Si le panneau indiquant Timisoara n’était pas à l’entrée de cette ville située à l’Ouest de la Roumanie, on pourrait se croire quelque part entre l’Allemagne et l’Italie. Le grand nombre aussi bien que la diversité des immeubles et des vitrines qui évoquent la prospérité occidentale contredisent l’image qu’on pourrait se faire de ce pays sorti de la dictature communiste il y a un quart de siècle. Ville d’avant-garde fière de son histoire, Timisoara est devenue le symbole de la chute du régime de Nicolae Ceausescu en 1989, car c’est là que la révolution a commencé. Puzzle ethnique, elle est un composé de Roumains, Hongrois, Allemands, Serbes, Juifs, Roms, Bulgares, et, plus récemment, quelque 15 000 Italiens sont venus s’installer dans ce joyau de la Roumanie. « C’est la ville la plus cosmopolite du pays, affirme Florian Mihalcea, président de la Société Timisoara, association qui milite pour le renouveau de la Roumanie. Sa position géographique lui a toujours assuré un lien fort avec l’Occident, le côté multiethnique nous a appris la tolérance, et les premiers investissements européens ont été faits chez nous. »
Pôle d’attraction des investissements occidentaux, la ville se développe à un rythme plus soutenu que le reste du pays. Lorsque la Roumanie a démarré les négociations d’adhésion à l’Union européenne (UE) en 2000, le chômage était inférieur à deux pour cent. Aujourd’hui il est encore de 1,7 pour cent, et la dynamique économique de la ville maintient le rythme. Le moteur de cette économie florissante, ce sont les Italiens venus très nombreux dans une ville située à une heure et demie d’avion de chez eux. Attirés au début par la spéculation sur le prix des terres dans la perspective de l’adhésion à l’UE, ils se sont convertis aux affaires. En quelques années, 3 000 sociétés italiennes ont vu le jour à Timisoara, et 15 000 ressortissants italiens ont pris pied dans la cité roumaine. L’intégration du pays dans l’UE en 2007 n’a fait qu’accélérer ce phénomène.
Sebastiano Stoppa, 32 ans, s’est installé à Timisoara en 2011. Oubliées les études de droit en Italie, il s’est investi dans l’agriculture. Aujourd’hui, il gère une ferme, dont le capital est italien, qui compte 11 000 hectares de terre et plusieurs centaines de vaches Limousines achetées en France. « Il n’y a pas que les Roumains qui partent travailler en Italie, nous, nous venons travailler ici, dit-il dans un roumain qu’il maîtrise parfaitement. C’est ça l’Europe. Nous sommes contents de notre chiffre d’affaires de douze millions d’euros par an, les Roumains se réjouissent d’avoir une centaine d’emplois, et les Français devraient nous dire merci parce qu’on achète leurs vaches. Mais au-delà des affaires, je suis heureux de vivre dans cette ville très hospitalière qui n’arrête pas de bouger. »
En effet, Timisoara est un chantier, la municipalité ayant décidé de refaire l’infrastructure routière et de rénover les bâtiments historiques. Pour ce faire, l’UE est encore au rendez-vous avec quelques dizaines de millions d’euros de fonds non-remboursables investis dans cette vaste opération de renouvellement urbain. La ville envisage aussi de construire le deuxième métro du pays après celui de Bucarest. « Pour nous, l’UE veut dire plus que de l’argent, assure Florian Mihalcea. En 1989 nous avons risqué nos vies pour vivre dans un pays libre et démocratique. Nous avons tout changé, mais si ces changements sont aujourd’hui irréversibles, c’est grâce à notre appartenance à l’UE. »
La stabilité garantie par l’appartenance au marché commun européen a également poussé de plus en plus de Suisses à venir s’installer sur les terres roumaines. En 2004, les Hani, une famille qui compte trois générations, ont peu à peu abandonné le canton de Lucerne pour venir s’installer à Firiteaz, petit village situé à une soixantaine de kilomètres au nord de Timisoara. Ils ont acheté 800 hectares de terres agricoles pour le prix modique d’environ 2 000 euros l’hectare et les ont transformées en terres destinées à la culture biologique. Toute la production de céréales cultivées en Roumanie part en Suisse et en Allemagne, et les Hani se retrouvent souvent en rupture de stock. Pourquoi la Roumanie ? « En Europe occidentale il n’y a plus de place pour les jeunes, affirme Christian Hani. Tout a déjà été fait et le coût d’un hectare de terre en Suisse peut atteindre des dizaines de milliers d’euros. J’ai toujours rêvé d’être fermier, mais chez moi c’était impossible. »
À l’instar des Hani, quelques centaines de fermiers suisses ont découvert une nouvelle vie en Roumanie. Si depuis l’adhésion du pays à l’UE, environ deux millions de Roumains sont partis travailler en Europe de l’Ouest avec l’espoir d’une vie meilleure, la roue de l’histoire commence à tourner en sens inverse. De plus en plus d’Occidentaux viennent s’installer en Roumanie où les opportunités pour les affaires se multiplient tous les jours. « On peut faire de bonnes affaires dans ce pays, affirme Sebastiano Stoppa. La différence avec l’Europe de l’Ouest où on est dans une course pour l’argent qui ne laisse plus de temps pour autre chose, c’est qu’ici on a un autre rythme. La vie en Roumanie te laisse du temps pour faire autre chose que de l’argent. Pour moi, c’est une raison suffisante pour rester ici, et c’est pour cela que j’ai fondé ma famille à Timisoara. » Après avoir mis à bas la dictature communiste en 1989, Timisoara est en train d’opérer une autre révolution : celle d’une économie en plein essor qui a trouvé sa place au sein de l’UE.