Trolls

Popular Science capitule face aux trolls

d'Lëtzebuerger Land vom 04.10.2013

Le magazine américain de vulgarisation scientifique Popular Science a pris il y a quelques jours la surprenante décision de mettre purement et simplement fin à la possibilité de poster des commentaires sous les articles qu’il publie sur son site d’informations en ligne. En cause : les trolls, qui ont envahi cet espace de leurs incessantes diatribes au point d’affecter durablement, et négativement, la perception des idées exposées dans ces articles. Suzanne LaBarre, rédactrice en chef des contenus en ligne, s’en explique : « Il ne s’agit pas exclusivement du spambotting politique. Ma section de commentaires a été attaquée depuis environ un mois par des spambots allemands qui vendent des sacs à main de contrefaçon. Ils ne vendent pas de sac à mains ici, mais c’est possible, bon marché et entièrement automatisé, alors pourquoi pas ? Internet et la blogosphère ne sont plus ce qu’ils étaient ».

Mais on se doute bien que ces pubs aggressives pour des sacs à main ne sont que la goutte qui a fait déborder le vase, et que ce qui a poussé Popular Science à fermer ses espaces de débat en ligne a une forte teneur politique. « Les racines de l’actuel lyssenkisme organisé de type guerre culturelle étaient présents dans les structures du Net il y a longtemps. Ce n’est pas parce que les scientifiques l’ont inventé qu’ils peuvent le garder », poursuit Suzanne LaBarre.

Le lyssenkisme désigne le contrôle politique centralisé exercé sur la génétique et l’agriculture par l’agronome et apparatchik soviétique Trofim Lyssenko et ses adeptes de la fin des années 1920 jusqu’en 1964, au nom de théories douteuses sur la transmission génétique. Le terme désigne aujourd’hui métaphoriquement, explique Wikipédia, « la manipulation ou la déformation de la méthode scientifique pour soutenir une conclusion pré-déterminée, souvent liée à un objectif social ou politique ».

Popular Science (« PopSci ») existe depuis près d’un siècle et demi. Que son site web renonce à sa section de commentaires (sauf exceptions) en dit long sur l’agressivité des trolls, ces agents provocateurs qui lancent des opinions extrêmes, sans les étayer, en les saupoudrant souvent d’insultes à l’égard des autres commentateurs, comme

ceux qui dans les westerns lancent une bagarre généralisée dans un saloon et s’adossent ensuite confortablement au comptoir pour jouir du spectacle.

Nombreux sont les internautes qui, lorsqu’ils consultent un article en ligne, regardent aussi

les commentaires que celui-ci a suscités. Suivant la qualité du public que le site attire et les méthodes de modération qu’il emploie (ou dans certains cas l’absence de modération), ceux-ci sont souvent un remarquable pot-pourri d’observations plus ou moins pertinentes sur le thème de l’article, de discussions ad-hoc ou hors-sujet, reflétant dans le meilleur des cas l’éventail des opinions sur une thématique donnée et permettant de prendre le pouls de la « vox populi ».

LaBarre cite une étude effectuée sur des lecteurs d’articles en ligne sur les nanotechnologies qui a démontré que la nature des commentaires influençaient fortement la perception de ces articles, en la polarisant, notamment lorsque une seule attaque ad-hominem parmi les commentateurs s’avérait suffisante pour modifier l’idée qu’ils s’étaient faite jusque-là du sujet de l’article. « Si vous allez au bout de la logique de ces résultats – les commentateurs forment l’opinion publique ; l’opinion publique détermine les politiques publiques, et les politiques publiques déterminent comment et quelle recherche est dotée de fonds – vous commencez à comprendre pourquoi nous nous sommes sentis obligés de pousser sur le bouton off ». écrit-elle. « Tout, depuis l’évolution aux origines du changement climatique, est à nouveau, de manière erronée, sujet à contestation (...) Et parce que les sections de commentaires tendent à être une réflexion grotesque de la culture médiatique qui les entourent, le travail cynique consistant à miner les théories scientifiques de base est à présent effectué sous nos propres articles, au sein d’un site web consacré à la défense de la science ». Qu’un monument de la vulgarisation scientifique comme PopSci soit le premier à rendre ainsi les armes en dit long sur l’intensité des guerres idéologiques menées aujourd’hui contre la science.

Jean Lasar
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