À Rumelange, haut lieu du syndicalisme et du LSAP, une nouvelle génération est dans les starting blocks depuis que le maire Will Hoffmann a annoncé qu’il ne se présentait plus

Au paradis (des) socialiste(s)

d'Lëtzebuerger Land vom 22.07.2011

La boutade de Will Hoffmann, « encore 17 ans et puis j’arrête », qu’il aimait lancer à ses collègues de parti impatients de prendre la relève, avait le don de leur glacer le sang ces dernières années. Puis, au printemps, soudain, voilà la surprise : conscient qu’à 74 ans, il était temps de partir, las de la pression qui pèse sur lui depuis 48 ans, depuis qu’il avait été élu une première fois au conseil communal de Rumelange, et surtout depuis 1990, lorsqu’il est devenu maire, il annonce qu’il ne se présentera plus. Certes, le parti lui a fait les beaux yeux, le priant de défendre l’incroyable score de 2005 – presque 60 pour cent des suffrages, lui valant huit sièges sur onze ! –, puis de partir un ou deux ans après. « Mais cela m’aurait semblé malhonnête, dit-il. Les gens m’ont fait confiance tellement souvent, je ne voulais pas tricher ». Après presque un demi-siècle de politique, 42 budgets présentés et après avoir reconquis presque 2 000 habitants que la ville avait perdus suite à la crise de l’industrie sidérurgique et la fermeture des mines à Rumelange, grâce à une politique de réurbanisation volontariste, l’homme partira la conscience tranquille à la fin de son mandat, en automne.

C’est peut-être un hasard du calendrier, mais il y a des symboles indubitables d’un changement : en face de la mairie et de sa place grande-duchesse Charlotte bucolique, la maison syndicale (Gewerkschaftsheim) et son Café am Heim sont fermés, une pancarte annonce leur réfection prochaine, et la construction d’un tout nouveau pâté de maisons alentour, seule la façade de ce foyer de la lutte syndicale de l’OGBL sera sauvegardée, le café du rez-de-chaussée rouvrira plus tard. Et la coopérative Maison syndicale, propriétaire des lieux (avec 27 coopérants individuels), se verra attribuer la propriété du café ainsi que des locaux de bureaux pour la valeur estimée du terrain, le promoteur privé pouvant vendre le reste des bureaux, commerces et logements au prix qu’il voudra. « Encore des magouilles pas très nettes ! » lance un homme âgé dans un bar mardi soir. C’est d’ailleurs le principal reproche qui est avancé de manière plus ou moins ouverte et en des termes plus ou moins violents selon le statut de celui qui l’affirme : les socialistes, qui régissent la ville depuis les années vingt du siècle dernier (avec juste une interruption durant la deuxième guerre mondiale), formeraient tous un grand clan constitué de plusieurs familles socialistes qui se partageraint le pouvoir et l’influence à tour de rôle. Et qui favoriseraient « les leurs » au détriment de membres d’autres sensibilités politiques, voire des simples citoyens.

« J’espère que l’ère dictatoriale instaurée par Will Hoffmann touche enfin à sa fin, » lance ainsi André Theisen, un des trois mandataires et le porte-parole du CSV au conseil communal, qui, depuis les 25 ans qu’il y a passés, n’a jamais quitté l’opposition. Et de supputer que la commune aiderait les citoyens « à la tête du client », qu’il fallait être membre ou du moins proche du LSAP pour que l’administration réponde à une requête. Un reproche auquel Henri Haine, président de la section rumelangeoise du LSAP, répond par un sarcastique « nous n’avons que 110 membres, dans une commune qui compte quelque 5 100 habitants aujourd’hui, cela ferait un petit clan ! »

Henri Haine est né l’année où Will Hoffmann est entré au conseil communal, il est perçu aussi bien par le maire lui-même que par beaucoup de Rumelangeois ou de membres du parti socialiste, comme le dauphin naturel de Hoffmann : premier échevin, petit-fils du maire Luc Haine (maire avant et après la guerre), il a talonné l’actuel bourgmestre de 137 voix seulement aux communales de 2005 et l’a remplacé sur la liste socialiste des législatives de 2009 (où il s’est classé dernier de la liste au Sud, mais a fait un résultat semblable à ceux de Will Hoffmann lors des législatives précédentes à Rumelange). Toutefois, le LSAP a choisi de ne pas présenter de tête de liste mais de se définir comme une équipe ; « Je veux bien, mais une bonne équipe a toujours aussi besoin d’un bon capitaine pour arriver à bon port » estime pourtant Will Hoffmann, avant d’ajouter : « mais c’est leurs affaires... ».

Pour un observateur externe, la politique rumelangeoise, avec cette domination d’un seul parti et un bipartisme à l’américaine, est source d’étonnement ; chez les socialistes, elle force l’admiration, car c’est un important bastion dans le Sud ouvrier. Alors qu’en 2005, Les Verts et le Parti communiste (KPL) avaient reçu quelque six pour cent des suffrages chacun, ratant donc le coche d’un siège qu’ils auraient remporté en additionnant les treize pour cent des mécontents dont ils ont accueilli les voix, on sait déjà que cette année, les électeurs n’auront pas quatre, mais tout au plus trois listes aux choix : Les Verts ne présenteront pas de liste, tout comme le DP, qui n’a jamais eu de chance ici ; les communistes (Rumelange était un de leurs derniers mandats) sont encore en train de chercher des militants qui acceptent de figurer sur une liste. Ils pourraient reconquérir le siège de Camille Marx, qu’ils ont perdu en 2005. Déi Lénk n’y est guère active.

