Twitter

Le dilemme #TwitterIPO

d'Lëtzebuerger Land vom 20.09.2013

La perspective de voir Twitter introduit en bourse est loin d’avoir fait bondir de joie la plupart de ses utilisateurs. La nouvelle était attendue depuis quelque temps ; lorsque le site de micro-blogging a émis un tweet le 12 septembre à 23.00 heures pour annoncer avoir effectué les premières démarches en vue de lancer sous peu une IPO (Initial Public Offering) qui en ferait une société cotée, l’imagination de Wall Street a bien entendu joué à fond, et le hashtag #TwitterIPO s’est emballé. Le consensus des analystes a valorisé Twitter à quelque 16 milliards de dollars.

Comment Twitter va-t-il gagner de l’argent ? En introduisant davantage de publicité ciblée dans ses flux, ont répondu les experts, en prenant soin de noter que Twitter les saupoudrait déjà de tweets promotionnels et que la nature du service ne changerait donc pas fondamentalement. Une fois livré au bon vouloir d’actionnaires avides de dividendes, le management réussira-t-il à résister à leurs demandes de générer toujours plus de profit en plaçant toujours plus de publicité, se sont en revanche demandé de nombreux autres commentateurs.

Depuis sa création, Twitter a brillé par sa capacité à surmonter les défis techniques, à inventer de nouveaux usages et à attirer de nouveaux publics sans avoir dû se transformer en galerie publicitaire. À ce jour, avec ses tweets promotionnels assez discrets, Twitter a évité l’écueil de la marchandisation à outrance que l’on reproche tant à Facebook. Certains utilisateurs faisaient remarquer que si l’on prend en compte la création par Twitter d’une sorte de conscience planétaire immédiate constituée d’une myriade de voix individuelles, d’un champ de parole et d’interaction qui n’existait pas auparavant, on est somme toute loin du compte avec cette valorisation supposée de 16 milliards de dollars. Du moins à l’aune de cette dimension de forum planétaire en temps réel.

Inversement, les financiers de Wall Street sont bien obligés de prendre en compte cette dimension pour arriver à leur valorisation, car en l’état, et sans une démarche volontaire d’augmentation de ses revenus publicitaires, Twitter est loin de valoir cette somme.

Le magazine Wired a bien résumé le dilemme devant lequel se trouve le management de Twitter : dans son analyse intitulée « Why a Killer Twitter IPO Could End Up Killing Twitter », il explique que le service de micro-blogging est bien placé pour engranger force recettes publicitaires, mais que ce faisant, il risque de s’aliéner ses utilisateurs. Twitter a doublé ses revenus tirés de la publicité en 2012, et devrait les doubler à nouveau cette année pour les porter à 582 millions de dollars, alors que le marché de la publicité sur les réseaux sociaux est en plein essor. Contrairement à Facebook qui a sans doute fait le plein ou presque de ses utilisateurs potentiels actuels, Twitter, à 200 millions, peut encore espérer augmenter considérablement sa base.

À la fois atomisé et intégrateur, du fait de ses hashtags et de son fonctionnement fiévreux, l’univers de Twitter suppose des algorithmes de plus en plus précis pour servir des publicités ciblées. Wired cite le patron d’une start-up récemment rachetée par Twitter, MoPub, qui permet aux annonceurs d’acquérir des espaces publicitaires sur réseaux sociaux lors d’enchères en temps réel, affirmant que Twitter n’avait pas l’intention d’augmenter le volume des publicités insérées dans son service et que l’entreprise n’avait aucunement l’intention de changer ses « seuils de qualité ». Peut-on espérer que Twitter résistera à la pression de ses futurs actionnaires et que son entrée en bourse finira par le renforcer et le pérenniser ? Il serait dommage que ce ne soit pas le cas.

Jean Lasar
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