Start-ups de l‘internet à Luxembourg

Accès au financement

d'Lëtzebuerger Land vom 22.06.2012

Au-delà de la polémique sur le prix initial de l’action Facebook, cette opération a une fois de plus montré le fantastique potentiel de croissance des acteurs du secteur de l’internet. En moins de huit ans, s’est créée une entreprise dont la valorisation boursière se situe dans le top cinquante des entreprises mondiales devant BNP Paribas, Goldman Sachs ou McDonald’s.

Le Luxembourg ne fait pas mystère de sa volonté de prendre une part de cet énorme gâteau et a multiplié les initiatives en ce sens. La dernière en date fut annoncée en janvier de cette année par le ministre de l’Économie Jeannot Krecké (LSAP). C’était à la veille de son départ, preuve qu’il y tenait particulièrement. Il s’agit de Luxembourg Future Fund, 150 millions d’euros de fonds publics à investir dans des entreprises innovantes en phase de démarrage ou de croissance et implantée au moins partiellement au Luxembourg. Une initiative privée à saluer est ICT
Spring Europe 2012, qui a tenu sa troisième édition les 19 et 20 juin derniers à Luxexpo. La manifestation a regroupé à la tribune des dizaines d’acteurs de l’industrie de l’internet venant de toute l’Europe mais aussi des États-Unis, du Japon et du Golfe. Dans les halls, 120 exposants, des dizaines de start-ups et 2 500 professionnels du secteur se sont retrouvés pour une manifestation qui commence à compter dans le paysage de l’industrie en Europe.

Le modèle du développement de ce secteur est celui de la Silicon Valley. L’image d’Epinal est celle du garage dans lequel des gamins géniaux bricolent au lieu d’aller au lycée ou à l’université. Ils inventent des produits ou des services innovants. Ils sont alors financés par de braves gens intelligents, visionnaires et généreux, les investisseurs de capital-risque.

L’Europe, par contraste, sera décrite comme plutôt allergique au risque et peu propice à l’entrepreneuriat. Or, il faut distinguer le mythe de la réalité. La Silicon Valley est bien le centre de l’économie internet. C’est la loi californienne qui régit les noms de domaine et c’est là que se concentrent nombre des leaders du secteur: HP, Apple, Cisco, Adobe, EBay, Oracle et Facebook entre autres.

Mais l’endroit a souffert de l’éclatement de la bulle des dot-coms au tournant du siècle avant de se reprendre à partir de 2006. L’accès facile au capital-risque abondant doit être relativisé.
Il y a toujours beaucoup d’argent dans les fonds, mais il s’investit plus difficilement. Plusieurs raisons à cela. La première raison est l’exigence d’une rentabilité du capital investi de 40 pour cent par an pour qu’un projet soit considéré. Peu de business plans répondent à cet objectif.

Ensuite, l’accès à la bourse pour des offres initiales, les fameuses IPO, s’est considérablement compliqué depuis les années 2000. Le manque de confiance des investisseurs américains qui préféraient l’immobilier jusqu’en 2007 et la réglementation Sarbanes-Oxley sont parmi les raisons de la perte du débouché boursier. Or, c’était la voie royale pour les fonds de capital-risque de réaliser leurs profits. Aujourd’hui, la sortie se fait le plus souvent en vendant les jeunes pousses les plus prometteuses aux grands acteurs cotés cités plus haut. Le rachat d’Instagram par Facebook en est un exemple connu, mais beaucoup d’opérations moins importantes se réalisent dans la Silicon Valley de façon routinière. Le temps de l’argent (trop) facile de la fin des années 90 est bien derrière nous.

Par ailleurs, l’Europe a appris la leçon et il existe une industrie du capital-risque de ce côté de l’Atlantique. Ce n’est après tout qu’une variante du private equity bien connu ici. Le problème est que les fonds de cette catégorie ont eu des rentabilités médiocres voire négatives en Europe contrairement aux États-Unis (d’Land, 01.06.2012). Une des belles histoires du secteur se situe
au Luxembourg. C’est celle de Mangrove Capital faisant la fortune de ses fondateurs en investissant très tôt dans Skype. Mangrove a installé les serveurs de Skype chez SecureIT à Bettembourg et le siège de Skype à Luxembourg-Ville. De trois personnes en 2004, Skype emploie aujourd’hui une soixantaine de personnes à Luxembourg. De quatre serveurs au début, Skype occupe aujourd’hui des centaines de racks à Bettembourg. Surtout, Mangrove est toujours là et est un acteur du secteur.

Le Luxembourg a réussi à attirer chez lui les grands de l’e-commerce, Amazon, E-Bay, iTunes, Paypal pour leurs opérations européennes. Pour maintenir et développer cette présence et en attirer d’autres, il était impératif d’avoir une excellente connexion au réseau Internet via des lignes à très haut débit. C’était aussi crucial pour la place financière. C’est pourquoi le gouvernement a investi massivement via P&T Luxembourg et Luxconnect afin d’inscrire le grand-duché sur la carte des autoroutes de l’information européenne et donc mondiale.

