Nous cheminons dans la vie sous un déguisement qui nous oriente dès l’enfance. Démonstration à sa manière poétique et sans concession de Trixi Weis à Dudelange

Choc par le vide

d'Lëtzebuerger Land vom 22.01.2021

C’est la troisième fois que Trixi Weis est invitée à investir l’ancienne gare de Dudelange-Ville. Elle fait la démonstration ici, avec Empty emptiness, que la célébrissime devise de l’architecte Ludwig Mies van der Rohe, Less is more, n’a rien perdu de sa pertinence, aussi dans le domaine des arts plastiques. Et ce, près de cent ans après qu’en 1929, à Barcelone, Mies fit la magistrale démonstration de l’espace fluide dans le Pavillon allemand décloisonné de l’Exposition Internationale.

Trixi Weis elle, à Dudelange au contraire, remonte des cloisons, mais son but est le même : faire ressentir physiquement la charge spatiale au visiteur. C’est là où on quitte le monde (ou le mode) architectural pour aborder les arts plastiques et on citera encore, avant d’aborder l’exposition, deux grands représentants du minimalisme. Celui du dépouillement formel esthétique, Robert Morris et Dan Flavin, qui sut si bien transformer l’espace en « situation » par la seule lumière.

S’il nous semble important de rappeler, pour commencer, le travail de déconstruction esthétique d’il y a plus de cinquante ans de ces artistes, c’est que la pratique d’un art dépouillé, contient aussi une grande part de critique sociale. Who have you become ? est la question posée par Trixi Weis, qui nous invite à réfléchir à nos choix de vie. Avec peu d’objets. Une penderie, quelques déguisements d’enfants, une carcasse de fauteuil, une ampoule électrique. La galerie Dominique Lang devient une maison fantôme, où l’artiste narratrice et subtile éclairagiste Trixi Weis, nous invite à parcourir une ligne de vie. L’ancienne salle des pas-perdus est vide, puis on tourne le coin et on se retrouve en face des lettres scintillantes de la sentence du titre, en même temps qu’on aperçoit de manière fugitive, le reflet de son ombre portée, du mur sur le miroir de la porte rabattue de l’armoire. Trixi Weis, la facétieuse, ne nous fait pas la leçon, mais elle avait bien précisé déjà dans une interview au Land (31.07.2020), à la suite de sa résidence à Bourglinster durant le confinement de mars de l’année dernière, où elle avait enchanté les réseau sociaux avec des scénettes mimées, « qu’il ne faut pas la prendre pour une madame sketchs ».

L’enfant en chaque visiteur se souviendra donc devant le contenu de la penderie (coiffe d’indien et couronne de princesse, casquette de policier, robe froufroutante et tenue de squaw, veste de gendarme et costume de mousquetaire), quel rôle il aimait endosser sous l’un où l’autre déguisement, avant de devenir, dans la vraie vie, partisan du plus fort ou Robin des Bois. Le fil électrique de l’ampoule, tortillé à l’ancienne, accroché à des petites poulies en est certainement le symbole.

Trixi Weis a travaillé longtemps à la préparation de l’exposition de Dudelange. Il y a là certes ses propres souvenirs d’enfance : le costume de Pierrot dans l’armoire, la musique de Winnetou. La penderie est aussi une citation de l’armoire « micro-atelier » qu’elle évoquait dans son interview au Land. Le confinement, les entraves permanentes à nos vœux d’accomplissement personnel l’occupaient alors beaucoup. La mise en scène du fauteuil qu’elle a choisi de retourner dos au spectateur est un hommage à son père récemment disparu, mais rappelle aussi le canapé deux places où on ne peut pas s’asseoir, car coincé dans un couloir. Une photo qu’on a pu voir à Esch l’été dernier. Ici, un halo de lumière efface l’arrête des murs au bout de l’espace en cul-de-sac. Malgré donc cette image choc en forme de « clap de fin », le dépouillement de Empty emptiness semble aussi être pour Trixi Weis un exercice d’apaisement personnel.

La résidence Squatfabrik#2 à la Keramikfabrik d’Esch-sur-Alzette, avait permis à Trixi Weis de commencer à travailler sur la deuxième partie de l’exposition. Sous les combles de la galerie Dominique Lang, expérimente non pas un fantôme, mais une artiste accomplie. Trois vidéos nous montrent l’explosion des biens matériels – voiture, maison, téléviseur – dont il ne reste que des miettes, éparpillées à la surface d’un globe, incurvé comme la surface de la planète. Trixi Weis renverse ici le paradigme de la consommation addictive comme le sucre (matière dans laquelle sont réalisés les articles qui explosent), à laquelle nous pousse une société qui nous « gave ».

Empty emptiness, est à voir jusqu’au 21 février prochain, à la galerie Dominique Lang, gare de Dudelange-Ville à Dudelange. Ouvert du mercredi au dimanche de 15 :00 heures à 19 :00 heures

Marianne Brausch
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