Oublions un instant la tempête médiatique, mélange malsain d’envie et de détestation, qui entoure le bitcoin alors qu’il évolue insolemment au-dessus des 15 000 dollars. La blockchain qui a l’a rendu possible, cette technologie qui fait appel à la cryptographie et aux réseaux distribués d’ordinateurs, a gagné en visibilité grâce au succès du bitcoin. Mais ceux qui critiquent cette nouvelle coqueluche des spéculateurs, que ce soit parce qu’elle constitue à leurs yeux une bulle sur le point d’exploser en laissant des investisseurs sur le carreau ou parce qu’ils craignent qu’elle n’inhibe la capacité d’intervention des banques centrales, ont tendance à jeter le bébé avec l’eau du bain. Indépendamment du bitcoin, la blockchain est un univers en plein foisonnement, animé par des codeurs visionnaires ayant perçu son potentiel et qui s’échinent à la faire évoluer et à lui faire surmonter ses défauts d’enfance.
Une jeune ingénieure de la Silicon Valley, Preethi Kasireddy, qui s’est découvert une passion pour la blockchain et a fait le constat que cette fois-ci, ce n’est pas cette région de la Californie qui mène la danse, a fait le point avec brio sur les principaux axes de recherche qui animent la communauté informelle de ces développeurs. Le succès du bitcoin et d’autres coins qui sont venus après lui, à commencer par l’ether déployé sur la plateforme Ethereum, ne doit pas en effet masquer les importantes faiblesses qui inhibent encore le déploiement de cette technologie au pouvoir transformateur considérable.
Pour s’affranchir de l’autorité d’une instance centrale dépositaire du registre officiel des transactions et garantir leur caractère décentralisé, la plupart des versions de la blockchain déployées à ce jour ont opté pour des solutions qui ont pour conséquence de limiter fortement la capacité du réseau. Un obstacle majeur pour l’utilisation de leurs tokens comme moyen de paiement, mais aussi pour d’autres usages : les plateformes bitcoin et Ethereum sont engorgées en permanence, ce qui retarde beaucoup leurs opérations. Renoncer aux mécanismes qui ont pour effet de freiner le rythme des transactions – le fait que chaque nœud participant doive traiter l’ensemble des transactions – reviendrait à exposer les plateformes à des attaques qui les compromettraient presqu’immédiatement. Le défi est donc de concevoir des architectures innovantes sans mettre en cause ni le caractère décentralisé ni la sécurité des plateformes.
Les solutions envisagées consistent à effectuer les transactions ou les calculs liées aux transactions en « off chain », c’est-à-dire sur des sous-réseaux plus agiles, à recourir au sharding, une solution de fragmentation des agglomérats de données déjà utilisée dans certaines bases de données classiques, ou encore aux « graphes acycliques orientés » qui proposent un concept séquentiel. Mais Preethi Kasireddy prévient que ces différentes solutions ont « quelques limitations / faiblesses fondamentales qui doivent encore être réglées » avant que ce problème d’échelle ne soit surmonté.
Pour certaines applications, les blockchains telles qu’elles existent aujourd’hui ne protègent pas suffisamment le caractère privé des données qui peuvent ou qui pourraient y circuler. Une solution possible, dite des adresses à courbe elliptique Diffie-Hellmann-Merkle, fait appel à un secret partagé. Monero requiert la signature provenant d’un groupe plutôt que d’une adresse unique. Les preuves dites « sans connaissance », de type défi-réponse ou zk-SNARK, combinables à d’autres ressources, ou l’obfuscation de code, sont d’autres options envisagées.
Un autre problème est celui de la construction de consensus, pour laquelle intervient aujourd’hui le dispendieux « proof of work », à l’origine de l’empreinte carbone insoutenable des grandes blockchains, surtout celle du bitcoin. L’alternative dite « proof of stake » qu’envisage d’introduire Ethereum présente ses propres inconvénients. Un autre souci de taille est l’absence d’outils de développement simples et fiables.
Il n’est donc pas exagéré de comparer le stade actuel de développement de la blockchain à celui d’Internet il y a une vingtaine d’années, à l’époque de Netscape, Eudora ou ICQ. Cette approche aide à prendre du recul par rapport aux débats enflammés que déclenche la forte valorisations du bitcoin et à envisager un avenir où s’épanouiront des versions bien plus accomplies de la technologie.