Édito

Purge anti-intellos, suite

d'Lëtzebuerger Land vom 08.12.2017

Non, non, non, il ne l’aurait jamais dit ainsi. Interpellé directement, Pierre-Marc dit Pim Knaff réfute catégoriquement les assertions que beaucoup d’Eschois affirment avoir entendu de sa bouche. Que Janina Strötgen, la directrice artistique, et Andreas Wagner, le coordinateur général de Esch 2022, capitale européenne de la culture, seraient « d’extrême gauche » et « pas des nôtres » et devraient donc être remplacés. Interpellé directement, Pim Knaff, le nouvel échevin libéral en charge de la Culture à Esch-sur-Alzette, évoque plutôt des arguments de bon père de famille, soucieux de la bonne gestion des deniers publics – « 70 millions d’euros, ce n’est pas rien ! » dit-il –, pour expliquer pourquoi, depuis la liesse affichée des hommes et femmes politiques de tous bords lorsque Esch et la région Sud ont décroché l’aval du jury européen le 10 novembre, et contrairement à ce que tout le monde promettait (« le travail commence demain », « on travaillera dans la continuité »), tout le processus a depuis été gelé. Les nouveaux responsables politiques CSV-DP-Déi Gréng, sous la houlette du jeune maire Georges Mischo (CSV) veulent désormais « bien analyser » les commentaires du jury européen (une vingtaine de recommandations) et repenser les structures décisionnelles et la composition de l’asbl dirigeante, veiller aux équilibres politiques (qui ont changé avec les élections d’octobre) et surtout réfléchir à chaque centime d’euro dépensé. Plus aucun virement n’est effectué, des postes ne sont pas reconduits. Les contrats des deux responsables artistiques – dont le bid book réalisé en un an seulement a valu le titre de « capitale européenne de la culture » à la région grâce à leur concept du Remix (là où un premier projet, sur le thème de l’amour, avait échoué un an plus tôt) –, viennent à échéance le 31 décembre 2017 ; après, ils risquent de se retrouver sans emploi. Aucun appel à candidatures pour de nouveaux postes n’a été lancé, aucun bureau loué, aucun projet participatif avec des bénévoles lancé et même des frais déjà occasionnés dans le cadre du processus de sélection sont restés impayés.

La purge politique qui ne dit pas son nom que veut entreprendre Pim Knaff n’est pas sans rappeler ce que Maggy Nagel (DP) avait fait au début de son mandat avec la résiliation de toutes les conventions, ce que Xavier Bettel (DP) a fait avec Enrico Lunghi ou beaucoup des ministres libéraux parmi les hauts fonctionnaires de leurs ministères : des arguments de gestionnaire servent à éliminer des intellectuels, qu’on soupçonne de ne pas avoir la conscience assez libérale, assez pro-gouvernement. Pourtant, on ne peut pas reprocher au duo Strötgen/Wagner de s’être positionnés sur l’échiquier politique. Leur seul tort serait alors d’avoir été embauchés par la précédente maire socialiste Véra Spautz, que la nouvelle majorité semble abhorrer passionnément.

Si, au ministère de la Culture, on n’a jamais été trop en faveur de cette année culturelle de la Minette rouge, et qu’Esch est désormais méfiante envers sa propre initiative (tous les partis avaient pourtant voté pour la candidature), il se pourrait bien que cette année culturelle soit désormais sauvée par les dix autres communes du syndicat Prosud, qui, ce mardi, se sont prononcées en faveur d’une prolongation de six mois du contrat des responsables et demandent des explications et des éclaircissements quant au concept. Ils apprendront alors peut-être que beaucoup des recommandations du jury concernent l’engagement de l’État – infrastructure touristique et de transport, mise à disposition et restauration du patrimoine industriel par exemple. Ce que l’on sait déjà, c’est que les promesses d’artistes comme Ai Wei Wei ou Mischa Kuball de participer au projet Esch 2022 dépendent de la confiance qu’ont pu construire Janina Strötgen et Andreas Wagner. Et que tous les deux ont annoncé que si un nouvel appel à candidature pour la direction d’Esch 2022 était lancé, ils ne se représenteraient plus. Décidément, la culture et la politique (libérale) ne font pas bon ménage.

josée hansen
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