La présence croissante des femmes dans le monde du travail est un fait majeur des dernières décennies, notamment en Europe et dans la finance. Avec des limites toutefois

Plafond de verre dans la banque

d'Lëtzebuerger Land du 26.05.2023

Dans l’UE, 62,4 pour cent des femmes âgées de 15 à 64 ans sont actives (au sens du Bureau international du travail) avec d’importantes différences entre les pays, le taux d’emploi allant de 47,5 pour cent en Grèce à plus de 70 pour cent dans les pays baltes, l’Allemagne, le Danemark et la Suède, avec un pic de 73,9 pour cent aux Pays-Bas. Le Luxembourg occupe une place intermédiaire avec 63,9 pour cent, ce qui est tout de même supérieur à la moyenne. La France et la Belgique sont en-dessous. En Europe le taux d’emploi des femmes reste inférieur de 10,5 points à celui des hommes, mais l’écart se resserre. Au Luxembourg il n’est plus que de 6,5 points. La féminisation de certains métiers, notamment dans le tertiaire, est très visible. Selon les chiffres du Statec, les effectifs salariés du secteur de la santé et de l’action sociale sont composés à 74 pour cent de femmes, contre 41 pour cent en moyenne. La proportion est de 65 pour cent dans l’enseignement et de 45 pour cent dans l’ensemble des services financiers, un chiffre qui s’applique aussi à la banque où il est stable depuis dix ans, selon des données récentes de l’ABBL1..

Comme on le voit dans la grande distribution, les femmes sont souvent cantonnées dans des postes subalternes mal rémunérés et peu considérés. Tel n’est pas le cas dans les services financiers, et notamment dans la banque. Au Grand-Duché, 32 pour cent des managers bancaires sont des femmes (ABBL), une proportion qui n’était que de 19 pour cent en 2000 (BCL). C’est plus que la moyenne générale, qui selon Eurostat était de 23 pour cent de femmes parmi les cadres luxembourgeois en 2018, mais nettement moins qu’en France où l’encadrement bancaire est féminisé à plus de cinquante pour cent.

Toutefois, ces chiffres apparaissent quelque peu en trompe-l’œil. En effet, si l’on s’intéresse aux instances dirigeantes, la réalité est moins favorable, comme l’a montré un article publié sur le blog de la Banque centrale européenne le 9 mai sous le titre « Diversity at the top makes banks better ». Pour ses auteurs, Frank Elderson et Elizabeth McCaul, membres du conseil de surveillance prudentielle de la BCE, à ces niveaux hiérarchiques « la banque est encore un monde d’hommes ». Sur les 361 PDG nommés entre 2020 et 2022 dans les institutions significatives (IS) directement supervisées par la BCE, ainsi que dans leurs filiales, plus de 300 étaient des hommes. De plus, au cours de la même période, seuls 36 pour cent des nouveaux membres des conseils d’administration des IS étaient des femmes. Constat amer : alors que 28 des banques directement supervisées ont augmenté le nombre de femmes dans leur conseil d’administration en 2022, seize ont procédé à des nominations qui ont en fait réduit la mixité.

Les constats de la BCE corroborent les résultats d’une étude publiée en 2022 par l’agence d’informations financières DBRS Morningstar2. Sur un échantillon de 43 banques européennes les femmes occupaient en moyenne 37 pour cent des sièges des membres du conseil d’administration en 2021. Seules cinq banques avaient une femme PDG et quatre avaient une femme présidente du conseil d’administration. La diversité des genres au niveau des conseils d’administration s’est améliorée depuis 2014, où la part des femmes n’était que de 22 pour cent. Cette évolution est largement liée à la réglementation mise en place dans certains pays. Le Royaume-Uni, la Norvège, la France, l’Italie et l’Espagne imposent aux sociétés cotées d’une certaine taille d’avoir au moins quarante pour cent de femmes dans les conseils d’administration. Ces pays tirent la moyenne vers le haut. La proportion obligatoire n’est que de trente pour cent en Allemagne et aux Pays-Bas, mais va dans le bon sens car les pays dépourvus de quotas sont à la traîne, comme le Portugal où la représentation féminine dans les boards des banques n’est que de 23 pour cent, loin derrière le Danemark, en tête avec 55 pour cent.

DBRS Morningstar s’est aussi intéressé à la place des femmes au niveau des postes de direction au sein des banques européennes et a découvert que, en l’absence de quotas réglementaires à ce niveau, elle n’était cette fois que de 26 pour cent en moyenne. Par pays, la Norvège était en tête avec la moitié de ces postes occupés par des femmes, devant les Pays-Bas avec quarante pour cent. De façon surprenante, au Danemark, elles n’occupaient que treize pour cent des postes de direction ! L’Italie et la Belgique faisaient aussi partie des mauvais élèves avec respectivement 17 pour cent chacune, en compagnie de la surprenante Allemagne (seize pour cent) et de l’Espagne (quatorze pour cent). Par établissement, c’est la britannique Nationwide qui avait le pourcentage le plus élevé (67 pour cent) de femmes dans son équipe de direction, suivie de la norvégienne DNB et de la néerlandaise Rabobank, toutes deux à cinquante pour cent. Nationwide et DNB font partie des cinq banques dont les DG sont des femmes3. DNB est la seule à avoir à la fois une femme PDG et une femme présidente du conseil d’administration en 2021, et une égalité des genres au sein de son conseil d’administration et de son équipe de direction. Faute de réglementation particulière, il faut ici compter sur la bonne volonté des acteurs. En mai 2022, la Deutsche Bank a annoncé des objectifs visant à augmenter la part du personnel féminin parmi ses milliers de postes de directeur général, de directeur et de vice-président à 35 pour cent d’ici 2025. La même année, l’espagnole BBVA a fixé un objectif de 35 pour cent de représentation féminine.

