Loin d'Hagondange

Diptyque du quotidien

d'Lëtzebuerger Land du 30.11.2000

Loin d'Hagondange a été écrite en 1975, Faire bleu arrive 25 ans plus tard pour lui faire écho. Sur la vie de retraités, avec les trois mêmes comédiens et écrites sur un « canevas » identique, les deux pièces de Jean-Paul Wenzel prennent le ton des époques qu'elles reflètent : grave pour l'une, grotesque pour l'autre.

Dans Loin d'Hagondange - prix de la critique en 1976 -, un couple coule une retraite paisible dans un coin de campagne. Ils passent leurs « vacances » forcées loin d'Hagondange, dans une petite maison. Mais de la chambre à la cuisine - qui fait office de pièce principale - en passant par l'atelier et le jardin, ce couple de « vieux » se languit. L'air pur, le calme et le repos se sont changés très vite en ennui, nostalgie et solitude. Ils regrettent Hagondange, son air (pollué) et son ciel (gris). George tente vainement de rattraper les années en simulant le travail d'antan dans son atelier. Mais le leurre ne fonctionne pas. Désespéré, George - joué par Olivier Perrier, troublant de justesse - se perd dans le présent en essayant de reconstruire le passé.

La pièce décrit une histoire grave du quotidien, sur laquelle l'auteur a posé les mots justes et précis. Les scènes exagérément courtes dépeignent les moments précieux d'une retraite douloureuse : le faux feu de cheminée devant lequel on s'ébahit, les rillettes périmées, le tricot, les vieilles chansons qu'on fredonne et la seule visite d'une représentante en appareils ménagers... 

Tous ces moments, entre lesquels la lumière s'éteint pour laisser place au noir, suffisent à décrire la retraite d'ouvriers des années 1970, au public d'interpréter à sa manière les faits que montre l'auteur et metteur en scène. Sans jugement apparent, celui-ci se fait rapporteur et témoin. 

Un peu moins d'impartialité dans Faire bleu, où la dérision se dessine. En 25 ans, la retraite a changé. On ne la subit plus, on la choisit. Hagondange aussi s'est transformée, le parc d'attractions supplante le complexe sidérurgique, et le bleu des Schtroumfs colore le gris de la région. Le couple de retraités, enfants des précédents, est résolument moderne. Exit le kitsch de la gondole éclairante, voici la télévision, le micro-ondes et le vélo d'appartement au profit de l'éternelle jeunesse et du loisir avant tout. Nos anciens « vieux » reflétaient une époque tournée vers le travail et la retraite de l'inutilité, ceux d'aujourd'hui renvoient à la société de consommation de la génération du loisir et de la retraite salvatrice. 

Heureux donc nos retraités de l'an 2000. Ils dépensent alors que les autres économisaient. Heureux... oui, mais par procuration. L'atelier de George est transformé en home-video, dans lequel notre nouveau retraité visionne des films de science-fiction. Et la dépression de George de Loin d'Hagondange, qui n'est plus rien sans son travail, devient folie et hystérie par peur de la fin du monde. La petitesse de la vie des années 1970 laisse place à la vulgarité et la légèreté de l'époque des cassettes vidéo et des pré-cuisinés.

Jean-Paul Wenzel pose le constat de son étonnement face à l'évolution de sa région natale. Le parc des Schtroumfs reflète le changement de mentalité et de manière de vivre. De la sidérurgie au Schtroumf, est-ce si différent ? Les comédiens ne répondent pas à cette question. Mais si les apparences diffèrent, chacun semble de toute façon subir son époque. 

La vérité du quotidien se lit dans ces deux pièces, qui souffrent cependant d'un manque de profondeur. Si les décors - conçus et réalisés par Napo - excellent par leur possibilité de montrer la salle principale et le privé - chambre par effets de tulles - de façon admirable, qu'est-ce qui bloque dans ces deux pièces pour donner un sentiment de platitude ? Une mise en scène peut-être trop « à-peu-près »... Ou serait-ce les années : d'autres pièces réalistes ont démodé Loin d'Hagondange... Mais que dire alors de Faire bleu, qui date de 1998 ? 

Voir aussi notre entretien page 25

 

Léa-Sarah Polacci
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