StadApp

d'Lëtzebuerger Land vom 02.08.2019

Dégarnis, ridés, poilus, cernés, vieillis, burinés, blanchis. Youpi !, on sait tous à quoi on va ressembler dans vingt ans grâce à FaceApp, l’application qui vous amuse cinq minutes avant de vous filer une bonne déprime à la veille de partir en congés et, pour des raisons assez obscures, de transmettre votre photo d’identité aux services secrets russes. Les plus curieux auront fait l’expérience de vieillir une photo ancienne, où ils étaient donc jeunes, pour voir comment fonctionne le retour vers le futur. Mais ce qui serait le plus intéressant serait encore autre chose : un FaceApp pour les paysages, pour voir à quoi ressemblera notre environnement dans vingt ans. Pour la campagne, pas de surprise, si les étés se poursuivent à ces températures, on devrait bientôt pouvoir presser de l’huile d’olive à Remich. Le véritable défi consiste à essayer de se représenter quel sera le visage de la capitale dans quelques années. Le contraste est assez saisissant entre les panneaux publicitaires qui montrent des gens souriants, dans des artères fleuries et ensoleillées, et la réalité des chaussées éventrées où le bruit des pelleteuses peine à couvrir celui des klaxons dans les effluves de poussières de béton et de diesel, alors que quelques piétons perdus essaient de trouver quel chemin ils sont censés emprunter pour ne pas se trouver coincés entre un rétroviseur de bus et un marteau piqueur.

À côté des quartiers sortis de nulle part, comme la Cloche d’Or, où les immeubles ont poussé à la vitesse du champ de colza qu’ils ont remplacé, on annonce des changements pour le Boulevard Roosevelt, de nouvelles passerelles destinées à relier des quartiers, et peut-être même avant la fin du siècle, un aménagement de la place de l’Étoile. Pourtant, un coup d’œil à la Photothèque de la ville permet de se rappeler l’époque où les voitures stationnaient sur la place d’Armes et où le Kirchberg ressemblait à une bretelle d’autoroute au milieu des prés. Mais comment imaginer la physionomie générale de la capitale dans quelques années ?

L’avenue de la Gare constitue peut-être le triste modèle de ce qui nous attend. Des rideaux de fer baissés, des petits panneaux qui annoncent que l’enseigne concernée a déménagé dans un centre commercial. On se croirait dans une sous-préfecture du massif central, où le commerce en ligne termine d’achever définitivement les petites boutiques qui n’ont pas eu les moyens d’investir dans des surfaces de centaines de mètres carrés pour s’installer dans d’hideux zonings où la promesse d’un parking gratuit et la proximité des grands axes routiers attirent les habitants de tout aussi hideuses banlieues pavillonnaires, dopés aux publicités, aux séries télé et à l’automobile. Même le McDonald’s a fermé le mois dernier, c’est dire !

Un peu plus loin, d’autres enseignes emblématiques annoncent leur prochaine fermeture. Dans la Grand rue, pourtant épargnée par les travaux, c’est Tapis Hertz qui met la clé sous le pas de porte. Une franchise internationale pourra certainement payer un loyer démesuré et faire ressembler un peu plus Luxembourg à toutes les autres villes européennes. Prêt-à-porter, cosmétiques, décoration, bijouterie, électronique, malbouffe ou maroquinerie, est-ce l’implacable destinée réservée aux vitrines ?

En fait, il est permis d’espérer. Même entre les poutrelles d’acier, les dalles de béton et les plaques en verre trempé subsistent des interstices dans lesquels éclosent les idées les plus originales. Un bar à chats a, par exemple, ouvert dans la rue des Capucins. Le principe est assez simple et permet de justifier des prix plus élevés, indispensables à la survie au vu des loyers du quartier : une dizaine de félins se promènent entre les tables du salon de thé. Les clients peuvent les caresser, jouer avec et, last but not least, se prendre en photo avec les stars du lieu. Si cela fait des années que vos ados vous tannent pour avoir un animal de compagnie à la maison, voilà de quoi leur donner une bonne dose de ronronnements et de caresses.

Une heure au milieu des poils de chat et des miettes de carrot-cake, à siroter un café vendu à un tarif digne de Ladurée, avec une probabilité non nulle de vous retrouver par hasard en arrière-plan d’une photo partagée auprès de 30 000 followers sur Instagram, cela ne vous fait pas rêver ? Alors songez à ce que vous économisez : l’acquisition d’un chat Siamois ou Sacré de Birmanie, les séances chez le vétérinaire, la recherche d’un cat-sitter pour les vacances, les visites chez l’allergologue, les bas de murs et les pieds de meubles sculptés à la griffe, les câbles électriques rongés, les boules de poils régurgitées cachées sous le lit, la souris morte ramenée en trophée sur le paillasson pile le jour où votre chef vient dîner, les grains de litière qui se coincent sous les orteils quand vous vous levez la nuit pour aller dans la salle de bains, l’odeur de croquettes qui flotte dans le garage. On comprend qu’il y ait un public !

Le principe est nouveau avec les chats, mais il faut avouer qu’il existe déjà depuis de nombreuses années avec… les êtres humains. Le parallèle peut sembler choquant, certes. Pourtant, dans le quartier de la gare, ce n’est un secret pour personne qu’il existe quelques établissements proposant de quoi épancher votre soif d’affection et de chaleur humaine pour le prix d’une ou deux bouteilles de champagne largement surfacturées. Il ne manque donc que les chiens, même s’il faudrait sans doute prévoir un espace plus grand et, pourquoi pas, les bébés. À quand une joint-venture entre les entrepreneurs de la petite enfance, Rockids ou Luciole, et une chaîne de pâtissiers ? Les mamies de chez Ober-weis ou Namur pourraient passer leur après-midi à pouponner et jouer aux petits chevaux pendant que les parents récupéreraient des enfants dorlotés et gavés de Montblanc et de truffle-cake.

Des bars pour les enfants, des bars pour les amoureux des jeux de société, des bières artisanales, du tricot… auxquels il va peut-être falloir ajouter, dans les prochaines années, des coffee shops, si la prochaine législation sur la dépénalisation du cannabis va jusque-là. En fait, c’est peut-être ça le plan caché de la municipalité : transformer la ville en une immense terrasse de bistro !

Cyril B.
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