Le Luxembourg est plutôt en retrait dans ce domaine. Les données de l’ABBL pour 2021, établies sur un échantillon de 76 pour cent de ses membres, montrent qu’il n’y a que seize pour cent de femmes parmi les membres des boards bancaires et elles ne composent que 22 pour cent des comités exécutifs. Depuis 2015, la progression est cependant très nette, puisque les chiffres étaient alors respectivement de sept pour cent et de treize pour cent. De plus le Luxembourg compte deux femmes à la tête de banques importantes de la place, Françoise Thoma, directrice générale de la BCEE et Béatrice Belorgey, présidente du comité exécutif de BGL-BNP Paribas, alors qu’en France, où les conseils sont pourtant très féminisés, aucun dirigeant des six principaux groupes bancaires n’est de sexe féminin. En dehors de la banque mais toujours dans le domaine financier on note aussi qu’au Grand-Duché des femmes sont à la tête du ministère des finances (Yuriko Backes, DP) et de la Bourse (Julie Becker).

En quoi une place plus importante des femmes dans les instances supérieures des banques est-elle souhaitable ? L’exigence de parité est aujourd’hui très forte dans les entreprises, tous secteurs confondus, en considérant notamment que la structure du personnel doit refléter celle de la clientèle et plus généralement celle de la population. Dans les banques, un secteur déjà très féminisé, elle doit s’appliquer à tous les niveaux de la hiérarchie. Plus spécifiquement, la recherche menée par Morningstar a révélé une corrélation positive entre la représentation féminine au conseil d’administration et les cotes de crédit des 43 banques de l’échantillon. Par exemple, dans les banques notées de AA à A, les femmes représentaient en moyenne quarante pour cent des sièges des conseils d’administration, contre seulement trente pour cent pour les banques notées BB ou moins. Des tendances similaires ont été constatées lorsque l’on considère le niveau de représentation des femmes dans les postes de direction. « Une plus grande diversité parmi les membres du conseil d’administration et au sein du groupe de direction implique un plus large éventail de compétences, d’expériences, d’approches managériales et de préférences qui peuvent contribuer à une bonne gouvernance d’entreprise », écrivent les analystes de DBRS Morningstar.

Même son de cloche du côté de la BCE pour qui des conseils d’administration diversifiés en termes de genre prennent de meilleures décisions stratégiques. Selon la banque centrale, une répartition plus équilibrée entre hommes et femmes « encourage un plus large éventail de points de vue, d’opinions, d’expériences, de perceptions, de valeurs et d’origines. Ceci est crucial pour éviter la pensée de groupe et peut également être bénéfique pour la solidité de la banque ». En tant que superviseur, elle estime de son devoir de vérifier que les banques prennent des mesures pour créer les conditions les plus favorables à cet effet. Pour apporter de l’eau à son moulin, plusieurs études récurrentes, comme le « Global Female Leaders Outlook » de KPMG et « Women in business » de Grant Thornton confirment qu’une plus grande présence de femmes dans les instances dirigeantes assurent une gouvernance et un management plus efficaces.

Coup de collier

En considérant que dans les pays où des quotas de femmes ont été imposés, ils ont permis d’augmenter substantiellement la représentation des femmes dans les instances dirigeantes, mais que dans le même temps plusieurs pays restaient à la traîne, de sorte que sur l’ensemble des plus grandes entreprises de l’UE cotées en Bourse, les femmes n’occupaient en 2021 que 30,6 pour cent des postes d’administrateurs, le Parlement européen a décidé de passer à la vitesse supérieure en adoptant le 22 novembre 2022 le texte d’une nouvelle directive intitulée « Women on boards ». D’ici à juillet 2026, les grandes entreprises cotées en Bourse devront faire en sorte qu’au moins quarante pour cent des postes d’administrateurs non exécutifs ou 33 pour cent de tous les postes d’administrateurs soient occupés par des femmes. Pour cela elles devront mettre en place « des procédures de recrutement ouvertes et transparentes ». Dans le cas contraire, chaque État membre pourra appliquer « des sanctions dissuasives et proportionnées » allant de simples amendes à la dissolution éventuelle du conseil d’administration en cas de non-respect de cette législation. Cette « loi européenne pour briser le plafond de verre », selon les termes de la Commission, intervient au terme de dix ans de discussions, rendues difficiles par les différences entre les pays membres. Avec à peine 16 pour cent de femmes dans leurs conseils selon l’ABBL, les banques luxembourgeoises vont devoir donner un « coup de collier ». Mais seules celles qui sont cotées seront concernées par la directive.

1 « Situation sociale dans le secteur bancaire 2021 », ABBL 2023
2 « Gender diversity on Europan Bank Boards : More Work Still to be Done », DBRS Morningstar, 20 septembre 2022
3 Les trois autres à avoir des DG femmes en 2021 étaient la britannique NatWest, la suédoise Handelsbanken et la Bank of Ireland. Visiblement les deux banques luxembourgeoises dans ce cas (BCEE et BGL) ne figuraient pas dans l’échantillon de Morningstar

Georges Canto
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