On se méfie aujourd’hui des évêques qui aiment les enfants. Mais notre Saint Nicolas pédophile et accessoirement fétichiste (n’est-il pas attiré par les chaussures de ses victimes ?) est-il pour autant, comme son rival laïc, le Père Noël, une ordure ?
À en croire l’honorable député Marc Spautz, les Schifflangeois ne seraient pas loin de le croire car ils banniraient, nous dit-il, l’évêque de Myre de leurs écoles. Les Schifflangeois auraient-ils eu vent de quelques jeux interdits que le saint homme aurait pratiqués avec des mineurs pour interdire au patron des enfants les préaux de l’école ? Notre bien aimé Kleeschen, aurait-il endossé le rôle de son comparse, le Housecker, en faisant peur aux enfants, non pas en leur distribuant des verges, mais en leur montrant la sienne en ouvrant tout grand devant la porte de leur école son large manteau d’hermine ?
Mais non, rassurez-vous braves gens, à Schifflange, tout simplement, les habitants auraient trop bien assimilé la leçon houellebecquienne de La soumission et, dans une espèce de vor-auseilender Gehorsam, ils auraient déjà accepté l’islamisation de notre société chrétienne et auraient préféré ne pas heurter la sensibilité à fleur de peau de l’envahisseur musulman, voire, et c’est plus perfide encore, de la juiverie internationale. Spautz tout simplement fait du Kartheiser comme Fillon et Sarkozy font du Le Pen.
Toujours est-il que les fêtes « auront été marquées par une polémique à laquelle la presse et l’opinion semblent s’être montrées fort sensibles et qui a introduit dans l’atmosphère joyeuse habituelle à cette période de l’année une note d’aigreur inusitée »1.
Voilà donc un politicard populiste qui, se croyant porté par la vague trumpo-populiste, se sert d’une vieille rumeur, depuis longtemps avérée comme fausse, pour exhorter le nous communautariste chrétien face au supposé envahisseur barbare et païen. On se souvient de semblables provocations mises en scène par l’extrême droite catholique en France : polémiques sur les crèches, vols inventés de petits pains au chocolat, organisation d’apéritifs saucisson-vin blanc, j’en passe et des pires.
Mais gageons que notre apprenti-facho ne réclamera pas de sitôt le remplacement du Père Noël par Saint Nicolas. Ce serait impopulaire, le comble pour un populiste !
Il y aurait cependant beaucoup de choses à dire sur la rivalité complice de ces deux-là. L’évêque catholique, autoritaire et juste, et son alter ego, le Père Noël, laïc, bienveillant et débonnaire mènent en fait un même combat. Dans nos sociétés sécularisées ils ont pris le relais des rites d’initiation, comme par exemple les fêtes de circoncision, les communions et autres bar mitzvahs. Au delà de leurs significations spirituelles, ces rites ont aussi une valeur bien pratique : ils maintiennent les cadets, non encore initiés, dans un lien de subordination et d’obéissance par rapport aux aînés initiés. Toute l’année, les enfants doivent faire preuve de vertu pour être récompensés par Saint Nicolas ou le Père Noël, alors que la période où ils sont en droit de réclamer leur dû ne se réduit qu’aux quelques jours de l’avent.
Il est vrai que la cupidité des commerçants ne se gêne pas à élargir cette période bien au delà du « socialement raisonnable ». Le passage de l’enfant à l’adulte, par le rite de l’initiation, est de fait un accès au savoir de l’adulte. Et nous devons bien avouer qu’apprendre à l’enfant, dans la douleur et le regret, que Saint Nicolas n’existe pas, reste bien le seul rite initiatique qui continue à fonctionner de nos jours.
Il existe cependant une différence de taille entre Saint Nicolas et le Père Noël. Garant de la vieille tradition autoritaire presque confuciusienne qui manie le bâton et la carotte, j’allais écrire l’assiette et les verges, Saint Nicolas s’est doté d’un alter ego, le fameux Housecker, le zwarte Piet ou encore le Knecht Ruprecht. Il est vrai que le politiquement correct tend à évincer ce personnage qui ferait trop peur aux enfants et qui alimenterait des phantasmes racistes.
Mais peut-être que l’année prochaine le schwaarze Bautz jouera à nous faire peur en clamant haut et fort que seul ce méchant noir sera désormais autorisé par l’Antéchrist à venir terroriser les écoliers. Les psychanalystes, plus sérieusement, voient dans l’opposition Saint Nicolas vs Housecker une reproduction ou plutôt une préfiguration de l’opposition entre la bonne et la mauvaise mère théorisée par Melanie Klein. Ils y retrouvent aussi l’opposition des sexes, car la rondeur toute féminine de l’assiette remplie par les largesses du saint répond aussi, bien entendu, à la forme comme au nom toute phalliques des attributs distribués par le Père Fouettard. Le Père Noël, quant à lui, n’a nul besoin d’une ombre méchante car il est par nature consensuel et bienveillant.
Saint Nicolas est un personnage latin et catholique quand le Père Noël est une figure du Nord protestant et anglo-saxon. Le second est censé vivre au Groenland et fendre les airs sur un traîneau à rennes, alors que le premier était un évêque turc, se déplaçant sur un âne. Le père Noël carbure au Coca-Cola, Saint Nicolas préfère le vin de messe. Le père Noël est d’ailleurs apparu dans le Nord de l’Europe au XVIe siècle, à l’époque donc des iconoclastes de la réforme.
Mais revenons à notre député dont je ne doute pas qu’il soit un grand lecteur de Claude Lévi-Strauss, dont nous avons cité plus haut le début d’un article fort instructif, dans lequel le grand anthropologue s’interrogea sur un fait divers survenu à Dijon pendant les fêtes de Noël 1951. À l’époque, le clergé fit brûler en public, devant des enfants convoqués en masse, l’effigie du père Noël. En ces débuts des Trente Glorieuses, l’Église estima, déjà, que Noël se paganisait et se mondialisait.
Mais il est tout aussi vrai que ce furent les pères de l’Église qui dès l’Antiquité squattaient les fêtes des Païens pour les faire leur. Ainsi, les saturnales et le solstice d’hiver se métamorphosaient miraculeusement en Noël et les prétendues victoires de la vie sur la mort comme de la lumière sur les ténèbres se retrouvèrent dans la naissance, la mort et la résurrection du Christ. Saint Nicolas ne ressuscita-t-il pas lui aussi les enfants ? Et l’hénaurme pollution visuelle qui défigure les marchés de Noël et autres homes sweet homes privés ne signifie pas autre chose. Chassez le naturel, il revient au galop !
Nos sociétés sécularisées se réapproprient aujourd’hui les anciennes fêtes païennes confisquées par les Chrétiens. C’est ce que les psychanalystes appellent le retour du refoulé et c’est justement ce que les ecclésiastiques de Dijon en 1951 et le bigot de Schifflange en 2016 ne peuvent admettre. Car brûler devant les enfants dans un autodafé de sinistre mémoire un Père Noël laïc relève de la même mauvaise foi (mais n’est-ce pas un pléonasme ?) que de diffuser des fausses rumeurs sur la ségrégation de saint Nicolas. Le président du CSV aurait été bien inspiré de prendre exemple sur le chanoine Kir, à l’époque député-maire de Dijon, qui s’est bien gardé de mettre de l’eau bénite dans son kir et de chanter, dans la messe de minuit, le Kir-ie avec ses grenouilles de bénitier.