Après deux ans avec de chefs invités, l’Orchestre de chambre du Luxembourg (OCL) s’est enfin doté d’une direction musicale et artistique digne de ce nom en la personne de Corinna Niemeyer, nommée pour quatre années. Cette nomination fait suite à un mandat de deux ans en tant que cheffe assistante à l’Orchestre philharmonique de Rotterdam. Cette Allemande de
34 ans, qui parle un français impeccable, formée à Munich, Karlsruhe et Zurich, avait été invitée à diriger l’ensemble luxembourgeois en février 2020. Cette expérience et « l’entente parfaite » avec l’orchestre l’a motivée pour la suite. Rencontre lors d’une de ses visites au Luxembourg en amont de la première saison qu’elle dirigera.
d’Land : Commençons au commencement : comment est née chez vous l’envie de faire de la musique et d’en faire votre métier ?
Corinna Niemeyer : Je n’ai pas grandi dans une famille de musiciens, mais par un heureux hasard, j’ai commencé le violoncelle à l’âge de cinq ans. J’avais une professeure très enthousiaste qui m’a transmis cet enthousiasme et j’ai très vite aimé non seulement jouer, mais jouer avec d’autres. À quatorze ans, j’ai commencé à jouer avec l’orchestre du lycée et j’ai été séduite et émue par le timbre d’un ensemble, par l’énergie qui se dégage à jouer ensemble. De là est venue l’envie de transmettre cet enthousiasme, cette émotion que me procurent la musique, et donc de travailler comme professeure de musique. Durant mes études au Conservatoire supérieur de Munich, j’ai eu des cours de direction de chœur et d’orchestre. Cela faisait partie du cursus. Lors de mon examen final, j’ai eu ce déclic en dirigeant l’orchestre des étudiants du Conservatoire : Je voulais faire ça, c’est ma vocation, c’est avec cette intensité que je veux transmettre la musique. J’ai donc postulé pour la formation de chef d’orchestre, une formation que j’ai suivie au Conservatoire de Zurich.
Et vous en avez fait votre métier, plutôt que d’exercer le violoncelle ?
J’adore ce métier, j’adore le son d’un orchestre, son timbre, la richesse et la variété de la musique orchestrale, le fait d’être ensemble, de jouer ensemble. Dans le travail de direction, il y a un aspect de communication qui me passionne, à la fois avec l’orchestre et avec le public. Je suis heureuse d’avoir trouvé ce chemin, qui n’est pas si éloigné de la position du violoncelliste qui, jouant la basse continue est une sorte de moteur pour l’orchestre. Cet instrument donne les impulsions au groupe et je retrouve ces sensations lorsque je dirige.
Qu’est-ce qui vous a motivée à postuler pour la direction de l’OCL ?
En ayant été invitée à diriger l’orchestre pour un concert, j’ai senti une envie musicale très importante. J’ai senti un engouement de la part de tous les musiciens et une envie de s’engager qui est d’autant plus importante que c’est un petit ensemble (une trentaine de musiciens, ndlr). En plus, c’est un orchestre qui n’est pas focalisé sur un répertoire spécifique, mais qui est capable de jouer des œuvres de différents répertoires, styles et époques avec une belle ambition. Mon envie désormais est de travailler encore plus le potentiel de cet orchestre et de développer son ancrage dans le Luxembourg à travers une ouverture vers la société et le public. La musique a apporté beaucoup de richesse à ma vie et il m’importe de partager cet enthousiasme avec le public.
Comment allez-vous orienter votre programme pour les saisons à venir ?
Le fait d’être un orchestre de chambre, de 33 musiciens focalise en partie le répertoire, mais il existe quantité de productions musicales pour ce type de formation, depuis le milieu du seizième siècle à nos jours. Je souhaite construire des programmes qui traversent les époques et les styles. Pour moi, un programme, c’est comme un voyage avec différents paysages ou des paysages vus de différents angles. C’est ce changement de perspective qui m’intéresse beaucoup. On commence avec un public neutre, qui arrive du dehors. Le premier morceau doit l’ouvrir et lui donner envie de découvrir le deuxième. C’est une construction de petites pièces où il est intéressant de ne pas se limiter à une époque. Ce sera par exemple le cas d’un concert que je dirigerai en avril avec un programme de Ravel et Piazzola. Je pense qu’on pourra retrouver certaines couleurs musicales chez l’un et chez l’autre.
