Le 9 octobre, six communes supplémentaires passeront au scrutin proportionnel, ce qui requiert la présentation des candidats par listes. Mission souvent impossible, à l’exemple de Hobscheid, à l‘Ouest

Ces communes sans histoires

d'Lëtzebuerger Land vom 12.08.2011

Serge Hoffmann a un problème. Avec un peu de malchance, il se pourrait que l’actuel maire de Hobscheid et son parti, le CSV, se trouvent seuls en lice pour les élections communales du 9 octobre. Une « situation cubaine » ou « nord-coréenne », se moquent les observateurs. « Ce serait une catastrophe ! » estime le maire sortant aujourd’hui. Car non seulement les électeurs n’auraient-ils pas de choix pour faire leurs croix, mais en plus, cela annihilerait tout débat politique entre majorité et opposition au sein du conseil communal. Ayant grandie parallèlement à la croissance du pays et comptant vingt pour cent d’habitants de plus qu’il y a dix ans – « ça ne fait finalement que deux pour cent par an, ce qui n’est pas excessif, » souligne Serge Hoffmann –, la population dépasse désormais le seuil de 3 000 personnes au-delà duquel une commune passe du scrutin majoritaire au scrutin proportionnel (art. 199 de la loi [-]électorale).

Ce qui implique une politisation de la chose publique – les candidats se regroupent selon des sensibilités ou partis politiques –, mais demande surtout de trouver des candidats en nombre suffisant pour pouvoir déposer une liste, qui comporte au maximum autant de candidats qu’il y a de sièges à pourvoir. Au-delà de 3 000 habitants, le nombre d’élus passe en outre de neuf à onze mandataires ; donc il faudrait d’autant plus de volontaires prêts à s’engager en politique. « Or, les gens qui s’engagent dans la société, a fortiori au niveau communal, sont de plus en plus rares, » explique Serge Hoffmann. En 2005, ils n’étaient que quatorze en tout à se porter candidats individuels, neuf ont été élus... dont huit sont membres du CSV. Le CSV est aussi le seul parti à avoir trouvé onze candidats jusqu’à présent. Contactées par le Land, les centrales des partis du DP et des Verts, dépités de ne pas trouver de militants actifs localement, annoncent officiellement forfait, l’ADR n’est pas présent et aucune liste citoyenne ou bariolée ne s’est manifestée jusqu’à présent.

Les socialistes, dont la commune voisine, Steinfort, est pourtant un des hauts lieux, entre autres grâce à sa tradition industrielle et à la popularité de l’ancien maire et actuel ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, et qui dépassent régulièrement les 20 pour cent des suffrages lors des législatives, sont décimés ; le président de la section locale, Claude Damiani, a disparu dans la nature il y a deux ans, le responsable de la constitution d’une liste, Robert Steffen, n’était pas joignable pour cet article. Mais des proches de la section affirment qu’ils sont en train de tout faire pour pouvoir présenter une liste d’ici le 9 septembre, un mois avant les élections, date butoir pour l’arrêt officiel des listes.

Le néon grésille. Les moteurs des nombreux frigos et congélateurs tournent bruyamment. « Ah, voilà Monsieur René ! Comment ça va aujourd’hui ? » lance une vendeuse en tablier à un client âgé. « L’eau-de-javel est arrivée ? » demande une autre habituée. « Non non, la semaine prochaine, je vous l’avais dit » rétorque la vendeuse. Il est neuf heures du matin un mardi d’août pluvieux et dans cette boulangerie qui fait également office de magasin d’appoint, presse-tabac et bar « beim Lydia », sur la place centrale coquette d’Eischen, le train-train quotidien prend son cours. Sur la table ronde de la petite salle servant de bar, sept dames septuagénaires ont pris place, elles y ont leurs traditions, et se racontent leurs vacances, les petits drames familiaux comme les divorces ou les mésalliances de leurs fils... Les nappes sont en toile cirée fleurie, des attrape-mouches pendent du plafond, les tasses sont dépareillées et sur les murs, des cartes postales de clients envoyées de Corse, de Hambourg et de ...Mondorf-les-bains prouvent l’attachement des habitués à leur petit commerce du village. Alors qu’ailleurs, les super- et hypermarchés ou les [-]stations services avec leurs commerces adjacents ont chassé les petites [-]épiceries, dans ce coin perdu du Luxembourg, le temps semble s’être arrêté à une idylle d’une autre [-]époque.

C’est une des choses que le maire, Serge Hoffmann, souligne fièrement lorsqu’il dépeint la qualité de vie dans la commune : loin des grands axes routiers, loin même des axes ferroviaires (l’Atertlinn, qui reliait Pétange à Ettelbruck, a arrêté de circuler en 1967), les deux villages de la commune, Eischen et Hobscheid, ont gardé leur côté rural, bucolique, et la quarantaine de clubs et associations prouveraient qu’on y est loin de la cité-dortoir. Le commerce local a survécu avec des épiceries, des boulangers, des bouchers même (l’entreprise Kirsch a commencé ici), des cafés, des restaurants (dont celui, gastronomique et très réputé, de La Gaichel) dans les deux villages. Comme dans toute commune constituée de plusieurs villages, il y a une concurrence entre le deux bourgs : Eischen est plus grand et plus peuplé et accueille notamment l’administration communale, alors que Hobscheid donne son nom à la commune. La croissance démographique se constate à l’œil nu : les rues sont bordées de chantiers de maisons unifamiliales et de petites résidences hautes en couleurs, des blocs d’appartements modernes jouxtent les fermes encore en activité.

