Plus d’un million de personnes bénéficiaient du « reddito di cittadinanza » il y a encore quelques semaines. Depuis son abrogation partielle le 1er août, beaucoup manifestent et déplorent cette abolition de la part du gouvernement

« Une guerre contre les pauvres »

d'Lëtzebuerger Land du 18.08.2023

« Je veux mettre certaines choses au clair ! » risposte la Présidente du conseil, Giorgia Meloni, dans une vidéo sur sa chaîne Youtube le 9 août, dans laquelle elle veut mettre les points sur les i. Elle semble visiblement déconcertée par les informations qui circulent au sujet de cet important changement qu’est l’abrogation du revenu minium. Elle ne semble pas comprendre les polémiques qui ont surgi à cause de ces modifications. Il est vrai que la disparition totale du revenu de base, prévue à partir de janvier 2024, avait été clairement annoncée par le gouvernement mélonien. Vouloir supprimer le reddito était également l’une des principales raisons qui avait mené à la chute du gouvernement l’année dernière, résultant par la suite en l’élection de Giorgia Meloni à la tête du gouvernement en automne 2022.

Elle précise que les personnes concernées par l’abrogation du reddito sont uniquement les personnes entre 18 et 59 ans, les personnes non handicapées ou les personnes sans enfants à charge. Selon la politicienne, il s’agirait là de personnes capables de travailler et elle souligne que le taux d’occupation est le plus élevé depuis quatorze ans : les personnes étant au courant du projet d’abolition se seraient déjà retroussés les manches pour trouver un travail. 

De fait, beaucoup de personnes semblent approuver ce que dit la Présidente du conseil. Mais qu’en est-il des personnes qui ne trouvent pas de travail ? Il est facile de mettre au pilori les personnes ayant perçu le reddito. Beaucoup, surtout dans les régions du sud de l’Italie, ne trouvent aucun travail ou même de petit job. Et qu’en est-il des presque sexagénaires ? Qui va employer une personne de cet âge qui n’a peut-être pas travaillé pendant des années ou qui a perdu son travail à cause de divers motifs, comme par exemple la délocalisation de son entreprise ? Qu’en est-il des personnes ayant souffert d’une maladie, comme d’un infarctus, qui doivent souvent travailler dans des conditions difficiles, ne trouvant aucun autre travail, risquant ainsi de retomber malade ? 

En effet de nombreuses personnes ont protesté et manifesté contre l’abrogation de ce revenu de citoyenneté. Les principales manifestations ont eu lieu à Naples et dans le sud du pays, où le marché de l’emploi est plus faible. L’ex Premier ministre et président du parti Movimento 5 Stelle, Giuseppe Conte, disait déjà en septembre 2022 que cette abrogation est « une guerre contre les pauvres ». Instaurateur du reddito en 2019, il n’a donc pas tergiversé et avait accusé la Présidente de vouloir la guerre civile. Il avait aussi rappelé que tandis que Giorgia Meloni gagnait plus de 500 euros par jour depuis vingt ans, elle n’hésitait à présent pas à les enlever aux personnes dans le besoin.

Le gouvernement se défend contre les protestations des citoyens et de l’opposition en affirmant que le système a simplement été retravaillé et que le reddito sera remplacé en janvier 2024 - pour les personnes continuant à le percevoir - par « l’assegno di inclusione », soit un chèque d’inclusion. Celui-ci permettra aux personnes concernées de recevoir un maximum de 500 euros par mois par le biais de bons d’achat permettant d’assurer leurs besoins quotidiens. L’allocation ne sera donc pas versée en argent liquide et ne permettra pas, par exemple, l’achat d’alcool ou de cigarettes. Pour les autres, un soutien à la formation et au travail sera instauré, qui permettra aux personnes en cours de formation de toucher un maximum de 350 euros par mois. Cependant, si quelqu’un refuse une offre de travail, l’aide sera suspendue. Il faut aussi noter que l’année prochaine, les personnes seront obligées d’accepter des offres de travail non seulement près de chez eux ou dans leur région, mais partout en Italie. Il s’agit donc d’une condition très défavorable qui forcerait les personnes à déménager et changer de vie pour ne pas être exclues de ce système de soutien. 

Tandis que pour certains, ce changement sonne donc l’heure du désespoir, un grand nombre s’en réjouit. Il s’agit souvent de travailleurs qui considèrent les aides apportées à ceux qui ne travaillent pas comme une injustice. Une autre partie de la population qui semble également apprécier la décision du gouvernement, sont certains commerçants, notamment dans le domaine de la restauration. Ils se félicitent de l’initiative du gouvernement et jubilent des très nombreux cv reçus, leur permettant enfin de trouver du personnel.

