Le cadre est prestigieux et les affiches à la hauteur de la flatteuse réputation du lieu. À la Philharmonie, quand la situation sanitaire le permet, orchestres et solistes font la fête à la musique, tous genres et toutes époques confondus. Le 21 janvier, c’était au tour de l’ « Artiste en Résidence », Leonidas Kavakos, à la tête de l’orchestre maison, d’investir le temple dédié à Euterpe, avec, comme joker, le violoncelliste Gautier Capuçon, lequel s’impose, au fil du temps, comme un ambassadeur majeur du violoncelle.
Ce virtuose aguerri accède à 39 ans à la pleine maturité, lui qui a depuis longtemps montré qu’il n’était pas seulement le benjamin de son frère Renaud, le violoniste. Gautier attaque, en lever de rideau, le Concerto n° 1 de Haydn, celui que l’on a longtemps considéré comme perdu, et qui n’a été retrouvé qu’en 1961 à Prague. Le violoncelle, dont la tessiture est si proche de la voix humaine, fut toujours un des instruments préférés du compositeur attitré des Esterházy, et il est heureux qu’il ait eu l’occasion de le magnifier dans plus d’un concerto.
Secondé par des Opéliens pétaradants, le dynamique virtuose français s’y donne à cœur joie, s’y déchaîne littéralement, faisant montre d’une furia échevelée dans les mouvements rapides, pris à un tempo d’enfer et agrémentés de cadences vertigineuses, vrais numéros de haute voltige, mais sachant aussi faire patte de velours dans le très chantant Adagio médian, où il trouve tantôt des nuances qui semblent étrangement mûres de par leur « abandon », tantôt des coups d’archet frémissants qui font vibrer les cordes et les cœurs et nous font faire un pas sur le chemin du paradis.
Le Savoyard maîtrise cette page de haute main. Sa lecture séduit, d’emblée, par la beauté enivrante de sa sonorité instinctive et racée, d’autant plus qu’il en déjoue tous les pièges sentimentaux et qu’il l’épure de son jeu chaleureux et expansif, lumineux et transparent, mais, toujours, merveilleusement profond. Quant à Kavakos, soucieux de faire vrombir l’OPL « alla Haydn », d’en bander tous les ressorts, mélodiques, harmoniques, rythmiques, il joue la carte du lyrisme expressif, en offrant un bel accompagnement à l’archet d’une tendresse transfiguratrice du soliste - ce en quoi il se révèle, lui aussi, comme un interprète haydnien du meilleur aloi. Nulle outrance, chez lui, mais une gestuelle noble qui confère à l’œuvre sa grandeur, une retenue de tous les instants, un classicisme altier. Sommet émotionnel du concerto : l’Adagio, mouvement expressif d’une douceur méditative qui met en exergue ce que le violoncelle de Capuçon (le Goffriler « Ambassadeur » de 1701) a de profondément nostalgique. Voilà, ma foi, du bon Haydn !
Après la pause, on attendait de voir – et d’entendre – ce que le chef invité allait faire avec l’OPL de la belle et plutôt rare Septième Symphonie de Dvorak. Eh bien, on ne peut que s’incliner devant l’art consommé dont fit preuve l’Athénien d’un bout à l’autre de la partition : sa promptitude à souligner, à bon escient et avec une mâle élégance, les ébouriffantes bourrasques de l’Allegro maestoso initial, solennel et expressif à l’envi, chantourné de réminiscences patriotiques ; les splendeurs sonores et langueurs tristaniennes du splendide et térébrant Poco adagio, l’une des pages majeures du compositeur ; les accents typiquement tchèques du Scherzo-Vivace ; la fougue bien dvorakienne du Finale d’esprit viscéralement rhapsodique et d’une sensibilité toute tzigane, quand bien même l’énergie florissante que le chef impulse aux mouvements vifs conduit à quelques excès. C’est, d’ailleurs, sans doute cette vitalité prodigue du maestro méridional qui reste présente à l’esprit après coup.
L’un dans l’autre, cette Septième exalte ce qu’avec Kundera nous appellerons « l’insoutenable légèreté de l’être », sans que soient négligées l’éclatante plasticité des épisodes cinétiques, la vigoureuse carrure des tuttis ou encore l’hypnotique gravité des épisodes frappés au sceau du plus pur lyrisme slave. Une réalisation idiomatique, toute empreinte qu’elle est des fragrances des forêts de Bohème. De quoi monter au septième ciel ! Que dire de plus de musiciens qui, non contents de nous offrir, en ces temps troublés et douloureux, un somptueux bouquet de plaisirs, se permettent de passer un moment de bonheur ensemble, sinon que, nous aussi, nous avons éprouvé le même bonheur ?