Mardi soir, une palanquée de ministres a répondu favorablement à l’invitation au traditionnel pot des présidents organisé par la Chambre des métiers. Le Premier ministre, Luc Frieden (CSV), le ministre des Affaires étrangères et du Commerce extérieur, Xavier Bettel, et celui de l’Économie, Lex Delles (entre autres) sont allés à la rencontre des représentants des artisans avec qui ils partagent la maxime « pas d’État-providence sans croissance, ni compétitivité ». Sur les clichés qu’il diffuse sur Linkedin, le grand Lex Delles se penche sur ses interlocuteurs avec bienveillance, un ministre de l’Économie à l’écoute des entreprises. Son ministère, il le dessine à son image et à celle qu’il prête également à la politique économique du gouvernement.
L’organigramme publié la semaine dernière présente des changements par rapport à celui de son prédécesseur. Franz Fayot voulait une politique économique teintée de principes, une politique commerciale du friendshoring avec des pays-partenaires partageant les mêmes valeurs démocratiques. Le socialiste voulait regarder loin, placer la finitude des ressources et l’équilibre environnemental en boussole de son action. Quelques mois après son arrivée boulevard Royal, Franz Fayot avait monté un département de prospective autour de Serge Allegrezza, puis de Pascale Junker. Cette cellule, occupant six personnes, était placée sous l’autorité directe du ministre et de son cabinet, en haut de la hiérarchie.
Dans l’organigramme très vertical dessiné par Lex Delles et sa fidèle cheffe de cabinet, Françoise Schlink, le département Luxembourg Stratégie est retombé dans la colonne des affaires générales, à côté de la cellule compétitivité de Serge Allegrezza, autrefois elle aussi rattachée directement au ministre. Figurent également ici la sécurité économique, pour contrôler les investissements étrangers (d’Land, 17.03.2023), et le point de contact national (pour accompagner les multinationales vers une gouvernance responsable). « Je suis fan de stratégie », introduit le ministre quand on évoque l’organigramme, « car la stratégie donne un cap à suivre ». Mais il faut la revoir régulièrement selon les événements, précise Lex Delles. Le volet compétitivité devrait, lui aussi, jouer un rôle important à ses yeux. « Il faut accompagner les entreprises dans la convergence vers cette stratégie », poursuit le nouvel occupant du douzième étage du Forum Royal. Les court et moyen termes revêtent un intérêt au moins égal. « Compétitivité et stratégie vont main dans la main », dit le ministre ce mercredi au cours d’un entretien avec le Land. Le volet compétitivité « sera ajouté à Luxembourg Stratégie », assure-t-il. Une fusion est-elle envisagée ? « On n’a pas encore défini toutes les cellules et on n’a pas encore tout changé ».
Le jeune ministre, 39 ans, garde le mystère sur les modifications à venir boulevard Royal. Il y a déjà eu des départs vers d’autres ministères, comme François Knaff (ancien chef du secrétariat du comité de conjoncture), vers les Sports (d’Land, 26.01.2024), ou en interne, Paul Zenners, du porte-parolat de l’Économie à celui du Tourisme, sous l’autorité du nouveau et encore plus jeune ministre Eric Thill, 31 ans. Il y en aura d’autres s’il y a « fusion ou séparation de direction générale ». Est-ce qu’on prépare l’après Allegrezza ? Le directeur du Statec, 65 ans, a annoncé son départ pour 2024, après l’installation à Belval de l’institut de la statistique. « L’économie luxembourgeoise n’est pas fonction d’une personne, pas même un ministre », répond le ministre. Lex Delles se cantonne à dire que « les cellules très importantes demeureront » et que « d’autres seront adaptées au niveau des priorités gouvernementales ». En coulisse, certains cadres regrettent le flottement généré par cette phase de transition. La peur du déclassement est perceptible. Quand l’on voit plus de verticalité dans le nouvel organigramme, Lex Delles met en avant sa transversalité.
