Les stress tests publiés vendredi dernier par la BCE et l’Autorité bancaire européenne révèlent la solidité des banques en cas de retournement conjoncturel sévère

Bonté suspecte

d'Lëtzebuerger Land du 04.08.2023

Les détracteurs des stress tests menés tous les deux ans par l’Autorité bancaire européenne (ABE) depuis sa création en 20111 les comparent volontiers à « L’école des fans » qui fit les beaux jours de la télévision française dans les années 1970 à 90. Comme dans cette émission populaire, tout le monde gagné. Plus précisément, dans les résultats de la dernière éditions parus le week-end dernier, personne n’a perdu. Ce qui serait la preuve, selon ces détracteurs, de la complaisance de l’exercice, manipulé par les lobbys bancaires. Cette opinion résiste mal à l’analyse. Après tout, si les banques européennes réussissent aux tests de résistance, c’est peut-être, tout simplement, parce qu’elles sont mieux gérées, et aussi mieux surveillées depuis la crise financière des années 2007-2008.

Dans le monde bancaire, un test de résistance, ou stress test, est une simulation comptable visant à voir comment les bilans d’un échantillon d’établissements peuvent être déformés par des évènements économiques très graves, sur la base de différents canevas, typiquement un scénario de référence plutôt « raisonnable » et un autre « défavorable » pouvant être assez violent. La version 2023 du « scénario du pire » était la plus sévère jamais testée, avec notamment une baisse du PIB européen de six pour cent sur trois ans, contre une diminution de 3,6 pour cent sur la même période testée en 2021 et de 2,7 pour cent pour l’exercice mené en 2018. L’inflation cumulée sur trois ans était prévue pour atteindre vingt pour cent. Le taux de chômage progresserait de 6,1 points sur la période pour tutoyer les treize pour cent. Quant aux prix de l’immobilier, ils chuteraient de 21,1 pour cent dans le résidentiel et de 29,3 pour cent dans le commercial. Ces chiffres moyens étaient déclinés par pays.

Les tests ont été menés au premier semestre 2023, donc sur la base des comptes 2022, sur un échantillon de 70 banques de seize pays différents, couvrant environ 75 pour cent des actifs du système bancaire européen. La zone euro était représentée par 57 banques de onze pays, mais le Luxembourg n’en faisait pas partie. Plus de la moitié des banques (37) étaient issues de quatre pays, Allemagne, Espagne, France et Italie. La réalisation du « scénario adverse » se traduirait par un total de près de 500 milliards de pertes (496 précisément) pour les banques européennes sur la période 2023-2025. Pour l’essentiel elles trouveraient leur origine dans le non-remboursement de prêts octroyés aux ménages et aux entreprises. En conséquence, le ratio de fonds propres (dit CET1) habituellement utilisé pour évaluer la solidité financière des banques passerait en moyenne de quinze pour cent fin 2022 à 10,4 pour cent fin 2025.

Malgré cela, le résultat est jugé encourageant par l’ABE, car il montre que « les banques européennes demeurent résilientes et peuvent continuer à financer l’économie même dans les scénarios les plus extrêmes ». L’autorité considère en particulier que si la baisse du ratio CET1 a été contenue, c’est parce que les banques européennes ont débuté l’année 2023 avec des actifs de meilleure qualité et ont déjà provisionné d’importantes sommes d’argent, compte tenu de l’environnement économique incertain ». Les pertes sur des créances non remboursées seraient donc limitées. Dans le passé les échecs aux stress tests étaient plus fréquents. Lors des premiers en 2010, sept établissements se sont révélés défaillants et trois n’ont supporté les chocs que de justesse. L’année suivante, huit banques européennes ont échoué et seize n’ont réussi l’examen que de justesse. Si les rejets ont quasiment disparu dans les tests suivants c’est précisément que les banques ont pris des mesures pour augmenter le niveau de leurs fonds propres et améliorer la qualité de leurs actifs (créances notamment).

Les esprits chagrins ont cependant fait valoir, non sans raison, que le raisonnement en moyenne européenne était fallacieux. En effet, dans quatre pays (et non des moindres), l’Allemagne, l’Espagne, la France et les Pays-Bas, la moyenne nationale était inférieure à dix pour cent, niveau au-dessus duquel le stress test était considéré comme satisfaisant. Et, dans un pays donné, certaines banques étaient très largement en-dessous de la limite fixée, comme la Banque postale en France, dont le ratio de fonds propres est à peine supérieur à zéro pour cent ! L’échantillon a également été mis en cause, dans sa taille et dans sa répartition géographique. Ainsi, dans la zone euro, neuf pays, dont le Luxembourg, n’ont pas été pris en compte, et 57 banques seulement ont été étudiées alors même que la BCE, dans son rôle de superviseur direct, en inspecte quasiment le double !

Cette lacune a été corrigée via la réalisation, par la Banque centrale européenne, de ses propres stress tests. Ils ont porté sur un échantillon de 98 établissements, soit 41 de plus que le nombre de banques de la zone euro retenues par l’ABE, cette fois dans tous les pays de la zone. Au Luxembourg, où trois des quatre banques supervisées directement par la BCE étaient étudiées (BCEE, BIL, Quintet), le scénario défavorable était une baisse de 5,9 pour cent du PIB sur trois ans, une hausse de 7,8 points du taux de chômage sur la même durée, une inflation totale de 13,1 pour cent et surtout un effondrement des prix de l’immobilier : -31 pour cent dans le résidentiel, contre -21 pour cent en moyenne européenne et -29,1 pour cent dans le commercial. Les résultats de ces « stress tests parallèles » ont été beaucoup moins médiatisés, mais les conclusions de la BCE rejoignent celles de l’ABE en termes de résilience des établissements étudiés.

