Les doutes d’août

d'Lëtzebuerger Land vom 04.08.2023

Quand j’étais jeune, se posait toujours la question de ce que l’on faisait pour les vacances. Les oubliés « David et Jonathan » en avaient même fait une chanson. En réalité, le choix était surtout rhétorique : il y avait les juilletistes et les aoûtiens, comme on était de gauche ou de droite, Serge Gainsbourg ou Michel Sardou, Olympique de Marseille ou Paris Saint-Germain. Certaines familles partent à la montagne, d’autres à la campagne, et d’autres à la mer. Et même à la mer, rien à voir entre Atlantique et Méditerranée, où les adeptes du camping vivent une expérience différente de ceux qui ont opté pour l’hôtel club ou pour la location meublée.

Les vacances sont l’un des derniers moments où l’on peut encore cultiver l’illusion de forger son destin de ses propres mains, sur l’enclume de sa volonté, pendant deux ou trois semaines de liberté, loin des horaires fixes, de son réveil matin et des habitudes domestiques. Si l’on voulait se reposer, on resterait sous sa couette avec un bon livre, une bonne connexion Internet et en se faisant livrer des pizzas. Non, ce qu’on veut, c’est du changement. Partir pour échapper au rythme lancinant des habitudes. Ne pas suivre le GPS et prendre la petite départementale. Conduire cheveux aux vents en écoutant la radio trop fort, en roulant un peu trop vite, sans se soucier de son bilan carbone ni de la hausse des taux d’intérêt, jusqu’au moment où le flash du radar automatique vous ramène à la dure réalité.

L’éloignement de son domicile donne l’occasion de rompre avec ses habitudes, et de retrouver le goût de l’aventure. Par exemple, au supermarché local, il est probable que le rayon boulangerie se trouve là où votre instinct aurait placé les lessives en poudre. Et quand, après trois fois le tour des rayons, vous trouvez enfin où sont caché les gels douche, vous attend une grande surprise : les nouveaux parfums. On pensait que la relation compliquée des Français avec l’hygiène était un cliché, de l’histoire ancienne, mais comment expliquer qu’une marque bien connue commercialise désormais des gels douche parfum pop-corn, tartelette aux fraises, ou pancakes ? C’est une épreuve facile, vous ne cédez pas à la tentation d’une incursion dans ce monde parallèle où l’on se lave avec du caramel, et remplissez votre panier avec une marque certes différente de votre flacon fétiche, mais qui ne soulèvera pas l’indignation quand vous rentrerez au mobil-home.

L’été c’est la saison des choix, pour le meilleur et pour le pire. Rappelez-vous, il y a deux ans, une éternité, on hésitait entre Pfizer ou Moderna, et d’ailleurs, on ne l’avait pas vraiment, le choix. Cette année, se dessine une alternative entre canicule insoutenable ou pluie d’automne interminable. Dans les deux cas, impossible de passer l’après-midi dehors, et une fois épuisés les musées des alentours, et échappé de justesse à une troisième guerre mondiale à cause d’un désaccord sur les règles du Uno, on se dit qu’on irait bien au cinéma. C’est ainsi que l’on se retrouve avec l’improbable dilemme de 2023 : Barbie ou Oppenheimer. L’année prochaine ce sera peut-être Mon Petit Poney ou Simone de Beauvoir ? Les scénaristes d’Hollywood sont en grève depuis trois mois, et il semblerait qu’ils aient bien besoin d’un peu de repos. A-t-on vraiment épuisé tous les sujets possibles pour se retrouver avec deux réalisateurs stars qui tournent, pour l’un, les états d’âme rose fluo d’une poupée en plastique en proie à des doutes existentiels et, pour l’autre, les états d’âme d’un scientifique dont l’invention peut détruire l’humanité. Entre le six-pack décomplexé de Ryan Gosling d’un côté, et les équations de physique quantique de Cillian Murphy de l’autre côté, c’est votre image de père / mari idéal qui va de toute façon en prendre un coup. Du côté des parents, alors que rien ne nous prédisposait à aller voir un film sur les jouets depuis Toy Story, la lecture de critiques complaisantes fait naître le doute, surtout si l’on a bien aimé Lady Bird et pas compris grand-chose à Tenet. Et, finalement, on se laisse convaincre par l’argument massue : Barbie dure une heure de moins !

Cyril B.
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