Ici, comme dans toute la région, la première population parmi les 35 pour cent de résidents non-Luxem[-]bour[-]geois (dont 200, soit un tiers des éligibles, se sont inscrits sur les listes électorales) sont des Belges qui, souvent, sautent la frontière pour leur job ou pour scolariser leurs enfants dans le système grand-ducal et espérer ainsi améliorer leurs chances de trouver un emploi plus tard. Les prix de l’immobilier flambent, il faut compter un demi million d’euros pour une petite maison à retaper ou un appartement neuf, la proximité de la capitale et le cadre de vie les font grimper.

« Il fait encore bon vivre chez nous, » estime le maire, qui fut élu une première fois en 1999, il avait alors 33 ans, et devint tout de suite bourgmestre. En 2005, lui et son conseil communal exclusivement masculin et aux tempes grisonnantes, promirent aux électeurs qu’ils se consacreraient prioritairement au renouvellement de l’infrastructure routière et, surtout, scolaire. Ces derniers mois, ils ont pu inaugurer tour à tour le pont Dräi Brécken restauré par les Ponts et chaussées, une nouvelle école primaire avec maison-relais à Eischen, un centre culturel à Eischen aussi, et une crèche suivra encore cet automne. Les promesses d’installer une maison pour jeunes dans l’ancienne école primaire et de réaliser des infrastructures de logement encadré pour personnes âgées par contre devront être reportées sur le prochain programme électoral du CSV, en phase de finalisation.

80 pour cent de la population du Luxembourg vivent désormais dans des communes votant à la proportionnelle, aime à souligner le président du LSAP, Alex Bodry, fier des 17 maires socialistes (dont neuf reposent sur une majorité absolue !) sur les 37 communes actuellement dans ce système, contre treize pour le CSV et sept pour le DP. Pour le LSAP, la représentativité politique dans les communes fait contre-poids à la dominance du CSV au niveau des législatives, théorie que le CSV réfute toujours avec un simple hochement d’épaule. Toutefois, suite à la croissance de la population luxembourgeoise en général et des villages de taille moyenne en parallèle, suite aussi à la vague de fusions communales qui apporte une augmentation des proportionnelles et une diminution du nombre absolu des communes, l’interprétation du LSAP pourrait être la bonne. Si en 1993 encore, 27 communes seulement votaient à la proportionnelle, elles furent donc 37 en 2005, auxquelles s’ajoutent cette année six nouveaux noms : Betzdorf, Frisange, Hobscheid, Lorentzweiler, Remich et Sandweiler. Toutes sont confrontées aux mêmes difficultés de passage. Et toutes pourraient faire basculer les rapports de forces au niveau local vers le LSAP, le CSV ou le DP.

Les communes qui fusionnent se sont vues attribuer des conditions spéciales de passage d’un système à l’autre, avec cette fois des nombres plus importants de conseillers à élire afin d’amortir le coup dur pour certains élus des villages impliqués. Hobscheid, qui n’est pas prévue sur la carte de réorganisation territoriale du ministère de l’Intérieur, avait néanmoins commencé à discuter de l’opportunité d’une grande fusion avec ses deux petites voisines Koerich (2 300 habitants) et Septfontaines (800 habitants) pour créer une nouvelle commune qui se serait intitulée Äischdall (« vallée de l’Eich »). Mais le conseil communal a assez vite rejeté l’idée, de crainte d’être impliqué dans des querelles de politique politicienne à Koerich, confient des membres du conseil de Hobscheid. Un referendum sur une fusion entre les deux petites communes en question a d’ailleurs échoué suite à l’opposition de la majorité des électeurs à Koerich en octobre dernier. Pourtant, une fusion leur aurait rapporté 2 500 euros de subventions étatiques par tête d’habitant, des sommes utiles pour des investissements d’intérêt public dans des communes plutôt pauvres. D’ailleurs, dans les interviews de l’époque, le maire de Koerich Léon Eschette pleurait surtout ces 40 millions d’euros qu’il aurait pu investir en dix ans.

Le budget est un exercice d’équilibriste dans les petites entités administratives comme Hobscheit : vivant essentiellement des ressources redistribuées par l’État – dotation et taxe professionnelle –, elle dispose de quelque huit millions d’euros de budget ordinaire annuel, plus deux à quatre millions de budget extraordinaire. La nouvelle école avec sa maison-relais par exemple a coûté dix millions, dont 4,5 sont à charge de la commune (après déduction de la participation de l’État), couverts par un prêt. Juriste de formation, le maire est inspecteur des finances auprès de l’IGF et président du Fonds de rénovation de la Vieille ville, les montants en jeu ici ne l’impressionnent guère. « Nous sommes une commune modeste, mais j’avais une fois comparé nos moyens à ceux dont dispose notre voisine belge Arlon, qui est quand même une ville autrement plus grande..., se souvient Serge Hoffmann : bien que nous devions surveiller nos dépenses, nos finances sont quand même assez confortables ! »

La participation de Hobscheid à la zone d’activité Zaro, constituée en 2009 avec Steinfort, Koerich, Garnich, Mamer et Kehlen, fait miroiter, à moyen terme, la possibilité de création d’emplois dans la région. Bien sûr, les voisines saluent cet engagement commun, mais certains politiciens locaux regrettent un manque de coopération régionale des communes de la vallée de l’Eisch, notamment Hobscheid, qui, souvent, sont atomisées et individualistes. « Non, non, nous ne nous sentons pas meilleurs ou plus forts que les autres, » rétorque plutôt le maire, qui assure qu’il veut juste faire son [-]travail « dans le calme, sans chahut politique ». C’est ça, probablement, la principale caractéristique de Hobscheid : le calme. Dans tous les sens du terme. Ici, entre les bacs à fleurs des places et les grandes étendues des forêts vallonnées, il se pourrait effectivement que le 9 octobre ne va guère le déranger, ce calme.

josée hansen
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