C’est ce genre de spectacle qui laisse sans voix. Même au foyer, rien ne fuite, pas un murmure, pas une remarque se fait entendre hors de la salle… C’est étrange. Et pourtant, les applaudissements ont été fournis, les rappels nombreux. C’est ça que laisse derrière lui un spectacle sans faille, qui offre dans la forme comme dans le fond une vision précise d’une thématique douloureuse. Le silence est l’adage d’un bouleversement, Hors la loi sonne une vive émotion dans les cœurs et par les récits du passé tente – on le présume – de faire avancer les débats actuels.
Nous sommes à l’été 1971, une jeune fille de 15 ans, élevée par sa mère seule (Coraly Zahonero, magnifique en mère courage, autant que quand elle tient le rôle de Delphine Seyrig) et entourée de sa jeune sœur Martine (Salomé Benchimol, cumulant trois personnages avec brio), est victime d’un viol. Dans une époque où l’on excusait encore les coupables trop facilement. De ce viol, une grossesse, un avortement, et vlan, la jeune Marie-Claire Chevalier (Claire de La Rüe du Can, exemplaire dans ce rôle) se retrouve hors la loi, coupable d’un crime selon une loi « moyenâgeuse ». Tout débute dans un cadre familial modeste mais heureux. Marie-Claire n’a pas de vrais problèmes, elle a juste 15 ans et commence à s’intéresser à la vie hors de l’imaginaire d’un enfant. Du Hula Hoop en ouverture de pièce, elle devient criminelle, arrêtée par la police avec sa mère et les « complices » de l’IVG clandestine.
S’en suit un texte au vitriol, aux mots choisis et aux tirades puissantes, déboulonnant une société française pleine d’archaïsmes, forgée sur des dogmes patriarcaux. Et cette problématique, celle d’une tradition qui enterre le progrès, on la connaît encore trop de nos jours. De fait, Hors la loi s’impose comme indispensable dans le paysage théâtral contemporain.
Gisèle Halimi, avocate de renom, signataire du manifeste des 343 – tribune parue dans Le Nouvel Observateur et signée par 343 Françaises ayant connu un avortement –, offre à Marie-Claire et sa mère Michèle, une opportunité de lutter contre une loi hors du temps, mais surtout pour la liberté et le droit des femmes à disposer de leur corps et intrinsèquement de leur esprit, « on n’est pas totalement idiote quand même », dira d’ailleurs Madame Duboucheix (Danièle Lebrun qui fait aussi une excellente Simone de Beauvoir), aux étroits d’esprits orchestrant les débats à l’audience.
Hors la loi parle d’un acte de bravoure qui aura changé l’histoire des femmes. Et par la figure juvénile de Marie-Claire, au cœur du procès, Pauline Bureau écrit une pièce historique qui se joue avec ferveur et hargne, à la force du devoir de mémoire. Car comme le rappelle l’auteure et metteure en scène de la pièce, ce sont 5 000 femmes qui mourraient chaque année dans la funeste période où l’avortement était interdit.
Après l’exposition des faits tragiques, de l’agression sexuelle, à la convalescence de l’adolescente suite aux complications de l’avortement « maison », se déroule alors, un absurde débat au tribunal. Là, Gisèle Halami (Françoise Gillard, si convaincante de militantisme), défenseure de Marie-Claire, des autres dans le box des accusées, et de la cause féminine, décide de « tout dire ». Et si le procès devient vite politique, pour être celui d’une loi liberticide, c’est aussi celui d’un système qui offre aux hommes, l’avantage d’être des hommes, « croyez-vous que l’injustice fondamentale et intolérable n’est pas déjà là ? Ces quatre femmes devant ces quatre hommes », dira Halami.
Soutenant le courage de quatre femmes, ayant mis leur vie au service d’une cause, s’alignent à la barre des témoins prestigieux, tels que Jacques Monod (Prix Nobel de médecine), Michel Rocard (homme politique, député à l’époque), Delphine Seyrig (comédienne) ou Simone de Beauvoir, tous défendant, outre les droits des femmes incriminées, ceux de toutes les femmes.
Et chez Bureau c’est d’une majesté incroyable. Le verdict – même s’il est connu – s’entend avec un grand frisson, et au final, sont projetés les images d’avant, celles des manifestations de l’époque, rassemblant tant de femmes qui se seront battues, pour qu’après ce « Procès de Bobigny », vienne enfin une décision, la loi Veil de 1975, pour la dépénalisation de l’avortement et l’autorisation de l’IVG.
Marie-Claire Chevalier, dressée en symbole à ses 16 ans, a la soixantaine aujourd’hui. À l’aube de son adolescence, elle a tout pris dans la figure. Sexualité, violence, cruauté, grossesse, inégalité des sexes, les « gamines » de l’époque ingéraient tout ça, comme on fait passer une pilule dans sa gorge, en buvant un grand verre d’eau. Enfin, si Pauline Bureau associe dans son Hors la loi théâtre et faits de société, c’est évidemment qu’il y a encore une utilité sociale à faire, dire et montrer au théâtre, pour que le monde s’en trouve meilleur à chaque rideau levé.