On peut en effet discuter du fait que le reddito ne fonctionnait pas comme il se doit et que sans nul doute certaines personnes en abusaient, comme c’est d’ailleurs toujours le cas avec ce genre de subside et d’aides sociales. Il aurait peut-être fallu alors envisager de contrôler de manière plus stricte sa mise en application, de sorte à en exclure les profiteurs. Car il est vrai que le reddito favorisait, selon certaines personnes, également une mentalité passive envers le travail et que beaucoup se laissaient aller, sans aucun projet professionnel ou sans envisager de chercher un emploi.

Cependant il faut considérer deux éléments importants pour comprendre l’envergure de ce changement dans le cas spécifique de l’Italie : premièrement le fait que le travail au noir est très répandu dans le pays, deuxièmement, et point plus important, le fait qu’il n’existe pour l’instant aucun salaire minimum.

Les employeurs pourraient en tirer profit :  en engageant encore davantage des personnes sans contrat et donc sans garanties, en l’occurrence sans assurance maladie ni caisse de retraite, et résultant en moins de charges à payer pour eux. La suppression du reddito pourrait encore plus les pousser à offrir un salaire de misère, sachant que les personnes dépendent d’un quelconque revenu pour survivre. Il est vrai qu’auparavant certaines personnes préféraient travailler au noir afin de cumuler les deux. En effet, en discutant avec diverses personnes à Florence, c’est ce qui ressort comme étant un des points négatifs du reddito di cittadinanza. À titre d’exemple : le cas d’une aide à domicile qui ne voulait absolument pas de contrat de travail pour s’occuper d’un homme âgé, car elle ne voulait pas renoncer au revenu de base. Le problème ne se pose donc pas seulement dans le sud du pays.

Cette abrogation est d’autant plus problématique du fait qu’il n’existe aucun salaire minimum en Italie. De fait, on peut se demander si certains employeurs qui se plaignaient du manque de personnel et qui reçoivent à présent de nombreuses demandes, ne trouvaient tout simplement personne parce qu’ils imposaient des horaires indécents pour des salaires de misère. Cette abrogation n’aura-t-elle donc pas également comme conséquence l’exploitation des travailleurs, en particulier des jeunes ? 

À cette question, qui a clairement été posée maintes fois, a suivi la semaine dernière une discussion justement à ce sujet. En effet vendredi dernier au Palazzo Chigi à Rome, siège du gouvernement, toute l’opposition s’est unifiée et a proposé un salaire minimum de neuf euros par heure.

Giorgia Meloni, n’a pas apprécié l’initiative de l’opposition, qui a entre-temps lancé une pétition pour l’instauration d’un salaire minimum, profitant aussi du moment opportun pour tenter un retour au premier plan. Il faut dire que le fait d’institutionnaliser un salaire minimum risque également à sa manière de renforcer le perpétuel problème du travail au noir. Le gouvernement devrait alors instaurer des contrôles afin d’éviter que les employeurs ne licencient bon nombre de leurs employés de peur de ne pas être en mesure de les rétribuer. Sans oublier pour autant de les soutenir pour justement leur permettre de faire face à l’augmentation des salaires.

Giorgia Meloni prétend être ouverte à l’instauration d’un salaire minimum, mais les propos de cette dernière jusqu’à ce jour démontrent plutôt le contraire. Elle souligne d’ailleurs que cela risquerait de faire chuter plus de salaires que de les rehausser. La Présidente du Conseil ne propose pour l’instant aucun plan concret et semble vouloir s’appuyer sur le Conseil national de l’économie et du travail, qui devrait mettre en place une proposition endéans les deux mois.

L’unité de l’opposition pourrait cependant forcer la Présidente du Conseil à agir. Cette demande est faite à l’unisson, et il ne faut pas oublier qu’avec la mort de Silvio Berlusconi, le 12 juin dernier, une partie de ses électeurs membres de la coalition du gouvernement, pourrait changer de camp. Les électeurs de Forza Italia, parti du défunt, ne représentaient que huit pour cent de la coalition de droite au moment des élections en 2022. Ils pourraient cependant, grâce à l’énorme polémique suscitée par l’abolition du reddito di cittadinanza et de l’instauration d’un salaire minimum, jouer un rôle en cas de désaccord, ce qui déstabiliserait le gouvernement de Giorgia Meloni.

Pour l’instant cependant rien ne semble faire vaciller la Présidente du Conseil qui a le vent en poupe et l’opposition n’aura peut-être pas l’essor espéré. Il reste à voir si les différents partis réussiront à trouver une solution aux évidents problèmes provoqués par cette abrogation ou si cette mesure se révélera réellement être une guerre contre les pauvres.

Sara Montebrusco
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