Président du Conseil de pas moins de quatre gouvernements, géant médiatique, l’antipolitique par excellence, milliardaire et roi des scandales, Silvio Berlusconi est l’une des figures les plus célèbres de la politique italienne.
Il s’est éteint à Milan le 12 juin à l’âge de 86 ans

Berlusconi : La fin d’une époque

d'Lëtzebuerger Land du 23.06.2023

« Silvio, Silvio », les chants populaires retentissent dans les rues de Milan. 10 000 personnes se sont rendues mercredi 14 juin devant le Duomo de Milan pour dire adieu à Silvio Berlusconi, l’accès ayant été limité par la préfecture italienne pour des raisons de sécurité. À cette foule s’ajoutent les 2 300 personnes admises à l’intérieur de la cathédrale.  Parmi les personnes présentes ont pouvait entrevoir des visages connus, comme celui de l’actuelle Présidente du Conseil, Giorgia Meloni, le Président de la République italienne, Sergio Mattarella, l’ex Président du Conseil et ancien Président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, et même la nouvelle Présidente du parti démocratique, Elly Schlein. 

Il s’agissait donc là d’un événement national de grande envergure, qui aurait probablement plu au défunt.  Une union improbable des membres des différents partis politiques et du monde du spectacle italien. Alors que des funérailles nationales sont bien prévues par la loi italienne pour tous les anciens chefs d’État, cette journée a aussi été proclamée jour national de deuil. Ce qui n’était encore jamais arrivé pour un ex-Président du Conseil.

Cette décision de la part de l’État a certainement suscité de nombreuses polémiques et on peut se demander ce qui la justifie. Ainsi le Cavaliere quitte la scène de la même manière qu’il a vécu, faisant couler beaucoup d’encre. 

En effet, le fait que sa mort ait fait la une des journaux ne surprend probablement personne : Silvio Berlusconi est l’un des personnages italiens les plus célèbres des trente dernières années. Il était l’un des hommes les plus riches d’Italie et l’on
estime son patrimoine au moment de sa mort entre 6 et 7 milliards d’euros ! 

Le Milanais a commencé sa carrière en tant qu’entrepreneur dans le marché de l’immobilier au début des années soixante. Une dizaine d’années plus tard, il construit un nouveau quartier résidentiel à Milan et en 1978, il rachète une chaîne de télévision fondée quelques années auparavant, émettant justement depuis le quartier qu’il avait construit. C’est là que son esprit astucieux se manifeste : grâce à cette nouvelle acquisition, il se fait lui-même de la publicité. À partir de ce moment-là un nouveau monde s’ouvre à Berlusconi. Il s’agit là du premier pas qui le mènera à devenir un géant des médias. Il a compris au bon moment l’avenir commercial de la télévision, il a importé le consumérisme à l’américaine et une nouvelle façon de faire de la publicité en Italie.

Il va progressivement rassembler d’autres petites chaînes sous Canale 5. Rete 4 et Italia 1 s’ajouteront peu de temps après ; chaînes qui vont par la suite être regroupées sous Mediaset, le groupe médiatique fondé par Berlusconi. La Rai, principal groupe audiovisuel public en Italie, n’a évidemment pas vu de bon œil l’émergence de cet ennemi médiatique. Ensemble, ces petites chaînes avaient en effet atteint la même audience que la première chaîne publique italienne. Afin de restreindre le nombre de transmissions des chaînes Mediaset, la Rai décide de porter plainte, ce qui aurait dû limiter le nombre de transmissions de ces chaînes. Cependant, le gouvernement de Bettino Craxi, ami de Silvio Berlusconi, va intervenir en promulguant un décret autorisant la concentration des médias, le fameux « décret Berlusconi ». Ce décret jugé anticonstitutionnel, fut cependant confirmé par la loi Mammì en 1990 ce qui a grandement joué en faveur du politicien. 

En 1986, Berlusconi va étendre son emprise médiatique à l’étranger, notamment avec le lancement de la Cinq en France, et des chaînes en Allemagne et en Espagne. En 1990, il va également racheter la maison d’édition Mondadori. 

À la même époque, en 1986, il devient propriétaire du club de football AC Milan qu’il revendra à l’entrepreneur chinois Li Yonghong en 2017 pour 740 millions d’euros. Sous Berlusconi, le club remporte plus de titres que sous n’importe quel autre propriétaire. En effet en 31 ans l’AC Milan remporte 29 titres parmi lesquels huit championnats d’Italie et pas moins de cinq Champions League. Avec son amour pour le foot, Silvio Berlusconi montre une autre facette de son caractère, ce qui l’a rendu plus sympathique auprès d’une partie de la population.

Il a donc su fonder un empire médiatique, duquel il a, au fil des années, fait usage pour attirer l’attention du peuple italien et se faire de la publicité, comme il l’avait déjà fait auparavant en tant qu’entrepreneur. Il a ainsi utilisé les médias pour convaincre ses spectateurs, surtout pendant de sa carrière politique. 

Mais ce n’est qu’en 1993, à l’âge de 57 ans, que Silvio Berlusconi décide d’entrer en politique. En janvier 1994 il fonde le parti de droite Forza Italia, duquel il est resté chef de file jusqu’à sa mort. Seulement deux mois après sa fondation, le parti remporte les élections de mars 1994. Silvio Berlusconi est ainsi élu peu de temps après Président du Conseil italien, sans avoir jamais occupé de poste en politique. Outre ce triomphe, il peut également se vanter d’avoir été pendant presque dix ans à la tête de quatre gouvernements différents (1994-1995, 2001-2005, 2005-2006, 2008-2011). Il s’agit là d’un record dans l’histoire politique italienne d’après-guerre. 

