Le projet STADePARC mené par le bureau d’architectes « 2001 » a remporté le concours d’idées pour le quartier qui sera développé le long de la route d’Arlon à Luxembourg. Rencontre avec ses deux associés

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d'Lëtzebuerger Land vom 17.12.2021

Environ dix hectares de terrains appartenant à 83 pour cent à la Ville de Luxembourg vont progressivement être libérés avec le déménagement des services d’incendie et de secours, du stade Josy Barthel et du service d’hygiène. Une chance rare de créer un nouveau quartier d’habitations proche du centre-ville pour lequel un concours d’idées a été organisé. Le bureau « 2001 » (Luxembourg) , en collaboration avec HHF (Suisse), Agenceter (France), Cabane (Suisse), Sytematica (Italie) et Transsolar (Allemagne) sortent vainqueur d’une compétition où 35 dossiers avait été déposés.

d’Land : L’appel à concours d’idées a été lancé en mai 2019. Qu’est-ce qui vous a décidé à participer ?

Philippe Nathan : Il y a rarement des concours d’idées ouverts au Luxembourg. Dans le cas présent, la demande initiale était totalement libre et ouverte, sans programme, sans restriction. Cela permettait d’être très proactif et critique et d’oser tester des propositions audacieuses. On n’a pas hésité. Même si la procédure n’était pas rémunérée.

Sergio Carvalho : La composition du jury était aussi intéressante et diversifiée avec des experts internationaux, des responsables de divers services de la Ville et des représentants politiques.

Quelle a été votre première idée ? Le premier jet ?

S. C. : Le point initial, qui ne nous a pas quitté dans toutes les étapes, était de garder le stade ou en tout cas son emprise.

P. N. : La zone comprend déjà des espaces assez forts, avec les infrastructures autour. En gardant en tête qu’il fallait offrir beaucoup de logements et construire massivement, avec une proposition dense, on a essayé des dizaines d’options pour construire autour, au-dessus, dedans. Mais toujours en gardant cet espace.

S. C. : On a par exemple pensé à des bâtiments-ponts qui laissaient le stade au rez-de-chaussée, avec des logements par au-dessus. Cela offrait une certaine densité de logement, mais une belle qualité avec l’environnement vert du stade.

Le processus du concours a été long, en plusieurs étapes. Que vous ont apporté les remarques du jury ?

P. N. : Il y a eu plusieurs rendez-vous et le dialogue était très intéressant. L’échange se passe dans les deux sens : un jury apprend aussi d’un projet en fonction des explications, des différentes étapes. Avec l’avancement du projet, le jury a beaucoup insisté sur l’importance d’avoir un tissu cohérent, avec des espaces publics fluides, des liens entre les différentes zones. Ils ont demandé que le plan soit structuré par ça. C’est l’aspect sur lequel ils nous ont le plus poussé à retravailler, à aller plus loin.

S. C. : À chaque fois qu’il y a eu des échanges avec le jury, on a adapté le projet, tout en gardant les constantes sur lesquelles nous ne voulions pas transiger. Je pense que notre flexibilité a été appréciée. Les idées qui sont sur nos plans vont encore évoluer, mais le cadre est maintenant très fort et solide. Le travail du jury a été très sérieusement mené pour dépasser les questions de goût, et écouter les arguments structurels. Du côté des services de la Ville, il y a eu aussi un très gros travail : toutes les données étaient passées au crible, tout était vérifié quant à la faisabilité des propositions.

La volonté de la Ville est de créer un quartier de logements (Wunnquartier) avec une mixité sociale. Comment avez-vous envisagé cela ?

P. N. : La capacité du quartier n’était pas définie. On s’est donc d’abord demandé combien de personnes pourraient y vivre. De manière assez basique, on a regardé combien d’Unités d’habitations – ces immeubles pensés par Le Corbusier que l’on voit encore à Marseille ou à Briey – entraient dans le périmètre. On a testé aussi avec l’ensemble Climat de France construit à Alger dans les années 1950 par Fernand Pouillon ou un bâtiment de Genève. C’est un exercice qui nous donne une idée, une hypothèse de travail. On a ainsi calculé que 2 000 personnes pourraient habiter ce quartier.

Vous avez imaginé des typologies d’habitats différents et des quartiers dans le quartier...