Qu’en est-il du public ? Comment l’attirer, le développer ?
Je suis devenue musicienne pour transmettre la richesse des émotions de la musique. Le public est donc central pour moi. Le public, c’est toute la société, même si certains projets sont ciblés pour certains public. Il faut s’intéresser à ceux qui viennent et surtout à ceux qui ne viennent pas. Il n’est pas nécessaire de venir au concert avec des connaissances musicales, même si ces connaissances peuvent apporter des perspectives en plus. Il faut se faire confiance et faire confiance à ce qu’on ressent. Ces programmes ouverts, variés, permettent de donner des accès à différentes personnes : il y a des musiques narratives, d’autres dramatiques ou contemplatives voire spirituelles... Si une porte ne vous plait pas, vous pouvez emprunter une autre.
Nous vivons une époque de crise, assez anxiogène. Pensez-vous que la musique a une rôle à jouer dans ce contexte ?
Oui, absolument. La musique a un pouvoir extraordinaire de transformer les humeurs et les émotions. Ainsi, la musique peut donner de l’espoir et consoler, offrir un horizon lumineux sur un plus long temps. Écoutez la cinquième symphonie de Beethoven en entier, vous verrez comment les émotions évoluent. Pour moi, c’est évidement important de vivre la musique en live pour se sentir plus impliqué dans le cheminement d’un morceau et se sentir en communion avec les autres spectateurs et les musiciens. C’est quelque-chose qui nous manque terriblement en ce moment.
On estime que seuls quatre à six pour cent des orchestres sont dirigés par des femmes. Comment avez-vous tracé votre chemin dans cet univers ?
(Elle réfléchit longuement) Il m’a fallu trouver le chemin par moi-même. On ne m’a pas proposé cette formation, ce métier, il a fallu que j’y pense. Pendant mes cinq années d’études, j’ai été la seule femme, mais ce n’était pas une question. On ne m’a pas découragée, mais pas vraiment encouragée non plus. J’ai forgé ma motivation, ma voie… Le métier de chef d’orchestre est un métier visible, sans doute plus qu’une directrice d’hôpital ou une cheffe d’entreprise, mais il y a aussi très peu de femmes dans ces univers-là. Ce n’est pas à moi de m’habituer à être une femme dans ce monde très masculin, peut-être que l’orchestre ou au public doivent s’y faire, mais moi, je fais simplement mon métier.
Vous pensez avoir une mission vis-à-vis d’autres femmes ?
Je sais qu’il y a une curiosité autour de cette question et je sens une responsabilité sociétale d’y répondre, mais pour moi, l’enjeu est dans la musique. Il s’agit de faire en sorte que l’orchestre fonctionne, que mon institution soit performante, comme une entreprise doit être là pour ses clients et avoir de bons produits. Ce n’est pas une question de genre, mais une question de direction, de position, de performance. Je veux surtout mener un chemin musical qui soit de qualité. Je ne me sens pas être le porte-drapeau de quoi que ce soi. Je pense seulement faire le mieux possible et montrer l’exemple. Récemment, j’accueillais des enfants lors d’une répétition ouverte. À la fin, je leur ai proposé de venir diriger et spontanément, c’est une petite fille qui est montée sur le podium.
C’est quoi un bon chef d’orchestre ?
Un bon chef doit avoir des compétences musicales et des capacités sociales pour guider un groupe. Il faut les deux, même si ce n’est pas toujours le cas. Au point de vue musical, il faut de la curiosité, de l’ouverture pour bien lire et bien comprendre le message du compositeur, car nous en sommes les interprètes. Il faut donc bien lire, mais aussi bien transmettre à l’orchestre. Ce sont des aspects techniques, mais aussi des questions personnelles de sensibilité. Quand je lis la musique, c’est comme si je la préécoute dans ma tête, il réussir à transmettre cette écoute aux musiciens. Ensuite, il faut évidemment des qualités de chef, de leader pour rassembler les énergies pour les mener dans une direction commune. Enfin, il faut de la culture et des connaissances de la société pour construire un programme et emmener le public dans sa démarche..