Transport aérien : il n’y a pas que les contraintes environnementales

Turbulences dans le ciel

d'Lëtzebuerger Land du 09.08.2019

La jeune Greta Thunberg, qu’on ne présente plus, a annoncé fin juillet qu’elle rejoindrait New-York, pour assister au Sommet mondial sur le climat en septembre, à bord d’un voilier ! Le voyage, prévu mi-août, prendra de 10 à 15 jours au minimum en partant du Royaume-uni. L’hiver dernier elle avait effectué un périple de 32 heures de train pour se rendre de Stockholm au Forum économique mondial de Davos en Suisse. L’adolescente suédoise est devenue, entre autres, l’emblème du « flygskam » ou « honte de prendre l’avion » qui conduit de plus en plus de gens à préférer la voiture, l’autocar et surtout le train pour limiter l’impact environnemental de leurs déplacements. Une tendance qui n’a pas eu encore d’effet notable sur le transport aérien en dehors de la Suède (lire encadré) mais qui commence à inquiéter, dans une activité déjà agitée par de nombreuses turbulences.

A une époque où les préoccupations écologiques deviennent de plus en plus aigües, l’empreinte carbone du transport aérien fait de lui une cible facile. Il y a de quoi : sur un trajet d’environ 1500 km à vol d’oiseau, le passager d’un avion laisse une empreinte dix fois supérieure à celle qu’il aurait créée en prenant le train. Elle serait aussi 3,6 fois inférieure à bord d’un autocar et 43 pour cent moindre dans une voiture de quatre personnes. Comme il y a en moyenne quelque 100 000 vols par jour sur la planète, un chiffre qui peut doubler les jours de départs en vacances, cela représente selon les ONG de 2 à 5 pour cent des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Ce ne sont pas seulement les vols eux-mêmes qui sont concernés. Bertrand Piccard, créateur de l’avion à énergie solaire Solar Impulse, a révélé que sur les deux aéroports parisiens, le simple roulage des avions sur le tarmac émettait autant de CO2 que les véhicules roulant sur le boulevard périphérique de la capitale française.

Bien que le transport aérien ne soit toujours pas taxé au niveau mondial pour diminuer ses émissions de carbone et soit resté en dehors de l’Accord de Paris en 2015, des initiatives se sont multipliées pour tenter de les réduire par la contrainte matérielle ou financière. Ainsi en France, où deux députés ont proposé d’interdire les liaisons aériennes domestiques là où le train offre une alternative acceptable, le gouvernement mettra en place en 2020 une « écotaxe » de 1,5 à 18 euros sur tous les billets d’avion au départ de la France.

Bien évidemment les professionnels de l’aérien sont vent debout contre la mesure, qui pourrait faire tache d’huile. Selon l’association Airlines for Europe (A4E), ses membres, une quinzaine de compagnies affirmant représenter plus de 70 pour cent du trafic européen, vont déjà devoir s’acquitter en 2019 de plus de 5 milliards d’euros de taxes diverses. Pour Michael O’Leary, PDG de Ryanair, chacun de ses passagers paie 4 euros de taxes environnementales par trajet, soit 10 pour cent du prix moyen. Le patron d’Air France, Ben Smith estime de son côté que « nous taxer, c’est nous empêcher d’investir davantage dans une flotte respectueuse de l’environnement ». Egalement très remonté, le président du syndicat des pilotes français a tenu à rappeler les efforts effectués par le secteur aérien : division par cinq en 50 ans de la consommation de carburant par passager, baisse de 25 pour cent en 20 ans des émissions de CO2 par passager, avions actuels dont la consommation se situe entre 2 et 3 litres aux 100 km par personne, soit celle d’une voiture hybride. Les compagnies se sont par ailleurs engagées à plafonner dès 2020 la croissance des émissions nettes de carbone, et à parvenir d’ici à 2050, à une réduction de moitié de l’empreinte carbone par rapport au niveau de 2005.

Les contraintes environnementales existent à un autre niveau, celui des infrastructures aéroportuaires. En France l’abandon en 2018 du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes près de Nantes, qui remontait pourtant aux années 60 et avait bénéficié d’un large consensus, a mis en évidence la difficulté de construire de nouvelles plates-formes rendues nécessaires par l’augmentation du trafic aérien et par la congestion des principaux aéroports. Mais les nuisances sonores et de qualité de l’air dans des zones d’habitation densifiées où se situent les aéroports actuels compliquent leur agrandissement ou l’augmentation de la fréquence d’utilisation des pistes. Les lobbys écologistes sont très fortement mobilisés pour y faire échec, comme actuellement à Roissy et à Heathrow, dont l’extension controversée a fait l’objet d’une plainte déposée le 11 mars par le maire de Londres Sadiq Khan, plusieurs arrondissements de la capitale et l’ONG Greenpeace.