Une autre critique importante concerne la non-prise en compte par l’ABE d’un risque aussi imprévu que dévastateur, survenu en mars 2023 aux États-Unis, à savoir celui d’un « bank run » à l’issue duquel des banques se trouvent dans l’impossibilité de restituer leur argent aux déposants. Une telle crise de liquidité, dont la survenance en Europe était jugée très faible, n’a pas été incluse dans le « scénario du pire » de l’autorité bancaire, préparé en 2022 et appliqué au tout début 2023. Conscientes de cette lacune, l’ABE et la BCE ont mené, parallèlement aux stress tests proprement dits, une étude ponctuelle pour savoir quel serait l’impact en Europe d’une perte potentielle sur les portefeuilles d’obligations détenues par les banques. En effet, aux États-Unis, la faillite de la Silicon Valley Bank et d’autres banques régionales en mars 2023 avait été accélérée par les pertes enregistrées par ces banques en vendant en urgence des titres de dettes dont la valeur de marché était devenue très inférieure à leur valeur inscrite au bilan, pour cause de hausse des taux d’intérêt.

En Europe, dans l’état actuel des taux qui ont fortement augmenté en un an, les pertes possibles (au cas où les banques vendraient l’intégralité de leurs portefeuilles obligataires) se monteraient à 73 milliards d’euros, un montant culminant à 155 milliards si la cession se réalisait dans le cadre du scénario envisagé pour les stress tests ! Ce montant énorme, qui accroîtrait donc d’un tiers le montant des pertes estimées (sur trois ans) dans le calcul initial, n’est pour autant pas jugé inquiétant. Par comparaison, aux États-Unis, le montant des pertes latentes s’élèverait à plus de 620 milliards de dollars, soit environ quatre fois plus que le pire chiffre européen. De plus, selon la BCE, « même dans des conditions de marché difficiles, il est très peu probable que les banques cèdent leurs titres, car elles préfèrent se procurer des liquidités par d’autres canaux » (sous-entendu, par son truchement à elle).

Il est probable qu’un bank run sera sans doute inclus dans les scénarios des prochains stress tests de l’ABE, car, comme le reconnaît son directeur exécutif François-Louis Michaud, la crise de mars 2023 a révélé que « les dépôts, qui sont considérés normalement comme une ressource stable pour une banque, peuvent rapidement s’évaporer, et les nouvelles technologies peuvent accélérer ce mouvement ».

Stress tests verts

En déclarant après la publication des tests de résistance de l’ABE « que valent ces scénarios qui ne prennent pas en compte l’impact du changement climatique ? » l’économiste française Jézabel Couppey-Soubeyran a oublié qu’un an auparavant, en juillet 2022, la BCE a publié les résultats d’un « test de résistance aux risques climatiques », à vocation pédagogique, auquel ont participé 104 banques importantes. Elles ont fourni des informations concernant leurs propres capacités en matière de tests de résistance climatique ; leur dépendance vis-à-vis des secteurs à forte intensité de carbone ; leurs résultats dans différents scénarios s’étalant sur plusieurs horizons temporels. Il en ressortait sans surprise que malgré des progrès constants les banques n’intègrent toujours pas suffisamment la dimension climatique dans leurs modèles internes de gestion des risques, et n’appliquent pas suffisamment les bonnes pratiques déjà existantes dans le secteur. A peine vingt pour cent tenaient compte du facteur climat lors de l’octroi de prêts.

Les tests ailleurs

Le 28 juin, la Fed américaine a publié les résultats de stress tests annuels menés sur 23 grandes banques. Le son de cloche est le même que du côté de l’ABE : « le système bancaire américain reste solide et résilient ». Le scénario était sévère avec une forte baisse du PIB, une envolée du chômage dont le taux atteindrait dix pour cent (soit 6,4 points de plus qu’aujourd’hui) et une chute de quarante pour cent des prix de l’immobilier. Les pertes totales projetées se montaient à 541 milliards de dollars en un an, dont cent milliards dues à des non-remboursements de créances immobilières (résidentielles et commerciales) et 120 milliards de pertes sur des créances de cartes de crédit. Malgré tout, le ratio de fonds propres des banques ne diminuait que de 2,3 points, restant légèrement supérieur à dix pour cent. Ces résultats sont comparables à ceux des tests des années récentes.

Le 12 juillet, c’était au tour de la Bank of England de publier les résultats de ses stress tests menés sur les huit plus grandes banques du Royaume-Uni, représentant selon la BoE « 75 pour cent des prêts » britanniques : Barclays, HSBC, Lloyds Banking Group, Nationwide, NatWest Group, Santander UK, Standard Chartered et Virgin Money UK. Le scénario envisageait notamment une « hausse brutale » de son principal taux directeur à six pour cent début 2023 avant un recul graduel. À noter que ce taux est en réalité à cinq pour cent depuis fin juin. Le ratio CET1 moyen passerait, la première année du test, de 14,2 pour cent à 10,8 pour cent, au-dessus du seuil de 6,9 pour cent qui ne devait pas être franchi. Même au point bas atteint en 2023, le ratio moyen des huit banques serait plus du double de son niveau d’avant la crise financière de 2007-2008.

1 En Europe les premiers stress tests ont été menés en 2010, avant la création de l’ABE.

Georges Canto
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