Plus loin, plus vite, plus fort ?

d'Lëtzebuerger Land du 14.06.2024

Le poids de sept kilos et demi bien calé entre le cou et l’omoplate, Bob Bertemes prend appui sur sa jambe gauche et effectue une double rotation avant de lancer : la sphère touche le sol avant de heurter bruyamment les bancs délimitant la zone. Performance du jour pour le lanceur de poids, qualifié pour les Jeux Olympiques de Paris : 20,23 mètres. « C’est OK » commente l’athlète, dont le record personnel est à 22,22 mètres. « Souvent, tu es jugé uniquement d’après ton record, mais c’est la régularité qui permet de l’atteindre » souligne-t-il. À un peu moins de dix semaines du début de la grand-messe parisienne, Bob Bertemes a pris le temps de venir disputer les Interclubs de la Fédération luxembourgeoise d’Athlétisme, à Ettelbruck, pour le Cercle athlétique de Belvaux. Le sportif, qui s’entraîne depuis sept ans à Mannheim, en Allemagne, tenait à être présent. « C’est important de représenter le club et de promouvoir l’athlétisme au Luxembourg, explique-t-il. Ce serait trop facile de dire « c’est bien les jeunes, il faut continuer » et de ne jamais venir aux compétitions sur place ».

Bob a commencé l’athlétisme à l’âge de cinq ans et a fait « un peu de tout » jusqu’à ce que Sonia Ilieva, son premier coach, lui propose le lancer de poids. « Elle a vu comment mon physique allait évoluer ; mon père lui-même est assez baraqué ! » sourit le colosse de 118 kilos pour 1,87m. Progressivement, il atteint le niveau européen puis mondial grâce à un entraînement qui allie beaucoup de technique, de la musculation et cinq repas par jour pour absorber les calories nécessaires. « On ne cherche pas la force brute mais la rapidité et la tonicité, explique Bob. Le lancer de poids, c’est facile à apprendre, difficile à perfectionner ». Sportif d’élite de l’armée luxembourgeoise (statut qui permet de bénéficier d’une rémunération et d’une protection sociale, tout en participant à des compétitions dédiées), l’athlète a choisi Mannheim car c’est là que se trouve Khalid Alqawati, son entraîneur actuel ; il apprécie ses conseils mais également la confiance qu’il place en lui. C’est aussi dans la cité allemande qu’il a rencontré son épouse. Là encore, il estime avoir eu beaucoup de chance. « Rencontrer quelqu’un qui accepte que tu sois souvent absent et que tu suives une discipline stricte pour lancer une grosse boule très très loin, c’est énorme » glisse-t-il.

À l’issue des J.O., Bob Bertemes prendra sa retraite, à 31 ans. Il est serein, c’est pour lui « le bon moment ». Après une qualification rocambolesque à La Coque, où son lancer de 21,71 mètres a failli être invalidé, l’athlète entend profiter du voyage olympique sans se mettre trop de pression. « Partir avec beaucoup d’attentes, c’est le meilleur moyen de faire moins bien », indique-t-il. Malgré une performance assez décevante à Tokyo il y a trois ans, lors de sa première participation à la compétition suprême, l’homme n’a pas l’esprit revanchard. Ce qui l’a surtout déçu, au Japon, c’est de ne pas avoir pu vivre son rêve olympique dans le contexte difficile de la période Covid. Contraint de rester dans sa chambre, qu’il partageait avec le coureur de demi-fond Charel Grethen, le lanceur de poids n’a pas pu parcourir le village ni rencontrer les compétiteurs venus du monde entier. « J’ai promis à Charel : pendant trois ans on se donne à fond pour faire Paris ! » raconte-t-il. Dans la capitale française, il sera face aux plus grands champions, dont l’américain Ryan Crouser, qui truste partout le haut du tableau. « Ce serait cool d’aller en finale avec les douze meilleurs, mais même si tu lances très bien il peut y en avoir douze autres qui font mieux, note le sportif. Être obsédé par les performances et les compétitions, ça n’a jamais été ma vision du sport ».

Pendant tout l’entretien, Bob Bertemes ne se départit jamais de son grand sourire : un état d’esprit forgé par le sport. « Le sport a été mon éducation, confie-t-il. Savoir tourner la page sur les choses qui vont mal, analyser pour aller de l’avant, ça m’a énormément aidé dans la vie ». Après les Jeux Olympiques, le champion se verrait bien, un jour, coach pour les jeunes. Mais avant, il a prévu un jubilé pour dire au revoir à sa vie de sportif de la même façon qu’il l’a commencée : « à Belvaux, entouré d’amis, en se marrant ».

Benjamin Bottemer
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