Sous l’angle réglementaire, les compagnies aériennes s’inquiètent aussi de la tendance à mieux protéger les droits des passagers. Au niveau mondial c’est la convention de Montréal (1999) qui fixe les règles d’indemnisation entre les 120 pays qui l’ont ratifiée. En Europe on s’appuie surtout le règlement de 2004 « établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol ». Et le 11 juillet dernier, la Cour de justice de l’U.E a encore étendu la protection accordée aux voyageurs aériens : elle concerne désormais tous les vols quittant l’U.E qui ont la même référence de réservation et s’applique en cas de retard. Même si le retard est dû à une autre compagnie prise en correspondance, chaque passager lésé doit se voir proposer un autre moyen de transport et peut prétendre à une indemnisation d’un montant maximal de 600 euros, selon l’importance du retard final. Pour AirHelp, une société spécialisée dans la récupération d’indemnités de dédommagement en Europe « cette décision est un changement significatif en termes de droits des passagers aériens dans toute l’Europe car pour la première fois, une compagnie peut être tenue responsable des erreurs d’une autre et dans l’obligation d’indemniser ». AirHelp craint toutefois que «de nombreuses compagnies s’opposent à cette décision, comme c’est généralement le cas lorsque les droits de leurs clients sont renforcés ». 

Indépendamment de ces contraintes, qui sont parties pour durer, le transport aérien vit en 2019 une véritable « annus horribilis ».

En mars, le crash d’un avion d’Ethiopian Airlines, survenu dans les mêmes circonstances que celui, moins de cinq mois plus tôt, d’un appareil de la compagnie indonésienne Lion Air (au total 338 victimes) a provoqué l’interdiction totale de vol de l’appareil incriminé, le Boeing 737 Max, un cas d’une ampleur sans précédent. Depuis cette date, de nombreuses compagnies qui avaient espéré un retour à la normale cet été pour faire face au pic de trafic saisonnier sont privées d’une partie de leur flotte. Les compagnies low cost, qui pèsent entre 20 et 30 pour cent du marché selon les critères et utilisent beaucoup ce modèle d’avion, sont les plus impactées aux Etats-Unis comme en Europe. Ainsi Norwegian en exploite dix-huit et l’Allemande TUI en compte quinze.

Des circonstances propres à affaiblir davantage ces compagnies déjà fragilisées par d’autres problèmes liés à leurs business models et à la conjoncture. Norwegian, qui a perdu environ 410 millions d’euros en 2018, a dû procéder à une augmentation de capital de plus de 300 millions d’euros début 2019, et lancer un plan de restructuration. Son patron et co-fondateur a démissionné le 11 juillet. Ce même mois Ryanair a annoncé la suppression « inévitable » d’environ 900 emplois (dont 400 pilotes) sur un total de 13 000 salariés en invoquant de mauvais résultats financiers : son bénéfice trimestriel a accusé une baisse de 21 pour cent, à cause de la hausse du prix du kérosène, de la concurrence sur les prix mais aussi de hausses de coûts de personnel, car le groupe a connu en 2018 un mouvement social et des grèves concernant les conditions de travail. Pour enfoncer le clou, la Commission européenne l’a condamnée le 2 août à restituer à la France 8,5 millions d’euros, soit les sommes perçues entre 2010 et 2017, officiellement pour assurer la promotion de Montpellier et de sa région sur son site Internet, en réalité pour assurer le maintien de la présence de Ryanair sur l’aéroport de cette ville. L’exécutif européen a considéré que ces aides étaient illégales, en donnant à la compagnie irlandaise un avantage « déloyal et sélectif » sur ses concurrents et en portant préjudice à d’autres régions.

Mais les choses peuvent tourner encore plus mal. A la surprise générale la compagnie islandaise WOW Air annonçait sa faillite le 28 mars, portant un rude coup au tourisme sur l’île, qui en est très dépendante (le Land du 14 juin). Six mois auparavant, une autre low-cost long-courrier, la danoise Primera Air, avait mis la clé sous la porte.

Les chiffres de l’IATA

Selon les données de l’Association internationale du transport aérien (IATA) publiées début août, 4,4 milliards de passagers ont pris l’avion en 2018 sur des vols réguliers, soit une hausse de près de 7 pour cent en un an. Deux facteurs favorables à cette évolution : le coût réel du transport aérien a été réduit de plus de moitié au cours des vingt dernières années (pour avoisiner 0,78 USD par tonne-kilomètre payante) et l’offre s’est enrichie avec 22.000 villes aujourd’hui reliées par des liaisons directes, soit deux fois plus qu’en 1998. Pas toujours pour de bonnes raisons : en Afrique du sud c’est la disparition du transport ferroviaire interurbain qui a créé 30 millions de passagers aériens internes supplémentaires.

Mesurée en sièges-kilomètres offerts, la capacité des compagnies low cost (LCC selon le sigle anglais) a augmenté en 2018 deux fois plus vite que la moyenne. Elles représentent désormais 21 pour cent du total mondial contre 11 pour cent en 2004. Si on considère les seuls sièges offerts, leur part de marché est de 29 pour cent et une cinquantaine des 290 compagnies aériennes actuellement membres de l’IATA disent « appartenir à la catégorie des LCC ou suivre un modèle d’affaires nouveau ».

Contrairement à une idée répandue les Allemands ne sont pas les principaux voyageurs sur les routes internationales : avec 94,3 millions de passagers (6,4 pour cent du total) ils arrivent nettement derrière les Britanniques (126,2 millions, soit 8,6 pour cent), les Américains (111,5 millions ou 7,6 pour cent) et même les Chinois (97 millions ou 6,6 pour cent), mais cependant loin devant les Français (59,8 millions, soit 4,1 pour cent).

Georges Canto
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