Élections européennes : Ursula von der Leyen n’exclut pas de coopérer avec l’extrême droite

Dangereux flirt

d'Lëtzebuerger Land du 31.05.2024

Le positionnement de la présidente de la Commission européenne et candidate des conservateurs du Parti populaire européen (PPE), Ursula von der Leyen, vis-à-vis du groupe nationaliste et populiste des Conservateurs et réformistes européens (CRE), s’est retrouvé au cœur du débat organisé jeudi dernier dans l’hémicycle du Parlement européen à Bruxelles. Un positionnement qui révèle les principaux enjeux du scrutin des 6-9 juin et dont le Pacte vert fait déjà les frais.

Ursula von der Leyen, de la même famille politique européenne que le Premier ministre Luc Frieden, s’est retrouvée sous le feu nourri de ses adversaires après avoir déclaré ne pas s’interdire de coopérer avec Fratelli d’Italia, le parti de la Première ministre italienne Giorgia Meloni, qui fait partie du groupe nationaliste et populiste des Conservateurs et réformistes européens (CRE) au Parlement. L’eurodéputé Sandro Gozi, pour les libéraux de Renew Europe, sa collègue et co-présidente des Verts Terry Reintke, le président du Parti de la gauche européenne, Walter Baier, pour la gauche radicale, et le commissaire à l’Emploi Nicolas Schmit, pour les sociaux-démocrates (S&D), n’ont pas manqué de l’interpeller sur sa stratégie de rapprochement avec des partis politiques dont les sondages prédisent une large percée aux prochaines élections.

« Je suis prêt à travailler avec toutes les forces démocratiques, mais CRE ou ID (parti Identité et démocratie, ndlr) ne correspondent pas aux valeurs fondamentales que nous défendons », a déclaré le Luxembourgeois Nicolas Schmit avant d’étriller Giorgia Meloni, dont le gouvernement en Italie est en train, a-t-il insisté, de restreindre les droits des femmes et la liberté des médias. « Je ne peux pas imaginer que vous partagiez son idée de l’Europe », a-t-il lancé à Ursula von der Leyen, qui est encore sa patronne à la Commission. Sandro Gozi, pour sa part, a dit ne « pas comprendre que le PPE et Ursula von der Leyen soient prêts à s’ouvrir au CRE de Meloni, Zemmour et Vox, qui luttent contre l’Union européenne et veulent la démanteler de l’intérieur ».

Les CRE et ID n’avaient pas été invités par l’Union européenne de radiodiffusion qui organisait l’événement. Les deux groupes « n’ont pas désigné de tête de liste pour la présidence de la Commission », explique une porte-parole. Sur la sellette, l’ex-ministre d’Angela Merkel ne s’est cependant pas laissée démonter et a réitéré ce qu’elle définit comme ses lignes rouges : « J’ai trois principes : que les partis avec qui je travaillerai soient pro-européens, qu’ils soutiennent l’Ukraine et l’État de droit ». Or, selon von der Leyen, Giorgia Meloni est « clairement pro-européenne », « contre Poutine » et « en faveur de l’État de droit ». La présidente en fonction ajoute : « Si cela se confirme, alors nous proposerons de travailler ensemble ». Prudente, Ursula von der Leyen a cependant précisé que cela veut dire qu’elle ne travaillera pas « nécessairement » avec le groupe CRE dans son intégralité, « mais avec certains eurodéputés et partis ». « Et nous verrons comment ils se regroupent lors du prochain Parlement », a-t-elle précisé.

La présidente de la Commission européenne exclut également tout rapprochement avec le groupe ID, dont les partis comme le Rassemblement national (RN), Alternative für Deutschland (AfD) ou encore le polonais Konfederacja sont, a-t-elle expliqué, « les marionnettes de Poutine voulant détruire l’Europe ». Ursula von der Leyen n’a pas été la seule à essuyer les critiques pour son flirt avec les partis nationalistes et populistes. Le libéral Sandro Gozi a également subi les attaques de la candidate des Verts, Terry Reintke. Celle-ci a relevé la position contradictoire des libéraux de Renew après que le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD) de l’ex-Premier ministre libéral néerlandais, Mark Rutte, a accepté d’entrer en coalition avec le Parti pour la liberté (PVV) du dirigeant d’extrême droite Geert Wilders.

