Pas du gâteau

d'Lëtzebuerger Land vom 19.10.2018

Je suis de celles capables de prendre un TGV pour Paris simplement par gourmandise. Pour tester une nouvelle table dont on m’aurait chanté les louanges, manger dans ma brasserie préférée et surtout, faire le plein de pâtisseries. Notamment de macarons Mogador, chez Pierre Hermé – les connaisseurs comprendront. Oui, je l’avoue, le sucré, c’est mon péché mignon.

Ainsi, je n’hésite pas à me fondre parmi les files et les foules qui s’amassent devant les vitrines parisiennes pour déguster une nouvelle douceur signée Philippe Conticini, Cédric Grolet, Cyril Lignac ou encore Christophe Michalak, pour ne citer qu’eux. Une génération de pâtissiers incontournables, considérés tout autant que les plus grands Chefs français, plébiscités par les médias et invités des plateaux TV, à l’image de la Lorraine Christelle Brua, élue la semaine passée meilleure pâtissière au monde.

Un jour que je m’extasiais devant la jolie vitrine d’une nouvelle boulangerie-pâtisserie, ouverte il y a quelques mois déjà du côté de Capellen, j’ai fini par me demander pourquoi ici, au Luxembourg, la pâtisserie ne semblait pas susciter le même engouement qu’ailleurs. Pourquoi n’avais-je encore, ni dans la presse ni sur Internet, rien lu sur ce pâtissier au parcours pourtant émérite et aux créations délicates et soignées, quand l’ouverture d’un indien au coin de ma rue avait donné lieu à tout un article ? Plus généralement, dans un pays où la gastronomie et les étoiles ont pignon sur rue, où en est la pâtisserie ?

C’est avec toutes ces questions en tête que j’ai répondu, l’an passé, à l’invitation d’Yves Jehanne, Chef pâtissier chez Steffen Traiteur et surtout, fondateur et président des Sucrés du Lux. Dans son e-mail, ce dernier me proposait de venir découvrir et goûter aux bûches de Noël de quelques-uns des meilleurs pâtissiers du pays. Quelle aubaine ! J’entendais alors pour la première fois parler de cette association, regroupant les meilleurs pâtissiers de la grande région, et décidée à faire évoluer et à dynamiser la pâtisserie au Luxembourg. Une initiative bienvenue dans un pays bien trop tourné vers le salé à mon goût.

Pour cette chronique, j’ai donc souhaité m’entretenir à nouveau avec Yves Jehanne, afin d’essayer de comprendre et surtout, d’entendre l’avis d’un professionnel du secteur. Il m’avertit d’emblée : « Il faut savoir que la culture autour du dessert n’est pas la même partout. En France par exemple, la pâtisserie est très reconnue et très mise en avant depuis plus de dix ans. J’aime d’ailleurs beaucoup l’expression d’Yves Thuriès : ‘Le dessert est universel, mais la pâtisserie est française’... Il est donc impossible de comparer cet engouement français avec le Luxembourg, ni même avec aucun autre pays, tout simplement parce que cette culture gastronomique fait moins partie des racines culturelles luxembourgeoises ». Pourtant, avec un bon nombre d’expatriés et de frontaliers, de becs sucrés de toutes les nationalités et surtout de fervents gourmands qui trépignent devant les comptoirs d’Oberweis, il me semble que l’attente est là… « Dans pas mal de domaines au Luxembourg, comme la pâtisserie ou la mode, il y a beaucoup de choses à développer, de concepts à créer afin de faire évoluer ces métiers. C’est pour cela que les Sucrés du Lux existent et c’est dans ce sens que nous allons, histoire de tirer notre métier et notre savoir-faire artisanal chaque jour davantage vers le haut ». Patience donc…

Reste que les talents sont là ! J’avais d’ailleurs pu le constater par moi-même lors de cette dégustation de bûches de Noël et Yves Jehanne est le premier à l’affirmer : « Par rapport au nombre d’habitants, je pense pouvoir dire que nous avons un bon rapport de pâtissiers talentueux au sein du pays, mais aussi que la formation et la transmission du savoir est essentielle pour voir émerger de nouveaux talents sucrés dans les années à venir. D’autant que la pâtisserie est un domaine pour lequel l’intérêt est en pleine croissance, en plein développement au Grand-Duché, car de nombreux gourmets et amateurs de ‘bonnes tables’ sont demandeurs de produits de qualités ». Bonne nouvelle, l’année 2019 devrait ainsi permettre aux amateurs de gâteaux de s’adonner enfin au plaisir du sucre made in Luxembourg : « Nous souhaitons développer des partenariats pour pouvoir être plus visibles et présents sur des évènements publics et ouverts à tous. Des masterclass et plusieurs démonstrations seront notamment au programme de l’an prochain ».

Si la lecture de ce papier vous a, comme moi durant son écriture, donné envie d’une bonne pâtisserie, Yves Jehanne m’a confié quelques-unes de ses adresses préférées. Parce que le plaisir, ça se partage, les voici : « La maison Oberweis, bien sûr. Elle est depuis de nombreuses années leader de la pâtisserie boutique au Luxembourg et ses produits sont d’une haute qualité. Il y a aussi Au pain de Mary, incontournable notamment pour la qualité de tous ses produits de boulangerie. Personnellement, j’adore aussi aller manger un dessert à l’assiette confectionné par mes amis Paul Bungert, actuellement à l’Hostellerie du Grunewald, ou Pierre Zehner, du Château de Bourlingster. Ils sont pour moi les étoiles montantes de la pâtisserie pour les prochaines années ». Cerise sur le gâteau, Yves Jeahnne lui-même proposera ses pâtisseries au sein du Quai Steffen, le nouveau restaurant de la gare qui ouvrira en fin d’année. Peut-être pour moi l’occasion de louper mon TGV pour Paris… et d’assouvir ma gourmandise sur le quai.

Salomé Jeko
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