France

Le souffle court

d'Lëtzebuerger Land vom 26.10.2018

Un remaniement pour un « second souffle ». Les changements dans l’équipe gouvernementale annoncés mardi 16 octobre étaient censés, selon la présidence de la République, donner une nouvelle impulsion au pouvoir exécutif et le reconnecter avec les Français. Après un été et une rentrée où rien ne s’est passé comme prévu pour Emmanuel Macron, de l’affaire Benalla au départ de l’écologiste Nicolas Hulot puis à la démission du ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, l’hôte de l’Élysée espérait redonner de l’élan à son quinquennat.

Las ! Alors que le précédent gouvernement souffrait déjà d’un manque de ministres de forte notoriété, la venue de Gabriel Attal, Marc Fesneau, Agnès Pannier-Runacher, Franck Riester ou encore Emmanuelle Wargon, sans mésestimer leurs compétences, ne va guère changer la donne. Quant à l’équilibre gauche-droite, il est préservé par l’arrivée à l’Intérieur d’un ancien PS, Christophe Castaner, pour remplacer un autre ex-socialiste. Certes, un grand ministère de la Cohésion des territoires est créé, pour renouer le lien avec les élus locaux. Mais tout ça pour ça, aurait-on tendance à écrire à propos du plus long remaniement de la Ve République, deux semaines au total. D’autant que le Président a assuré que ces changements de visages n’entraîneraient pas d’évolution de fond. « Il n’y a aujourd’hui ni tournant, ni changement de cap ou de politique », a bien insisté Emmanuel Macron.

Comment s’étonner dès lors que soixante pour cent des Français interrogés se disent insatisfaits de la composition du gouvernement remanié ? Ou bien que le président ait seulement 29 pour cent d’opinions favorables, aussi peu que ses prédécesseurs à ce stade du quinquennat ? Pour certains, cette impopularité tiendrait à un exercice solitaire et monarchique du pouvoir et à un style arrogant et inutilement blessant, qui s’est retourné contre Emmanuel Macron au fur et à mesure des difficultés, alors qu’il pouvait encore passer pour un langage de vérité après son élection. Certaines saillies ont indéniablement choqué l’opinion depuis la rentrée. En visite au Danemark, il a stigmatisé « les Gaulois réfractaires au changement ». À un jeune horticulteur au chômage, il a conseillé de « traverser la rue » pour trouver un emploi. À une retraitée à la faible pension, il a répondu qu’il fallait arrêter de « se plaindre ».

Pour d’autres, la mauvaise passe que traverse l’exécutif n’est cependant pas tant liée au style et à la personnalité du président qu’à la nature de sa politique. La question du pouvoir d’achat, en passe de devenir un boulet pour Emmanuel Macron, en est un bon exemple. En supprimant les cotisations salariales maladie et chômage ainsi que la taxe d’habitation, il pensait contenter les Français dans ce domaine. Or, au contraire, 86 pour cent des sondés pensent que leur pouvoir d’achat s’est dégradé ces douze derniers mois, et 82 pour cent qu’il va baisser à l’avenir. Il est vrai que les mesures supposées favorables sont mises en place lentement et par étapes, alors que le gouvernement a rapidement baissé les allocations logement, supprimé des dizaines de milliers de contrats aidés, augmenté la contribution sociale généralisée (CSG) pour les retraités et surtout les taxes sur les carburants, sans compter l’annonce en cette rentrée de la désindéxation des pensions et autres prestations sociales. Comme la réduction de l’impôt sur les grandes fortunes et la « flat tax » de trente pour cent sur les revenus du capital ont bénéficié aux plus hauts revenus, Emmanuel Macron a hérité du surnom de « Président des riches ».

Non sans raison, soulignent certains chercheurs, car le macronisme s’appuierait dès l’origine sur une base politique et sociale fragile. « Son mouvement n’est pas un parti réunissant des personnalités nationales bien connues, il n’a pas de racines locales, Emmanuel Macron n’a jamais été élu avant. Et puis l’analyse sur laquelle se construit En marche ! est fausse : il n’existe pas de grande convergence des électeurs vers un centre libéral, high-tech et mondialisé », a déclaré au Monde le politologue Luc Rouban : « La faiblesse fondamentale (du macronisme) tient au fait que la grande majorité des électeurs ne sont pas demandeurs d’émancipation individuelle, mais de protection contre l’insécurité, la pauvreté, la perte de leur univers culturel habituel »1.

Au final, en tentant une synthèse de la droite libérale et de la gauche gestionnaire, Emmanuel Macron se retrouverait dans les mêmes impasses que ces deux familles politiques qui ont alternativement dirigé les gouvernements depuis trois décennies. Pour le site d’histoire Hérodote, l’éditorialiste Joseph Savès analyse que depuis les années 1990 s’est produit un bouleversement qui a transformé la présidence de la République en « mission impossible ». Au fil des années, l’Élysée et le gouvernement ont abandonné à d’autres (Bruxelles, Francfort, Berlin, Washington…) tout ou partie de leur pouvoir en matière monétaire, industrielle, commercial, puis diplomatique, militaire et stratégique.

« Voilà pourquoi les hommes politiques français et le Président lui-même n’arrivent plus à se faire entendre, écrit Savès, l’hôte de l’Élysée n’a pas plus de pouvoirs qu’un maire de village : il distribue des aides et des permis ; il augmente les taxes ici, les diminue là (…) et place ses hommes aux postes-clés pour affermir son autorité et assurer sa réélection »2. Sans surprise, Gérard Collomb a donc préféré retrouver son poste de maire de Lyon plutôt que de poursuivre sa tâche de ministre du pays. Le roi est nu, comme son gouvernement. Et ils paraissent à bout de souffle. En tout cas avec le souffle court.

1 « Le macronisme est une chimère politique », 5 octobre 2018

2 « France : de la souveraineté à la servitude volontaire », 18 octobre 2018

Emmanuel Defouloy
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