Chronique Internet

Facebook reconnaît accepter des annonces discriminantes

d'Lëtzebuerger Land du 24.11.2017

Après une enquête de l’agence ProPublica dont les résultats ont été révélés cette semaine, Facebook a dû platement reconnaître avoir failli à ses propres règles et à la législation américaine interdisant toute discrimination raciale lors de la publication d’annonces immobilières.

ProPublica, une agence de presse d’investigation à but non lucratif basée à New York, a rédigé des douzaines d’annonces immobilières, les a soumises pour publication au réseau social en les accompagnant de critères de diffusion délibérément discriminantes et a mesuré à chaque fois le temps s’écoulant entre soumission et approbation. Dans la plupart des cas, rapporte-t-elle, il n’a fallu attendre que quelques minutes pour obtenir le feu vert du réseau. Une annonce proposant de louer un appartement avec pour critère de diffusion explicite d’exclure de la cible les Afro-Américains, les Américains d’origine asiatique et les publics hispanophones a ainsi été approuvée en moins d’une minute, a précisé ProPublica.

La législation américaine prohibe toute discrimination raciale dans les annonces immobilières, d’emploi et de crédit. Dans le domaine immobilier, c’est le Fair Housing Act qui fixe les règles : il interdit, tant pour la vente que pour la location de logements, les annonces qui « indiquent une préférence, limitation ou préférence fondée sur la race, la couleur de peau, la religion, le sexe, le handicap, le statut familial ou l’origine nationale » ; les contrevenants s’exposent à des amendes de plusieurs dizaines de milliers de dollars.

Pourtant, Facebook avait déjà été pris en flagrant délit en 2016 sur ce même terrain, après qu’il eut été démontré que le réseau acceptait comme critère de diffusion de ne cibler que les publics blancs. En février dernier, il avait alors annoncé la mise en place d’un dispositif censé éviter ce genre de dérapage, avec un filtre éliminant d’emblée certains critères ouvertement discriminants et des écrans d’auto-certification sur lesquels les annonceurs étaient invités à confirmer le caractère non-discriminant de leurs annonces.

Cela n’a pas empêché les annonces assorties de critères excluant explicitement des catégories telles qu’Afro-Américains, mères de lycéens, personnes nécessitant des rampes pour handicapés, Juifs, expatriés d’Argentine ou hispanophones, d’être acceptées ces dernières semaines lors de l’enquête menée par ProPublica. « C’est un échec dans l’application (de nos règles) et nous sommes déçus de ne pas avoir été à la hauteur de nos engagements », a reconnu Facebook.

Comme le note l’agence, la personne chargée du dossier du logement par le président Trump, Ben Carson, ne semble pas être particulièrement préoccupée par la problématique de la discrimination : en 2015, Carson avait critiqué les « tentatives du gouvernement d’imposer l’égalité raciale à coup de législation » dans le domaine immobilier. Clairement, ce n’est pas du côté de l’administration Trump que viendra la pression requise pour éradiquer le racisme rampant qui empoisonne le marché immobilier américain.

On peut être tenté d’argumenter que, par rapport aux annonces ouvertement discriminantes que les journaux publiaient sans sourciller il y a encore un demi-siècle, il y a un progrès dans la mesure où il n’y a plus aujourd’hui de discrimination explicite dans les annonces elles-mêmes. Mais est-ce vraiment un progrès si cette ségrégation, qui profite désormais, en s’y cachant, du ciblage ultrafin rendu possible par les algorithmes des réseaux sociaux, et devient de ce fait bien plus difficile à débusquer et à éliminer ? La publicité ultra-ciblée réduit certes les coûts des annonceurs et évite le gaspillage, mais ce n’est pas une raison pour accepter qu’elle en arrive à contribuer, dans le cas de l’immobilier, à un modelage occulte des profils ethniques des quartiers et à faciliter, dans le contexte de polarisation politique extrême qui prévaut aux États-Unis, le charcutage électoral connu outre-Atlantique sous le terme de « gerrymandering ».

Jean Lasar
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