Place financière

On se serre les coudes

d'Lëtzebuerger Land vom 10.08.2012

Les banquiers nous ont désormais habitués à rompre la torpeur estivale par des messages « forts ». L’été 2011 fut ainsi marqué par la sortie du président de l’Association des banques et banquiers Luxembourg (ABBL), Ernst Wilhelm Contzen, sur l’argent blanc (comprenez des fonds déclarés et connus des fisc des pays de résidence), devenu le moteur de la place financière grand-ducale. La saison estivale 2012 se caractérise par l’appel du pied de l’organisation patronale à un resserrage des liens entre les deux « régulateurs » du secteur financier, la Banque centrale du Luxembourg (BCL) d’un côté et la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) de l’autre. Les deux institutions seraient devenues solubles l’une dans l’autre. Cet appel n’est pas dénué d’un certain opportunisme de la part des banquiers luxembourgeois confrontés à un raz-de-marée réglementaire qui va encore compliquer l’art de faire de la banque en Europe.
« Il est nécessaire d’avoir des lignes claires » entre la BCL et la CSSF, a indiqué le patron de l’ABBL lors d’une conférence de presse vendredi 3 août. « La frontière entre la surveillance micro-prudentielle (celle de la CSSF, ndlr) et macro-prudentielle (de la BCL, ndlr) n’est pas claire, en dépit de ce que nous assure le ministre des Finances Luc Frieden », a assuré de son côté Jean-Jacques Rommes, directeur de l’ABBL.
Il y aurait des doublons, voire des contradictions, dans le reporting des données aux deux institutions et leurs exigences coûteraient trop de temps et donc d’argent aux établissements financiers en quête d’optimisation de leurs frais. Précisément parce que les clients, autrefois peu regardants sur les frais que leur prélevaient les banques – ils recherchaient avant tout la discrétion – ont changé et en demandent désormais plus pour leur argent, comparant les services bancaires et les établissements entre eux pour aller chez le mieux disant.
Faut-il interpréter ces déclarations des dirigeants de l’ABBL comme une invitation à un rapprochement entre la BCL et la CSSF que les banquiers jugeaient pourtant, il n’y a pas si longtemps, incompatible avec les spécificités de la place financière luxembourgeoise ? Tout le monde peut changer d’avis et les projets du commissaire européen Michel Barnier sur l’Union bancaire, promis pour l’automne 2012, devrait accélérer le changement de cap à 180 degrés. Même pour les banquiers luxembourgeois, une centralisation de la surveillance à proximité de la Banque centrale européenne à Francfort est devenue une nécessité. « La crise est telle qu’une centralisation est inévitable pour la santé et la stabilité du secteur financier », a assuré Jean-Jacques Rommes, pour qui un « réagencement » de la surveillance au Luxembourg paraît aussi « inéluctable » que des transferts de compétences nationales vers Francfort. « L’ABBL ne s’y  oppose pas, a-t-il dit, elle ne peut pas s’y opposer et elle accompagnera le processus de façon constructive ». L’organisation professionnelle ne pourra pas non plus aller à l’encontre des projets d’unification de la garantie des dépôts bancaires, ni des plans d’un fonds de secours au niveau de l’Union : « La souveraineté de notre place financière va en diminuant, mais c’est le prix à payer du sauvetage de l’euro », a ajouté le directeur général de l’ABBL lors du point presse.
La crise a donc rendu les banquiers luxembourgeois plus pragmatiques que jamais, au point de leur faire épouser des thèses qui étaient autant de repoussoirs à l’époque des vaches grasses du secteur financier. La thématique d’un rapprochement formel de la BCL avec la CSSF avait d’ailleurs causé beaucoup d’inimitiés dans les cercles bancaires à celui qui réclamait sans relâche une « reconsidération de l’architecture de surveillance prudentielle », Yves Mersch pour ne pas le nommer. Le gouvernement n’aura plus d’excuse, maintenant que l’ABBL est ralliée, pour ne pas combler au plus vite « le vide laissé par l’absence d’une approche macro-prudentielle de la surveillance prudentielle », pour reprendre les termes d’Yves Mersch. Sa succession à la tête de la BCL à l’automne prochain par une personnalité plus consensuelle que lui, Gaston Reinesch contribuera sans doute à un « autre partage des rôles » entre les deux autorités de régulation au Luxembourg.

Véronique Poujol
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