Développer l’industrie du commerce électronique et des services en ligne est clairement un axe de diversification pour l’économie luxembourgeoise dont chacun sait qu’elle dépend trop de la place financière. Pour ce faire, outre le Luxembourg Future Fund, ont été mises en place nombre d’initiatives tant publiques queprivées. L’incubateur Technoport du CRP Henri Tudor existe depuis 1998. Il s’agit d’une structure dans laquelle une start-up pourra trouver des bureaux équipés et l’accès à un réseau de partenaires. Tout à fait gratuit les quatre premiers mois, le coût passe à 550 euros par mois pour les trois années suivantes.

Boost My Business est une initiative de Microsoft proposant logiciels et formations pour une valeur de 100 000 euros. L’année dernière a été lancée Europe 4 Startups à l’initiative de SecureIT et d’HP auxquels d’autres grands noms se sont joints. Il s’agit ici d’un incubateur privé offrant gratuitement les services de cloud, c’est-à-dire l’hébergement des services (sites, gestion des données) de douze start-ups sélectionnées. Il faut se souvenir que dans le passé, l’acquisition des serveurs lors de la phase de décollage était un des coûts majeurs des start-ups et donc de leur besoin de financement.

Autre exemple : PWC’s Accelerator, qui vient d’emménager dans ses locaux de la Cloche d’Or. Alors que dans le cas précités, il s’agissait d’entreprises au tout début de leur vie, ici, les cibles visées sont les futurs leaders mondiaux dans leur domaine. Nous nous situons plus tard dans le cycle de vie de la société, qui aura développé une technologie confirmée par un chiffre d’affaires supérieur à cinq millions d’euros.

C’est après avoir constaté la difficulté extrême en Europe de financer de très belles start-ups alors qu’elles avaient un potentiel de développement mondial que Laurent Probst, partenaire de PWC, a fondé l’accélérateur. Un pour cent de ces sociétés arrivaient quand même, péniblement, à se financer mais nombre d’autres qui, à condition d’être transformées auraient pu faire quelque chose, ne trouvaient pas de financement, explique-t-il. Pour le futur de Luxembourg et celui de PWC, la firme a donc décidé de lancer une plateforme dédiée offrant l’assistance au développement international de ces sociétés. En effet, pour être finançables, ces entreprises ont des besoins en management et autres pour pouvoir envisager le développement international toujours nécessaire dans ce secteur et donc pour obtenir les financements.

L’accélérateur offre l’appui du réseau mondial de PWC qui n’est normalement disponible que pour les grands groupes et les banques. Alexandre Rhea, partenaire et CEO de PWC’s Accelerator, est un originaire du capital risque et a été actif en France et dans la Silicon Valley. Il voyait avec une certaine frustration des sociétés européennes qui développaient des technologies extraordinaires se faire régulièrement dépasser par le concurrent américain moins bon en technologie mais meilleur en marketing et organisation. C’est pourquoi, quand PWC lui a offert de réaliser ce projet, il a tout laissé tomber pour venir.

L’initiative de PWC vient juste de démarrer, tout comme celle d’Europe 4 startups. Les premières des quatre sociétés sélectionnées par l’incubateur sont des projets portés par des entrepreneurs expérimentés. Dont Mach-3D, entreprise hébergée au Technoport. Chandra De Keyser, CEO, déclare avoir choisi le Luxembourg car l’écosystème du pays lui a plu. Il a été accepté au Technoport le lendemain qu’il se soit présenté. Il vient du Brésil où, pour bénéficier des aides étatiques, il faut connaître le bon consultant... Ici, il a ressenti une volonté commune des acteurs d’accueillir sa start-up. Ainsi, l’ancien bâtonnier Guy Arendt répond gratuitement aux questions de propriété intellectuelle. Cela fait partie du package d’Europe 4 startups.

Treveri Market, autre société sélectionnée par l’incubateur, a dévelopé une plateforme internet visant à faire se rencontrer les investisseurs individuels et les entrepreneurs, une sorte d’e-Bay du financement d’entreprise. Le fondateur, David Scheckel est un ancien de Merril Lynch et vient des États-Unis. Le CEO, Peter Keller est de Zurich. David Scheckel avait réalisé un projet d’expansion en Europe, il y a déjà quelques années pour une autre entreprise. Le premier pays cible était le Royaume-Uni. Mais, à part la langue, il n’y avait pas tellement d’avantages là-bas. Ils ont cherché ailleurs et découvert le Luxembourg avec une bonne structure fiscale, une bonne qualité de vie et des charges sociales raisonnables. Quand ils ont démarré Treveri, ils ont utilisé ce qu’ils avaient appris précédemment et sont venus.

La source de financement ne viendra pas nécessairement du Luxembourg. Alexandre Rhea pense qu’il est préférable d’avoir un tour de table diversifié du point de vue géographique. Il pense à de grosses structures. Les structures plus petites privilégieront des actionnaires proches géographiquement. Les subventions de coûts en place sont équivalentes à du capital initial (seed). Ensuite, les bons projets bien présentés trouvent du financement, le cas échéant avec le soutien de la SNCI et/ou du Luxembourg Future Fund. Il reste maintenant à souhaiter et tout faire afin que plusieurs start-ups réussissent dans les prochaines années. En effet, cela établirait la réputation de la place, attirerait d’autres entrepreneurs et rendrait les choses plus faciles pour tout le monde.

Jean-Luc Karleskind
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