « door opener » et de « bridge maker ».