Les banques avancent 350 millions pour lancer des programmes de logements

Voie de détresse

Installation des parties prenantes au SPV immobilier résidentiel mercredi à la House of Finance
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 24.05.2024

« Mir si pénktlech », introduit le ministre, Gilles Roth, mercredi après-midi à la House of Finance, rue Érasme. La conférence de presse en compagnie des patrons de banques liées à l’État commence même trois minutes avant l’heure prévue. Hâte d’annoncer la mesure. On n’a d’ailleurs pas pris le temps de lui trouver un nom plus sympathique que son appellation technique : le SPV immobilier résidentiel, un special purpose vehicle (une société anonyme « facilitateur » entre le promoteur et la banque « pour accélérer la construction de logements », informe le communiqué de presse associé.

Une « bad bank de l’immobilier », terme utilisé par Paperjam ? Plutôt un acheteur en dernier ressort pour les programmes en Vefa (vente en l’état futur d’achèvement). Un consortium de banques représentant les deux tiers du financement de l’immobilier luxembourgeois place 250 millions d’euros dans un fonds qui permettra d’accéder plus facilement à la garantie d’achèvement. Les règles de gestion du risque exigent normalement que 80 pour cent des biens soient vendus avant d’accorder le prêt au promoteur pour finaliser la construction. La BIL (dont l’État détient dix pour cent), la Spuerkeess, la SNCI (banques publiques), et Raiffeisen (banque coopérative) se disent prêtes, via ce SPV, à s’engager à partir de cinquante pour cent de pré-commercialisation de ces futurs immeubles d’appartements.

Depuis l’augmentation subite des taux par la BCE, le marché des Vefas est presque à l’abandon et le taux de chômage dans la construction explose. « Deblockéieren ass d’Stéchwuert », résume Françoise Thoma, à la tête de la Spuerkeess. L’initiative « SPV » permettrait de « mettre sur le marché » entre 800 et 1 300 logements, estime l’Association des banques (ABBL) qui l’a coordonnée. De son côté, la BGL (détenue majoritairement par BNP Paribas, en plus de l’État à 34 pour cent) a annoncé mettre à disposition une « enveloppe exceptionnelle » de cent millions d’euros, « destinée à financer la construction d’environ 350 nouveaux logements ». En tout, ces initiatives appuieraient plus d’un tiers de la production annuelle de logements.

Il ne sera pas question d’acheter n’importe quoi, précisent les protagonistes. La gouvernance du SPV inclut un comité d’investissement. Ses membres exécutifs représentent les actionnaires fondateurs. Des membres consultatifs sont sélectionnés auprès du CAL 29 (la commission d’acquisition de logements du ministère de Claude Meisch) ou du Liser où officie Antoine Paccoud. Sous sa casquette de chercheur à l’Observatoire de l’habitat, l’intéressé indique face au Land avoir produit des statistiques pour déterminer les prix de marché, selon les régions et les transactions. Et les quelques transactions qui sont intervenues dans la Vefa ont permis de constater que les prix n’y avaient pas chuté (contrairement à l’existant).

L’objectif est justement de stabiliser les prix et de donner de la visibilité, martèle Gilles Roth. Le ministre des Finances appuie le projet. Sa documentation indique que la rue de la Congrégation a donné « l’impulsion ». Contacté par le Land, Roland Kuhn (président de la Fédération des entreprises de la construction) informe que le projet a déjà été évoqué à la Table ronde du Logement à Senningen en février et que l’UEL est à l’initiative. Le promoteur se félicite qu’elle soit menée à bien : « C’est une très bonne chose. Il faut remercier là le gouvernement et les banques ».

Le SPV s’engagerait (au lancement du projet) à acheter les biens selon le prix moyen de la région et la qualité de l’actif. « Une décote est ensuite appliquée », explique le nouveau patron de la BIL, Jeffrey Dentzer (sa nomination a été officialisée quelques heures avant la conférence de presse). Le promoteur cèderait au SPV le bien environ vingt pour cent moins cher que ce qu’il facturerait au client final. Qu’adviendrait-t-il du bien ensuite ? Le ministère des Finances souligne que le transfert au SPV ne se matérialisera que si la baisse des taux annoncées et toutes les autres mesures mises en œuvre par ailleurs (notamment le paquet de relance voté la semaine passée) ne permettaient pas une reprise du marché. Le cas échéant, la structure cherchera à se défaire de ces propriétés immobilières auprès d’acquéreurs publics ou privés. « Certaines communes ont déjà signalé de manière informelle leur intérêt. L’État est également prêt à reprendre des objets le cas échéant, mais au prix décoté », informe le directeur du Trésor, Bob Kieffer face au Land.

Selon les protagonistes mercredi, il s’agit d’une mesure « temporaire ». Le fonds aurait une durée de vie de deux ans. Gilles Roth précise qu’il ne faut pas être « naïf », les participants à l’initiative « sont des sociétés commerciales et c’est aussi dans leur intérêt ». Les établissements de crédit veillent à ce que les actifs sous-jacents aux prêts qu’ils ont consentis ne perdent pas (excessivement) de valeur. Pour rappel, BGL BNP Paribas a réalisé 577 millions d’euros de bénéfices en 2023, en augmentation de quarante pour cent sur un an. Le profit de la BIL (à 202 millions) a progressé de trente pour cent. Celui de Raiffeisen de 85 pour cent (à 44 millions).

Le SPV immobilier résidentiel réjouit donc les promoteurs, mais il concurrence aussi le programme de rachat ouvert par l’ancien gouvernement où les prix sont tirés vers le bas (notamment par la Ville de Luxembourg) et qui devaient permettre de constituer un stock de logements abordables. Les promoteurs préfèreront sans doute passer par la « bulle » du SPV. Ce dernier leur octroie un délai supplémentaire durant lequel ils pourraient trouver acquéreur et de préserver leur marge, plutôt que de baisser le prix pour tout le marché. Au pire, il exerceront la vente « à prix coûtant » au SPV.

Pierre Sorlut
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