Petit îlot de stabilité en Europe de l’Est, la Roumanie essaie de sortir d’une crise politique déclenchée par le Parti social-démocrate (PSD) qui contrôle le gouvernement depuis décembre dernier. Le 26 juin, le président libéral Klaus Iohannis a accepté la proposition du PSD de nommer à la tête du futur gouvernement Mihai Tudose, un personnage controversé au sein de son propre parti. Ce juriste de formation, âgé de 50 ans, dispose de dix jours pour obtenir un vote de confiance au parlement où la coalition formée par le PSD et son petit allié de libéraux-démocrates dispose d’une majorité solide. « La crise que nous traversons nuit gravement à la Roumanie, à son économie et à son image à l’étranger, a déclaré Klaus Iohannis après avoir consulté les partis politiques. Nous devons avoir rapidement un nouveau gouvernement et c’est pourquoi j’ai décidé de désigner Mihai Tudose au poste de futur Premier ministre. »
Le 14 juin, les sociaux-démocrates roumains se sont infligés un harakiri politique. Suite à une réunion portes fermées, le président des sociaux-démocrates, Liviu Dragnea, avait décidé de se débarrasser de son propre gouvernement au risque de plonger la Roumanie dans une crise politique. En bons soldats d’un gouvernement à la dérive, la quasi-totalité des ministres sociaux-démocrates ont démissionné conformément à l’ordre émanant des hautes sphères du parti. À l’exception du Premier ministre Sorin Grindeanu qui a réservé une surprise à son chef. « Je ne donne pas ma démission, avait-il déclaré suite à celle de ses ministres. Je m’explique : le gouvernement est une institution qui appartient à la Roumanie, il n’est pas la propriété du comité exécutif du parti. »
En décembre dernier le PSD était revenu au pouvoir sur ses grands chevaux après une victoire écrasante aux élections législatives. Grâce à un score historique de 48 pour cent des suffrages, les sociaux-démocrates avaient installé tranquillement leur gouvernement. Seul bémol dans l’affaire : le président du parti, Liviu Dragnea, n’avait pas pu être nommé Premier ministre en raison d’une condamnation pénale. Au printemps 2016 il s’était vu condamné à deux ans de prison avec sursis pour fraude électorale.
Pour pouvoir contrôler le pouvoir exécutif, Liviu Dragnea s’était donc contenté de proposer comme Premier ministre un certain Sorin Grindeanu, personnage inconnu du grand public, censé exécuter ses ordres à la lettre. La priorité du chef des sociaux-démocrates a été de changer la loi pénale afin de blanchir son casier judiciaire et donner un coup d’arrêt à la campagne anticorruption en cours. Mais le soir du 31 janvier, alors que le gouvernement s’apprêtait à faire passer les lois en catimini, plus de 100 000 Roumains étaient sortis manifester. Cette manifestation marathon contre la corruption l’avait obligé à faire marche arrière et le ministre de la Justice de l’époque, Florin Iordache, à démissionner.
La popularité du PSD s’est érodée rapidement. En campagne électorale Liviu Dragnea a promis de doubler les salaires des fonctionnaires. Six mois après la victoire aux élections législatives, la loi censée doubler les salaires n’a pas encore vu le jour. Le chef des sociaux-démocrates avait besoin d’un bouc émissaire et il a ciblé son propre Premier ministre. Le 21 juin le PSD s’est retrouvé dans une situation absurde : voter une motion de censure pour faire tomber son propre gouvernement. Tous les analystes roumains ont qualifié la décision du PSD de « suicide politique ». C’est une première en Roumanie depuis la chute du régime communiste il y a plus d’un quart de siècle.
À 43 ans et représentant d’une aile plus moderne du PSD, l’ancien Premier ministre Sorin Grindeanu s’était levé contre les tendances dictatoriales du chef de son parti, Liviu Dragnea. « J’ai choisi la voie la plus difficile, je n’ai pas accepté de me livrer à des compromis et à des arrangements plus ou moins occultes, a affirmé Sorin Grindeanu après la motion de censure qui a fait tomber son gouvernement. J’ai été correct et transparent. Monsieur Dragnea doit comprendre que le premier ministre n’appartient pas au PSD, mais à la Roumanie. »
Mihai Tudose, le nouveau Premier ministre, fait figure de parfait soldat travaillant pour le compte de son chef Liviu Dragnea. Professeur à l’école qui forme les spécialistes du renseignement, Mihai Tudose s’est fait remarquer grâce à une thèse de doctorat qu’il avait plagiée. Il a d’ailleurs demandé lui-même à ce qu’on lui retire le titre de docteur. Le nouveau Premier ministre ne fait pas l’unanimité, même au sein de son propre parti. « Je doute de la capacité de Mihai Tudose de diriger le gouvernement, a déclaré Niculae Badalau, le numéro deux du PSD. Il n’a pas l’envergure nécessaire pour occuper ce poste. » Liviu Dragnea et l’aile conservatrice du PSD ont gagné une bataille contre les réformateurs du parti, mais cette victoire risque d’être une victoire à la Pyrrhus.