« La modernisation de notre ville s’impose, à cela, il n’y a pas de doute ! » affirme Marco Heil, élu et candidat socialiste lui aussi, qui espère entrer au conseil échevinal en octobre. Pour lui, le départ du maire historique est une chance pour le changement de génération tant attendu, même si, à 48 ans, il n’est plus vraiment un ado non plus. La « modernisation » nécessaire de la ville se concrétiserait en premier lieu par un réaménagement de la place centrale, mais aussi davantage d’animations, notamment pour les jeunes. « Beaucoup d’idées ont été ignorées ces dernières années, des dossiers ont traîné, à cause de l’âge de Will Hoffmann, » affirme-t-il. Il est vrai que le style de faire de la politique de l’ancien ouvrier de la sidérurgie est diamétralement opposé à ce que fait par exemple sa collègue socialiste Lydia Mutsch dans la ville voisine d’Esch-sur-Alzette, considérant le citoyen comme un client et la commune comme un prestataire de service : Hoffmann le modeste, engagé « au syndicat » (qui est toujours l’OGBL ici) dès son plus jeune âge, a « eu toute sa vie un faible pour les petites gens » et s’inscrit résolument dans le respect de la tradition et de l’histoire ouvrière de la ville. Ses successeurs seront plutôt fonctionnaires qu’ouvriers.

Or, en même temps, ni la jeune garde du parti, ni l’opposition, ni même les ragots de bar ne trouvent vraiment de critiques substantielles ou plus concrètes à adresser à l’équipe sortante. Même si, après la nième bière, les Rumelangeois font preuve de ce racisme ordinaire à l’encontre des 42 pour cent de non-Luxembourgeois qui, venant de Yougoslavie ou d’Afrique, auraient été accueillis en trop grand nombre et ne s’intégreraient pas assez. Interrogé quant à cette tendance dans la population, Will Hoffmann n’a qu’un hochement de tête et souligne que la Ville a toujours connu des vagues d’immigration de gens qui venaient travailler dans les mines, et qu’elle a toujours fait preuve de tolérance. Le CSV, quant à lui, estime que les nouveaux arrivants, d’où qu’ils viennent, seraient trop souvent moins aisés, alors qu’il faudrait imposer une mixité sociale par le haut, en devenant plus attractif pour des gens plus riches ou plus diplômés.

Un des grands succès de Will Hoffmann dans son bilan politique est sans conteste sa politique de logement : dès la fermeture des mines, à la fin des années 1970, et suite à la crise qui a frappé l’industrie sidérurgique, il a racheté ces terrains fortement accidentés et balafrés par l’exploitation du minerai de fer durant plus d’un siècle, les a réparés et construit les infrastructures nécessaires, pour ensuite y lancer des projets de logements : 70 maisons par-ci, une trentaine en face, une centaine d’appartements au centre, où soit la ville construisit clés en main, soit elle vendait le terrain et les nouveaux propriétaires construisaient selon leurs propres plans... Les prix furent et restent parmi les plus bas de tout le Sud.

La commune est encore aujourd’hui le plus grand propriétaire foncier de la ville, plus d’un tiers des terrains lui appartient – la clé d’un contrôle substantiel de l’urbanisation sur son territoire. C’est que ce territoire, justement, est très limité : avec seulement 684 hectares, c’est la troisième plus petite commune du pays, ce qui explique la forte densité de la population. « Nous allons continuer sur cette voie, promet Henri Haine, qui travaille comme conseiller de direction au département environnement du ministère des Infrastructures et du Déve[-]loppement durable. Une dernière réserve de terrain pour construire une cité du genre serait au Hutbierg, également friche industrielle. Nous allons discuter le projet avec les gens dans le cadre de l’élaboration du nouveau PAG (plan d’aménagement général), où nous pourrons débattre plus largement des visions d’avenir pour Rume[-]lange ». La ville en soi n’a jamais été riche, encore aujourd’hui, les trois quarts des douze millions d’euros de dépenses ordinaires du budget communal proviennent de la dotation de l’État et de la redistribution de la taxe professionnelle. Les principaux employeurs restent l’industrie lourde : les rails chez Kihn, le clinker chez Cimalux (anciennement Inter[-]moselle) ou la construction chez Poeckes.

Davantage de démocratie, de transparence, de participation des citoyens sont des promesses électorales aussi bien à gauche qu’à droite, avec quelques idées plus concrètes pour la place devant la mairie, le développement de l’offre culturelle et touristique (essentiellement autour du Musée des mines) ou le renouvellement des réseaux de la ville à gauche, une meilleure collaboration avec les communes voisines ou plus de flexibilité dans l’offre de garde des enfants à droite. Mais en gros, les divergences sont minimales.

« Glückliches Rüme[-]lingen » titrait le Land après les élections communales de 1993, vantant la stabilité politique dans cette ville où il ferait bon vivre – Will Hoffmann a fait encadrer l’article et l’a accroché dans son bureau. Deux décennies plus tard, le credo est toujours le même dans la ville de John Castegnaro et de Thierry van Werveke, où neuf cafés accueillent les piliers de bar et les avides de relations sociales real life, réputés pour leur franc parler, où le CIGL (Centre d’initiative et de gestion locales) offre des mises au travail et des formations à 25 demandeurs d’emploi par mois, où on va au supermarché à Kayl pour rencontrer les gens et où les habitants n’hésitent pas à traverser la frontière française pour aller acheter leur baguette à Ottange. Ici, ce n’est pas un logo abstrait de designer qui orne la commune ou le papier à entête, mais une esquisse d’un ouvrier minier qui porte fièrement son outil à l’épaule. « Rétro[-]spectivement, c’est quand même une grande satisfaction pour moi que nous ayons toujours travaillé pour les petites gens » dit calmement Will Hoffmann. Et esquisse un sourire.

josée hansen
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