Oui, non, oui, non... La Roumanie entretient le suspense sur sa position face au déménagement de la capitale israélienne de Tel-Aviv à Jérusalem. Le 6 décembre 2017, le président américain Donald Trump a reconnu officiellement Jérusalem comme capitale de l’État hébreu. C’était sans compter l’opposition massive de 128 États lors de l’assemblée générale de l’Onu, qui s’est tenue le 21 décembre. Sur les 35 pays qui se sont abstenus, on compte quatre pays européens : Roumanie, Pologne, Hongrie et République tchèque. Le consensus souhaité à Bruxelles pour afficher une vision commune sur les affaires étrangères n’a pas eu lieu. Une fois de plus, entre le marteau américain et l’enclume de l’Europe de l’Ouest, les pays de l’Europe centrale et orientale ont montré leur préférence américaine.
Au lendemain du vote à l’Onu, le chef de l’Assemblée des députés de Bucarest, le social-démocrate Liviu Dragnea, a tranché la question en faveur d’Israël. « Toutes les institutions centrales israéliennes sont à Jérusalem, a-t-il déclaré le 22 décembre. Les ambassadeurs ainsi que le personnel des ambassades sont donc obligés de faire la navette entre Tel-Aviv et Jérusalem. Si nous avions déménagé la capitale roumaine de Bucarest dans une autre ville, toutes les ambassades auraient suivi. » Le 25 décembre, la radio publique israélienne laissait entendre que la Roumanie s’apprêtait à transférer son ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem.
Le ralliement des pays de l’Europe centrale et orientale à la décision des États-Unis a provoqué l’ire du monde arabe. Le 6 janvier, une délégation ministérielle arabe s’est rendue à Amman, en Jordanie, pour trouver une solution à la question de Jérusalem. Les ministres des Affaires étrangères égyptien, saoudien, palestinien, marocain et émirati se sont mis d’accord pour réaffirmer la non validité de la décision américaine. « Nous voulons obtenir la reconnaissance d’un État palestinien avec Jérusalem-Est pour capitale dans les frontières de juin 1967 », a déclaré Ahmed Abou Gheit, le secrétaire général de la Ligue arabe. Le 22 janvier, le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas se rendra à Bruxelles pour tenter d’obtenir un consensus européen sur la question de Jérusalem. Le 11 décembre, le Premier ministre israélien avait tenté d’obtenir celui-ci à l’occasion d’une rencontre avec Federica Mogherini, cheffe de la politique étrangère de l’Union européenne (UE). Sans succès.
Néanmoins, malgré les efforts de la Commission européenne pour promouvoir une vision commune en matière de politique étrangère, les opinions au sujet de Jérusalem ne font pas l’unanimité. L’Europe centrale et orientale affirme une fois de plus son penchant atlantiste. La Roumanie et la Pologne comptent sur les États-Unis pour assurer leur sécurité face à une Russie expansionniste et se rallient souvent aux positions de Washington. La Roumanie possède quatre bases militaires américaines et un bouclier antimissile qui irritent Moscou. Cerise sur le gâteau, le pays de Dracula accueille aussi Humint, un centre d’espionnage militaire consacrée à la formation des futurs espions de l’Otan. À l’instar de la Pologne et suite à une histoire mouvementée avec la Russie, la Roumanie compte sur sa relation atlantique pour assurer sa défense.
Toutefois la question de Jérusalem ne fait pas l’unanimité à Bucarest. La cohabitation entre un gouvernement social-démocrate et un président libéral autorise les nuances. Le 5 janvier, le chef de l’État d’origine allemande Klaus Iohannis a mis fin aux rumeurs concernant le déménagement de l’ambassade de Roumanie de Tel-Aviv à Jérusalem. « Pour l’instant, la Roumanie n’a pas l’intention de déménager son ambassade à Jérusalem, lit-on dans un communiqué de la présidence roumaine rendu public le 5 janvier. La Roumanie continue à soutenir la solution de deux États pour le règlement du conflit israélo-palestinien en respectant la résolution de l’Onu au sujet du statut de Jérusalem. » Une décision aussitôt saluée par Fuad Kokaly, l’ambassadeur palestinien à Bucarest. « La Roumanie prouve une fois de plus qu’elle respecte les principes du droit international », a-t-il déclaré.
En réalité Bucarest joue sur les deux fronts en tentant de ménager les sensibilités israéliennes et celles du monde arabe. Cette politique remonte à l’époque communiste lorsque le dictateur Nicolae Ceausescu ménageait lui aussi les deux camps. La Roumanie est le seul pays du bloc communiste qui a entretenu des relations diplomatiques avec Israël malgré l’opposition de Moscou. Avant la Deuxième Guerre mondiale, la Roumanie comptait plus de 750 000 Juifs, dont la majorité ont émigré en Israël après la création de l’État hébreu en 1948. Une bonne partie d’entre eux, devenus hommes d’affaires, sont revenus en Roumanie après la chute du régime communiste. En même temps, dans les années 1970-1980, la Roumanie a accueilli plus d’un demi-million de jeunes Arabes venus faire leurs études supérieures dans les universités roumaines. La Roumanie a ainsi tissé des relations fortes aussi bien avec l’État hébreu qu’avec les pays du monde arabe. Aujourd’hui encore, sur la question de Jérusalem, Bucarest s’efforce de concilier les deux camps.