P. N. : Notre projet initial est basé sur un parc central avec une construction périphérique, avec les terrasses au-dessus, une zone de maisons mitoyennes et une zone de tours. C’était ce que nous avons appelé des « climats ». Ces quatre climats sont liés entre eux par une ossature délimitée par des espaces publics. À la suite des remarques du jury, on a gardé l’idée de zones, mais on a ajouté une trame qui les associe. Ainsi, l’ancienne rue du Stade est transformée en ce que les paysagistes ont appelé une rambla, parce qu’elle est descendante. Ce sera une rue intérieure, bordée de pins, reliée à la route d’Arlon, réservée aux piétons et cyclistes. Un tracé perpendiculaire à la rambla traverse tout le site d’est en ouest, et devient une promenade, comme le long d’un quai ou d’une digue. Orientée au sud, ouverte vers le parc, elle est idéale pour être occupée par des restaurants et bars avec des terrasses. Le rebord du plateau, vers le nord, est un espace invitant à la promenade, avec une montée depuis le Rollingergrund. La zone boisée sera prolongée dans le quartier, comme une forêt habitée. Au nord-est, que nous avons appelé le Belvédère, est moins dense, avec des îlots profilés pour suivre la pente et avec des vues sur la ville et le Kirchberg, qui lui donnent son nom. Cet espace est aussi ouvert au public, piétons et vélos, en lien avec le voisinage. Ce squelette constitue un élément invariable qui est le garant de la cohésion spatiale.

S. C. : Nous avons alors considéré un maillage qui définit des espaces, des ambiances spécifiques, on peut dire, des îlots qui correspondent à cette volonté de mixité et diversité. Ce sont des entités paysagères et urbaines qui structurent le futur quartier. Il n’était pas souhaitable de créer le même type d’îlot partout. On a essayé dans nos tests, mais ça ne fonctionne pas. Après, au sein de chaque îlot, selon leur orientation et leur contexte, il y a différentes affectations et différents types d’habitat, plus ou moins denses, plus ou moins hauts. L’idée est aussi de rassembler différentes fonctions collectives au sein d’un îlot : le local pour les poubelles, celui pour les vélos, des espaces de travail. Cela donne des lieux de cohésion, où les gens ont des intérêts partagés et où ils échangent.

P. N. : On peut aller plus loin dans cette économie du partage et penser par exemple à des chambres que les habitants peuvent louer quand ils ont de la visite, ce qui permet de ne pas à avoir des besoin de chambres supplémentaires tout le temps.

Avec 2 000 habitants, cela suppose certaines infrastructures collectives. Écoles et crèches sont-elles prévues ?

P. N. : Une école internationale est prévue à l’entrée du site et deux crèches de part et d’autre pour être au plus près des habitants, notamment pour ceux qui sans doute travailleront à la maison ou qui occuperaient des espaces dédiés au télétravail.

S. C. : La question est aussi de mutualiser les équipements pour qu’ils puissent profiter aux habitants, comme le hall de sport de l’école par exemple ou la plaine de jeux des crèches.

Le front de rue, le long de la route d’Arlon, est ce qui est le plus visible pour les voisins et passants. Comment le transformez vous ?

S.C. : Notre volonté était de trancher par rapport au principe d’alignement frontal qui est à l’œuvre aujourd’hui dans les constructions, jusqu’à l’entrée de l’autoroute et au-delà. Il s’agit donc d’ouvrir vers la route et les rues voisines pour inviter à entrer dans le quartier. Ainsi, il y aura une place publique, avec sans doute la construction la plus haute et la plus emblématique.

P. N. : L’idée est que la route d’Arlon devienne une avenue. C’est quelque chose qu’on a du mal à faire au Luxembourg. On le voit au Kirchberg, il ne suffit pas de mettre des arbres. Alors, ici, on déplace le front bâti qui sera plus accentué de l’autre côté de la route. Automatiquement, le regard se tourne vers le nouveau quartier. De manière un peu anecdotique, on s’est inspiré des parcs de la ville avec ses villas aux fonctions établies (culte, social, santé, culture : Croix rouge, Fondation Pescatore, Villa Louvigny, Villa Vauban, Synagogue…) qui ont été construites sur les ruines de la forteresse. Cela représente une espèce de tampon qui protège en quelque sorte le centre. C’est une interface forte. On a repris cette idée : le parc débordera du stade pour englober les tribunes jusqu’à la route d’Arlon et comptera quatre « villa ». Leur fonction est à définir, mais l’idée est d’y mettre des logements assez spécifiques, par exemple intergénérationels avec des rez-de-chaussée urbains, activés, par exemple un hall de marché.

Qu’en est-il de la place de la voiture ?

S. C. : Il n’y a qu’une seule route carrossable qui dessert le site en partant de la route d’Arlon, passant le long de la caserne et rejoignant le Boulevard Napoléon, en bordure nord du site. Derrière la caserne, un parking semi-enterré sera accessible pour tout le quartier. Il exploite la différence topographique existante sans avoir vraiment besoin de creuser. Cet accès favorise une circulation presque périphérique qui évite la pénétration des voitures dans le quartier, sauf bien sûr les véhicules de sécurité ou d’hygiène. Cela suppose des trajets à pied dans le quartier.