L’imposant cabinet de Franz Fayot a laissé la place à un bureau plus agile, axé sur la coordination. « Je ne vois pas pourquoi rattacher certaines directions et pas d’autres », confie Lex Delles. Françoise Schlink, ancienne secrétaire de la fraction libérale puis chef de cabinet du ministre du Tourisme, Lex Delles, rempile avec le libéral. L’ancien dircab’ du ministre socialiste, Tom Theves (arrivé au ministère en 2004 en provenance de la Chambre de commerce) occupe le rôle de coordinateur. Sa connaissance des dossiers et de l’écosystème est appréciée par le ministre. Ce dernier s’est en sus adjoint les services de Jeff Feller. L’ancien chef de cabinet de Xavier Bettel au ministère d’État assure la coordination pour la politique économique et la transposition de l’accord de coalition.
« Le Gouvernement soutiendra un modèle économique qui est à la fois social, en créant des emplois qualitatifs, et soutenable du point de vue climatique et environnemental », y est-il écrit. Jeff Feller, écologiste convaincu (mais lié au DP), aidera à la synthèse. Mais c’est surtout l’adjonction des directions de l’énergie (de 2018 à 2023 gérée dans un ministère à part entière sous l’écologiste Claude Turmes) et des Classes moyennes, qui donne les moyens aux ambitions ministérielles. Comme en 2013, le gouvernement se dote d’un superministère de l’Économie, véritable Gegenpol (d’Land, 05.09.2014) face au Premier ministre Xavier Bettel. Etienne Schneider se préoccupait surtout des affaires du monde, des gros dossiers spectaculaires, du bling bling économique comme l’avait symbolisé ce tweet en 2016 : « In San Francisco, I discussed the implementation of a major investment project in Luxembourg with the co-founder of Google Larry Page ». À la camarade Francine Closener revenaient ce qu’il voyait comme les basses œuvres de la politique économique locale. Et l’environnement n’était pas sa première préoccupation. « Wat soll d’Carole (Dieschbourg, Déi Gréng) dozou soen ? », avait plaisanté le Vice-Premier socialiste au sujet des émissions produites par le décollage de la fusée mettant le satellite LuxGovsat en orbite (2018).
Le successeur, Franz Fayot, a eu moins de moyens et moins de crédit politique dans la coalition. Et quand la pandémie de Covid-19 a frappé, quelques semaines après son arrivée boulevard Royal, Lex Delles, en charge des Classes moyennes, a récolté les fruits politiques des aides étatiques versées aux entreprises. En visio ou « en présentiel », le libéral a écouté puis exaucé les revendications des PME. Un investissement rentable politiquement. Aux législatives dans la circonscription Est, Lex Delles a talonné Paulette Lenert, devenue ultrapopulaire grâce à son action politique pendant la pandémie.
Aujourd’hui, porter le titre de ministre de l’Économie et des PME est plus qu’une coquetterie pour Lex Delles. L’intéressé veut « parler » aux petites et moyennes entreprises. Le programme électoral promet notamment à ces nombreuses entités la simplification administrative et des aides pour faciliter la transition digitale ou énergétique. Lex Delles (comme Luc Frieden) se préoccupe moins de l’environnement pour le sort de la planète que pour celui des entreprises et des normes qu’elles devront appliquer. Pareil pour la réponsabilité sociétale des entreprises (RSE). Le ministère travaillera surtout pour « anticiper les réglementations qui s’imposeront demain » à elles. Le ministre libéral fait peu de cas de l’alternance politique au ministère après vingt années dans le giron du LSAP. Il n’est pas question de doctrine ou d’idéologie. L’heure est au pragmatisme : Accompagner les entreprises est un pan de la compétitivité prônée par le président du DP.
Avec Xavier Bettel au Commerce extérieur, pour amadouer les groupes étrangers, Lex Delles complète un axe libéral aux affaires économiques, se réjouit-on dans le patronat. « Mon cher Lex, vous pouvez commencer à préparer les terrains », a plaisanté la présidente Michèle Detaille lors de la grand-messe de la Fedil la semaine passée. Les patrons en veulent toujours à Franz Fayot d’avoir délaissé la politique des zones d’activité. Voilà le pré-carré qu’entend bien reconquérir Lex Delles au diapason avec l’accord de coalition et les organisations patronales. Avec une devise : Je maintiendrai (la croissance). p