Le VVD et les eurodéputés de Renew siègent en effet au Parlement européen dans le même groupe politique, ce qui signifie que les Libéraux européens se retrouvent dorénavant partenaire, à Bruxelles, d’un parti qui gouverne avec l’extrême droite. Gozi a répondu à sa collègue allemande en répétant ce que la présidente de son groupe, la française Valérie Hayer, avait déjà déclaré, à savoir que le groupe Renew se réunira dès le lendemain des élections, le 10 juin, « pour aborder la question de l’exclusion du VVD du groupe Renew ». Sandro Gozi a également ajouté que le groupe libéral a signé, le 8 mai dernier, avec les S&D, les Verts et la gauche radicale, une déclaration qui stipule « ne jamais coopérer ni former de coalition avec l’extrême droite et les partis radicaux à aucun niveau ». 

La concentration du débat politique autour de la question d’un rapprochement, ou non, avec les partis nationalistes et populistes s’explique par ce qu’on appelle à Bruxelles « la majorité von der Leyen ». Elle désigne la coalition mise en place à l’issue des dernières élections européennes en 2019 qui a réuni le PPE, S&D et Renew. C’est sur cette coalition que s’est appuyée la Commission pour faire voter les lois européennes – et en tout premier lieu son projet phare, le Green Deal, vaste paquet législatif qui vise à décarboner l’Union européenne d’ici l’horizon 2050.

Or, il y a cinq ans, von der Leyen n’avait été élue au Parlement européen qu’à un cheveu – à neuf voix près seulement - et avec le soutien du PiS polonais, membre du CRE. Dans un contexte politique qui voit dorénavant émerger les partis d’extrême-droite au sein des 27 États membres, la présidente de la Commission européenne ne peut les ignorer si elle veut être reconduite dans son mandat : la procédure veut que ce soient les chefs d’État et de gouvernement européens qui s’accordent pour la nommer avant qu’elle ne soit ensuite investie par le vote des parlementaires européens à Strasbourg.

Cette poussée de l’extrême-droite se fait déjà sentir dans la sphère politique européenne avec le recul sur différents dossiers majeurs du Green Deal comme la réduction de l’usage des pesticides ou encore le projet de loi sur la restauration de la nature. « J’ai le sentiment qu’on n’assiste pas seulement à un backlash mais à un véritable risque de détricotage des mesures écologiques qui peut aller assez loin », résume le président du think tank La Fabrique écologique, Géraud Guibert.

Les Verts, principale force derrière le Green Deal, voient leur influence faiblir. Si l’on en croit les sondages, ils pourraient perdre aux prochaines élections jusqu’à vingt sièges, ce qui constituerait un véritable revers politique : le groupe compte actuellement 72 élus, ils n’ont jamais été aussi nombreux au Parlement européen qu’au cours de cette législature. Et cette baisse du nombre d’élus écologistes s’accompagnerait donc, toujours selon les sondages, d’une érosion des groupes du centre et de la gauche au profit de l’extrême droite. Et c’est cette nouvelle configuration qui jette un doute sur les majorités à venir - et donc sur l’avenir du Green Deal.

« S’il n’y a plus de soutien démocratique au Green Deal, il s’arrêtera. C’est l’un des enjeux majeurs de cette élection », souligne l’eurodéputé Pascal Canfin, président de l’influent Comité de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (ENVI) au Parlement européen. Les Verts sont aussi inquiets : « Lors des dernières élections européennes de 2019, il y avait des marches pour le climat et il était politiquement coûteux de s’opposer au Green Deal. Aujourd’hui, c’est politiquement rentable », affirme Philippe Lamberts, co-président du groupe des Verts au Parlement européen. Pour l’eurodéputé qui va tirer son chapeau après ces élections, les Verts sont en train de livrer « le match de leur vie » pendant cette campagne électorale.

Claire Stam
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