À cinq heures du matin Laura quitte le lit où dorment encore son mari et son fils Adrian, âgé de douze ans. Dans un autre lit, plus petit, l’aîné, Roméo, quinze ans, s’agite dans son sommeil. La nuit a été bonne car il n’a pas plu. Dans la pièce de dix mètres carrés où s’entasse la famille Duduveica, il y a des infiltrations au plafond au-dessus du grand lit. Quand il pleut, il faut mettre une bassine et ils s’endorment avec la musique que font les gouttes d’eau. Le jour va bientôt se lever à Barbuleşti, village situé au sud-est de la Roumanie. Ses 7 000 habitants sont tous Roms, et la moitié d’entre eux ont fait des allers-retours en Europe de l’Ouest.
En 2010, les Duduveica étaient partis en France à la recherche d’une vie meilleure, mais en 2013 ils avaient été expulsés. « On nous avait offert un troupeau de moutons pour rester en Roumanie, se souvient Laura. Mais les Roms n’ont pas de pâturages comme les Roumains de souche. Nous n’avons rien hérité de nos ancêtres qui étaient des esclaves. Alors nous avons mangé les moutons et nous sommes repartis en France. En 2015 on nous a de nouveau expulsés. Mais que pouvons-nous faire en Roumanie ? Il n’y a pas de travail pour nous. On va peut-être repartir, mais je crois que la prochaine fois on va tenter d’aller en Allemagne. »
Malgré les nombreuses institutions publiques et associations qui s’occupent des Roms en Roumanie et en Bulgarie, rien de sérieux n’y a été fait pour leur intégration. La Roumanie possède la plus forte communauté de Roms en Europe, environ deux millions sur les dix millions qui vivent actuellement dans les pays de l’Union européenne (UE). La Bulgarie compte environ 750 000 Roms, soit 9,5 pour cent de la population. Intégrées dans l’UE en 2007, la Roumanie et la Bulgarie s’étaient engagées à aider les communautés roms, marginalisées, à mieux trouver leur place. La Commission européenne s’était engagée elle aussi à participer à l’effort financier pour aider ces deux pays à fixer la communauté rom sur leur sol. Les budgets du Fonds social européen (FSE), chiffrés en milliards d’euros, avaient été destinés en priorité aux programmes d’intégration des Roms.
La famille Duduveica n’a entendu parler de ces fameux fonds qu’à la télévision. « Quel argent ?, s’exclame Viorel Duduveica, le père de famille. Nous n’avons pas reçu un sous de l’Union européenne. » En raison de leurs problèmes politiques, la Roumanie et la Bulgarie ont accumulé du retard dans la gestion des fonds européens destinés aux Roms.
Sur le budget européen 2007-2013 la Roumanie a bénéficié d’un montant de 32 milliards d’euros de fonds non-remboursables, dont 3,7 milliards octroyés par le Fonds social européen, avec comme principal objectif d’intégrer les Roms. En l’absence de projets, Bucarest n’a dépensé qu’environ vingt pour cent de ces fonds. Pire, sur le budget 2014-2020 la Roumanie et la Bulgarie n’ont pour l’instant rien dépensé de l’argent que le Fonds social européen avait réservé pour les Roms.
Cette situation a provoqué la colère de Joachim Stamp, le ministre de l’Intégration de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Selon lui, la Roumanie et la Bulgarie ont fourni bon nombre d’immigrants roms venus s’installer dans ce Land. Le ministre allemand est fâché de constater que ces deux pays qui auraient dû dépenser des milliards d’euros de fonds non-remboursables pour aider leurs Roms n’ont rien fait. Il propose que cet argent soit utilisé par son Land pour mieux intégrer les Roms roumains et bulgares installés à l’Ouest de l’Allemagne. « Ces fonds devraient être mis à la disposition des villes de Dortmund et de Duisburg, a-t-il déclaré dans une interview publiée le 7 août dans le Westdeutsche Allgemeine Zeitung. En Bulgarie, les Roms ne sont pas du tout intégrés et sont traités comme des citoyens de cinquième rang. L’éducation des enfants n’y est pas garantie et cela ne fait qu’aggraver le problème. »
Le même problème se pose en Roumanie où la situation de la minorité rom s’est détériorée depuis l’arrivée au pouvoir du Parti social-démocrate (PSD) en décembre 2016. Héritier de l’ancien Parti communiste, le PSD a été à l’origine de plusieurs scandales de corruption où se trouve impliqué le chef du parti, Liviu Dragnea, lequel a déjà été condamné en printemps 2016 à deux ans de prison avec sursis pour fraude électorale. En Roumanie comme en Bulgarie, les Roms ne figurent pas sur l’agenda des gouvernements. Oubliés par les autorités, ils ne pensent qu’à reprendre le chemin de l’Occident. « On va repartir, assure Viorel Duduveica. J’emmène ma femme et mes enfants à l’Ouest où on nous traite encore comme des êtres humains. »