Les saisons du chocolat

d'Lëtzebuerger Land du 17.05.2024

Eschoise native et résolue à contribuer au (re)développement de la métropole du Sud, c’est rue de la Gare à Esch que Lola Valerius choisit, en mars 2021, de faire prendre forme commerciale à son métier et sa passion. Elle y installe à la fois son shop et sa cuisine, transparente pour être ouverte aux regards des clients et des curieux. En trois ans, la boutique s’impose comme destination incontournable pour les amateurs de la fève au Luxembourg, rivalisant avec le top des chocolatiers modernes (tels les Bruxellois Pierre Marcolini ou Frederic Blondeel), et faisant accourir une clientèle fidèle et nombreuse.

C’est à Paris que Lola a perfectionné son art, après un parcours hésitant à ses débuts. « J’ai commencé des études en architecture mais me suis vite rendue compte que le milieu, très concurrentiel, n’était pas pour moi. S’ensuivit un stage dans une agence de graphisme… puis j’ai réalisé à quel point j’aimais faire la pâtisserie pendant la pandémie, à la maison, et me suis lancée dans une formation pour adultes à Paris avec à la clé un diplôme (CAP) en pâtisserie ».

Suivant l’appel du grand large, Lola enchaîne quelques mois dans une pâtisserie franco-taïwanaise à Taipeh, ce qui lui inculque non seulement le goût du caractère gastronomique « ludique » particulier à l’Asie, mais aussi l’envie définitive de continuer à façonner le chocolat, cette « matière intéressante ». Celle qui baigne dans le milieu de l’art depuis ses premiers souvenirs, galerie paternelle oblige, puise en permanence dans tous les domaines dont elle détient des clés : peinture, architecture, pâtisserie…. tout en couleurs. « Avec ma petite équipe, je veux moderniser le milieu du chocolat luxembourgeois, en proposant des goûts et assemblages surprenants, et des créations qui déplacent les limites de ce que l’on attend d’une chocolatière ». Lola ne se sert d’ailleurs que de la méthode dite du « moulage » qui permet de cumuler plusieurs couches à l’intérieur de la housse chocolatée, et laisse le champ ouvert à des techniques nouvelles qu’elle perfectionne à l’obsession.

Un but est que l’ennui ne s’installe ni chez les clients ni chez elle : si la boutique propose un set de douze « bonbons », seulement quatre classiques restent permanents : noisette, cacahuète, caramel et bamkuch. Il y a une création du mois et sept pralines saisonnières qui changent tous les six mois (la nouvelle collection printanière est imminente). Au choix sont également des dragées (qui n’ont rien à voir avec les insipides sucreries qu’on connaît des baptêmes), cinq sortes de pâtes à tartiner et un nombre fascinant de tablettes de chocolat. « Mes créations suivent le cours des saisons, on essaie d’utiliser exclusivement des produits locaux ou régionaux et on fait maison ce qui peut l’être (comme le praliné) ». Pour Pâques, sa vitrine a ainsi exhibé des œufs faits de cajou, popcorn, amande ou noisette. La dernière collection d’hiver incluait des bonbons au coco, huile d‘olive ou encore massepain et café ; pour la fête des pères, l’heure était aux parfums Kiischt um Kuch, Nuts and stuff, Sexpresso et Eislécker… une créativité voluptueuse, d’ailleurs vendue sans plastique. Des coopérations avec d’autres chercheurs de goût, tels Bar à Cocktails (BAC) ou Public House, complètent la gamme.

Comme beaucoup de chocolatiers, Lola Valerius achète son chocolat en produit fini, en provenance surtout d’Amérique latine : Panama, Venezuela, Papoua-Nouvelle Guinée, République dominicaine, parfois Guatemala, ou Vietnam…elle choisit selon le critère de qualité mais aussi des conditions de production (conditions de travail…), et en fonction des produits qu’elle a en tête de fabriquer.

Le prix du cacao ? « Un grand problème » soupire Lola. « Les gens ne se rendent guère compte de la nature dramatique de la situation ». Elle n’achète pas en provenance d’Afrique de l’Ouest – Ghana, Côte d’Ivoire – région d’où proviennent 70 pour cent du chocolat mondial et qui a vu sa production tomber drastiquement en raison d’une combinaison de facteurs : maladies des cacaotiers, mauvais temps, changement climatique. Mais les prix ont augmenté globalement, les demandeurs se repliant sur les autres marchés. « Actuellement, on subit les conséquences de la mauvaise récolte de 2023… s’il reste à voir si celle de 2024 sera meilleure, je suis assez sceptique. En plus, vu la situation, de nombreux paysans ouest-africains se sont tournés vers d’autres occupations ». Il faut savoir qu’un cacaoyer met dix ans à porter des fèves… Résultat, le prix du beurre de cacao a augmenté de 3 000 à 10 000 euros la tonne, et on annonce encore des hausses. « C’est malheureusement une question de temps de voir ces prix se répertorier sur les consommateurs ».

Sa praline préférée ? « J’aime le chocolat noir. Notre création du mois est un bonbon en chocolat foncé combiné à une gelée de citron vert, c’est palpitant ». Avoir encore le goût du chocolat quand on plonge dedans.

Béatrice Dissi
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