Crise de la presse

Rupture

d'Lëtzebuerger Land vom 10.08.2012

La crise de la presse est arrivée au Luxembourg. Avec un léger décalage comme tous les développements internationaux, mais elle s’est installée pour de bon. Vendredi dernier, Saint-Paul Luxembourg a confirmé ce que les rumeurs annonçaient depuis un moment : face à un contexte économique de plus en plus difficile, le groupe se voit obligé de lancer un deuxième plan social, après celui de 2011, pour réduire les effectifs de quelque quinze pour cent, soit 75 postes. En un premier temps, la radio DNR, troisième audience après RTL Radio Lëtzebuerg et Eldoradio (avec 9,4 pour cent de taux d’écoute, selon la dernière étude TNS-Ilres Plurimedia), changera d’orientation, réduisant son programme au minimum, musique et bulletins d’information. Mais la radio est elle aussi, comme La Voix du Luxembourg, le quotidien francophone du groupe en octobre 2011, condamnée à disparaître.
Selon le rapport de gestion qui vient d’être déposé, le bénéfice du groupe a chuté de trois millions d’euros en 2010 à 1,3 million en 2011. Le président Erny Gillen et le directeur général Paul Lenert y affirment vouloir poursuivre « sa stratégie de recentrage » et développer « ses activités Internet ». Paul Lenert a également souligné vis-à-vis du Quotidien que le Luxemburger Wort ne sera pas affecté par les réductions d’effectifs – toutefois, le rédacteur en chef Marc Glesener quittera la maison pour le 1er septembre, aussi à cause des différends avec le nouveau conseil d’administration sur la ligne éditoriale à suivre.
Des rentrées publicitaires en chute libre, des lectorats et des audiences qui s’effritent pour la plupart des grands médias, des titres et des programmes qui disparaissent – serait-ce la fin de ce qu’on pourrait qualifier de l’âge d’or des médias au Luxembourg ? Depuis la libéralisation des médias électroniques suite à la loi de 1991, on a en effet connu une diversification tous azimuts autour du tournant du siècle : création de nouvelles chaînes de télévision (Kueb, Tango, T.TV, Nordliicht, .dokTV,...) et de radio (DNR, Eldoradio, Radio 100,7, Ara,...), lancement de nouveaux journaux (Le Jeudi, La Voix, Le Quotidien, L’Essentiel, Point24) et développement d’un nouveau groupe d’édition autour de Mike Koedinger, devenu Maison Moderne et ses magazines économique (Paperjam) et lifestyle (Désirs, Archiduc) sur papier glacé et publiés sans aide à la presse (et qui, au contraire des autres, recrute actuellement).
Tout indique en effet que l’annonce de Saint-Paul ne soit que la partie émergée de l’iceberg : à la rentrée, le Lëtzebuerger Journal quittera l’Imprimerie Centrale pour imprimer chez Editpress, groupe du Tageblatt, du Quotidien et de L’Essentiel, dans lequel il a d’ailleurs déjà pris une participation à hauteur de huit pour cent l’année dernière. À voir comment évolueront et son contenu éditorial et son modèle économique dans cette association. Tout comme il reste à voir pour combien de temps encore l’OGBL continuera à financer les activités ambitieuses de son groupe d’édition, surtout après la mort récente de son président protecteur John Castegnaro.
Dans ce contexte économique difficile, où tous les médias classiques du monde se demandent s’ils existeront encore d’ici dix ans dans leur version actuelle face à la concurrence du tout gratuit sur Internet, il est ironique que le ministre des Communications, François Biltgen (CSV), revienne à la charge avec son grand projet de restructurer les autorités de régulation des médias électroniques : vendredi dernier, le conseil de gouvernement a adopté le projet de loi pour regrouper les organes de contrôle actuel en une Autorité luxembourgeoise indépendante de l’audiovisuel. Il avait déjà annoncé le même projet il y a exactement dix ans, cela s’appelait alors « Ari» (Autorité de régulation indépendante) – et il y avait plus de programmes nationaux et moins de programmes internationaux avec siège au Luxembourg à surveiller.

josée hansen
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