P. N. : Pour le parking actuel, en face, on a une approche très opportuniste : gardons le parking pour l’instant. Dans dix ans, on saura plus et mieux où en est la mobilité et de quoi elle sera faite : le tram, des voitures automatiques, électriques, les vélos… À ce moment on pourra réagir. S’il fallait démolir et reconstruire, on peut envisager une forme hybride avec des parkings et des logements où la trame des parkings est dimensionnée pour pouvoir être transformée en logements. C’est un système qui a été mis en œuvre à l’université de Paris-Saclay dans un bâtiment qui se distingue par la réversibilité du parking en logements.

Outre les remarques du jury, les citoyens ont été appelés à donner leur avis. En avez-vous tenu compte ?

P. N. : Lors de l’exposition des projets, il y avait des formulaires que les gens pouvaient remplir avec leurs remarques. On nous a transmis tout ce feedback. Il faut dire que ces suggestions allaient un peu dans tous les sens, pour demander tout et son contraire. Certains veulent plus de parkings et d’autres veulent moins de voitures. Cela montre que la concertation et le débat sur le devenir de la ville, sur la création de quartiers ou sur l’espace public ne peut pas être juste un alibi. Une consultation citoyenne, ça s’encadre, ça s’organise. Il faut des médiateurs qui expliquent les plans, les coupes, les enjeux. Il faut développer une culture de ce que c’est que de construire une ville ensemble. C’est pour cela que nous voulons instaurer une maison du projet qui pourrait s’installer très vite dans la caserne.

La présentation de votre projet a justement eu lieu dans le grand hall de la caserne. Que représente cet endroit pour vous ?

P. N. Les anciennes écuries sont classées, mais la caserne ne l’est pas. Dès le début du projet, on a estimé qu’il fallait la garder pour en un faire un espace de cultures urbaines. Il n’y a pas besoin de grand-chose pour la transformer en un lieu attractif : un bar, une machine à café, une pompe à bière, à la manière de ce qui se faisait à l’Exit à Hollerich… Il faudra sans doute travailler l’acoustique, mais l’endroit pourrait être exploité facilement et rapidement, pour devenir, bien avant les travaux du site, un espace de dialogue et d’échange sur l’avenir du quartier. Ce serait un cadre convivial où on pourra montrer le projet et le discuter avec les voisins ou les futurs habitants… Il nous importe de débattre, de présenter notre trame et d’entendre les remarques pour faire évoluer certains aspects du projet. C’est là que le débat citoyen peut se développer.

Vous vous êtes adjoints les services de plusieurs bureaux d’experts sur des aspects spécifiques. C’est devenu indispensable sur ce genre de projet ?

P. N. : Nous sommes des généralistes et nous avons fait appel à des spécialistes pour travailler sur certains points. C’est incontournable, car ces aspects ont des conséquences sur l’ensemble. Ces bureaux ont pu nous aider à différentes échelles. Nous avons instauré des workshops avec tous où chacun pouvait s’exprimer sur ce qui allait être bénéfique pour le quartier, que ce soit en termes de mobilité, d’énergie, de paysage...

S. C. : Pour l’énergie par exemple, il sera de plus en plus fondamental à l’avenir de pouvoir ventiler les appartements pour les rafraîchir. Cela implique d’envisager des appartements traversants, donc des immeubles pas trop profonds. Pour la mobilité, on peut penser à des voitures partagées par îlot…

P. N. : L’apport de Philippe Cabane comme programmiste a été très intéressant, parce qu’il est aussi sociologue urbain. Avec lui, on a travaillé sur les populations futures, leurs désirs, leurs besoins, la manière d’y répondre, dans une approche plus philosophique. Notre bureau partenaire suisse, HHF, a dix ans d’expérience de plus que nous et pratique l’urbanisme en France et en Suisse. Ils voient différentes cultures et connaissent les logiques économiques par rapport aux investisseurs. C’est une des raisons pour lesquelles nous n’avons pas de très grands bâtiments. On sait que nos fonds, SNHBM ou Fonds du logement arrivent à opérer dans ces dimensions.

Quelles vont être les prochaines étapes ?

P.N. : Les différents services nationaux et communaux (Ponts et Chaussées, Luxtram, services d’hygiène, des sports, voirie…) vont passer au crible le projet. Il y a des intérêts variés et parfois contradictoires. On va retravailler avec les services de la Ville pour répondre à certains aspects. Nous voulons faire en sorte d’avoir un plan-guide solide d’ici 24 mois pour élaborer les phasages en fonction de la libération des différentes zones. Ainsi, on nous parle de huit ans avant que le service d’hygiène soit libéré, mais d’autres zones iront plus vite. Ensuite viendront différents PAP (plans d’aménagement particuliers). Il y a beaucoup d’étapes qui dépendront de la volonté politique. Dix ans avant de voir des résultats semble un minimum.

France Clarinval
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