L’ascension spectaculaire de Silvio Berlusconi, fait naturellement naître certaines questions sur sa légitimité. En effet, le politicien était également membre de la loge maçonnique « Propaganda Due » qui déclare vouloir libérer l’Italie du communisme. Outre à son adhésion à cette association secrète, il a été plusieurs fois reproché à Berlusconi d’avoir des liens avec la Mafia italienne, qui aurait contribué à sa réussite. 

Plus largement, Berlusconi est surtout connu pour ses nombreux faux-pas et ses scandales à répétition qui ont émaillé toute sa vie. Il est donc compréhensible que de nombreuses voix condamnent la décision de l’État italien d’avoir fait du jour de ses funérailles un jour national de deuil. C’est le cas de l’ancienne Présidente du parti démocratique Rosy Brindy, qui souligne que ceci marque de manière négative l’histoire de l’Italie. Berlusconi avait en effet souvent lâché des blagues déplacées sur la politicienne – comme il l’avait d’ailleurs fait envers beaucoup d’autres – montrant une fois de plus son côté machiste et sexiste. Ce travers s’est reflété maintes fois dans les nombreux scandales sexuels dont il a fait l’objet et la la mode qu’il a lancée de glorifier l’objectification ridicule des femmes à la télé et dans la vie de tous les jours. Phénomène que l’on peut encore voir aujourd’hui dans de nombreux shows télévisés italiens.

Ces aspects semblent être ignorés, ou pire cautionnés, par une partie de la population, qui a peut-être succombé aux jeux publicitaires vendus au peuple par le talentueux homme d’affaires. S’il est juste de respecter les défunts, et de reconnaître leurs qualités, on ne peut pas simplement oublier les très nombreux côtés négatifs du personnage : les nombreux scandales et les 36 procès surtout liés aux finances – comme des évasions fiscales, falsifications des états financiers – mais également pour corruption et diffamation.  Il a été acquitté dans la plupart de ces procès, cependant ceux-ci restent douteux et quatre étaient encore en cours au moment de sa mort.

En 2013, Berlusconi est finalement condamné pour fraude fiscale à une peine de quatre ans, réduite à un an et commuée en travaux sociaux, vu son âge avancé. Il est alors exclu de tout mandat politique jusqu’en 2019. Il promet de revenir, comme il l’a toujours fait. Cette inaltérabilité est ce qui a fait penser à certains que Silvio Berlusconi aurait ressurgi de son cercueil.

Pour le saluer une dernière fois, certains politiciens ont fait le voyage depuis l’étranger, comme le Premier ministre hongrois Viktor Orbán, le Président irakien et l’émir du Qatar. Mais l’absence de bon nombre de personnalités étrangères est assez étonnante, surtout si l’on considère l’impact que Berlusconi a eu également en dehors de l’Italie. Sa façon de faire de la politique et cette manière de se présenter comme antipolitique, libéral jusqu’au bout, a en effet inspiré de nombreux populistes dans le monde. Il a ainsi créé une toute nouvelle ère de la politique. On peut donc lui reprocher beaucoup de choses, mais sûrement pas de ne pas avoir été innovateur en Italie.

La politique de Berlusconi, tout comme son parti, ne jouissaient plus en ces dernières années du même poids politique qu’auparavant. Forza Italia, n’avait su que s’assurer autour de huit pour cent des votes lors des dernières élections. Et même si Forza Italia fait partie de la coalition de droite formée en septembre dernier sous Giorgia Meloni, c’est partiellement dû au lien qui uni le parti de cette dernière à celui de Berlusconi. Une longue histoire les rassemble. En 2008, sous son dernier mandat en tant que Président du Conseil, Berlusconi avait nommé Meloni ministre de la Jeunesse, alors qu’elle était encore membre de Forza Italia. Il reste à voir si la mort de son fondateur, mènera le parti a une réforme et lui permettra de renaître ou si le bateau coulera définitivement avec son capitaine. En tout cas, sa disparition semble avoir provoqué un sursaut et d’après les sondages politiques effectués le 16 juin, Forza Italia gagnerait 3,5 pour cent et passerait ainsi à presque douze pour cent d’intentions de votes. Cela renforcerait le gouvernement Meloni, qui craint que les votes de Forza Italia se dispersent vers d’autres partis, déstabilisant ainsi le gouvernement. C’est Antonio Tajani, membre fondateur du parti, actuellement vice-président et ministre des Affaires étrangères, qui prend temporairement la responsabilité du parti jusqu’au congrès, lors duquel un nouveau président sera élu. Il promet que Forza Italia persistera, suivant les enseignements de son créateur et que le parti restera « un grand parti libéral, chrétien, réformiste ainsi que pro-européen et pro-atlantiste ». Le rêve de Silvio Berlusconi semble donc continuer grâce à ses « disciples ». Bien qu’il était un personnage plus que controversé, sa mort a bouleversé le pays. Dans les rues on entend en effet toutes sortes de réactions et beaucoup défendent assidûment le politicien et ne tolèrent aucune critique. Mais au milieu de toute cette polémique, si typiquement berlusconienne, une chose est claire : Silvio Berlusconi a profondément marqué l’Italie. Avec sa mort se tourne une page pour le pays et le 12 juin signe ainsi la fin d’une époque, même si son héritage continuera sans nul doute à perdurer.

Sara Montebrusco
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