Art et football

Parallélismes

d'Lëtzebuerger Land vom 18.08.2017

Naguère, ou faut-il dire jadis, tellement le temps file et les choses changent, il était arrivé ici de mettre en balance Zinédine Zidane et Klimt, c’était à un moment où son actuel entraîneur rejoignait le Real, plus gros transfert, et l’on n’était pourtant qu’à 75 millions d’euros. Une quinzaine d’années plus tard, c’est trois fois cette somme que le PSG paie pour Neymar, et constatons de suite que l’art n’a pas décroché non plus, les deux avancent comme d’un même pas, de géant ; pour un Gauguin, Quand te maries-tu ?, il a fallu débourser quelque 265 millions. Et les deux fois, l’argent, ces chiffres qui font tourner la tête au commun des mortels, renvoie au Qatar. Au moment de ces lignes, le PSG semble également intéressé par Kylian Mbappé, pour la somme de 150 millions environ ; côté art, la famille princière du Qatar est aussi propriétaire du deuxième tableau le plus cher, un Cézanne, une version de ses Joueurs de cartes.

Les Qataris, pas de raison a priori de leur dénier leur intérêt (ou intéressement) dans l’art et dans le football. Dans le sport en général, sachant également qu’ils passent un sale moment avec leurs puissants voisins, et que tous les moyens sont bons pour montrer ses muscles. Qataris, Pinault, Abramovitch, Rybolovlev, elle est quand même drôle, elle intrigue, cette collusion, art et football, dans les plus hautes sphères des finances. De quoi être frappé par telles coïncidences, tels parallélismes. Cela dit, il n’y a pas que le fait des prix qui montent, des œuvres d’art comme des transferts des joueurs, au bout il y a un changement de nature des deux, sous l’effet d’une financiarisation exorbitante.

Bien sûr que d’un côté il peut exister un véritable amour des belles choses (et pas seulement sonnantes et trébuchantes), et de l’autre du ballon rond, et pour les deux, ça peut tenir pour une bonne part à de l’amour-propre, voire de la volonté de pouvoir. Sans oublier un goût de la spéculation. L’immobilier, on le sait, ne rapporte plus guère, les placements non plus, on mise donc sur l’art, c’est sur les joueurs de football qu’il le faut, c’est là, pas pour tous, qu’il y a les plus grosses plus-values. Vous vous rendez compte, il y a une année, pas plus, en été 2016, Ousmane Dembélé a été transféré du Stade Rennais, de François Pinault et de sa société holding Artemis (non sans lien avec Luxembourg), à la Borussia Dortmund pour la somme, aujourd’hui ridicule, de 15 millions ; là, à moins d’un revirement, il rejoint le FC Barcelone pour 120 à 150 millions. Voilà du gain, et le Stade Rennais a été assez prévoyant pour se garantir 25 pour cent de la revente.

Il est de ces nouveaux propriétaires de club qui jouent là-dessus, j’en soupçonne quelques-uns, pour rester dans le championnat français, en premier Rybolovlev, de l’AS Monaco, mais il pourrait trouver un rival dans Gérard Lopez et son LOSC. J’achète à bas prix un jeune, un soi-disant espoir, ça n’ira pas toujours dans le laps d’une seule année, mais j’espère le revendre à prix d’or. Pour les Basquiat, Picasso, Bacon, de Kooning, Pollock, dans le haut de gamme des ventes aux enchères, il faut se contenter d’accroissements bien plus modestes.

Le transfert de Neymar, il a été source d’engouement, sur les Champs-Elysées, dans le Parc, cause aussi d’indignation, en envisageant d’autres emplois des millions. Ailleurs, le scandale n’est pas moindre, l’UEFA aura Volkswagen, salut les tricheurs, comme sponsor, et le CIO semble empocher 100 millions de dollars pour permettre aux Russes de revenir aux Jeux en hiver 2018. Panem et circenses, c’était du temps des Romains, on est bien au-delà, dans le spectacle (il faut relire Guy Debord), dans le commerce. Et du côté de l’art, ça suit allégrement ; plus que des musées privés, pour les noms remontez dans le texte, et les expositions sont du même acabit. Pour un peu, à faire regretter le (bon) vieux temps du capitalisme familier et paternaliste, de la création d’un FC Sochaux, des collectionneurs attachés à une communauté, des institutions passées à la main publique qui portent aujourd’hui leur nom et honorent leur engagement.

Ultime remarque au sujet du transfert de Neymar. Des professeurs de droit s’en sont félicités, les footballeurs auraient repris la main, échappant de la sorte à leur condition (quand même dorée) d’esclave. C’est vrai, pour les stars, ça ne change rien pour la masse. Quant au fair-play financier, on se doute qu’il a été institué, sur d’autres terrains il en va de même, pour que les riches le restent et le deviennent encore plus, et se défendent contre les parvenus. Les Qataris, un peu comme un chien dans un jeu de quilles. Et les Barcelonais, des arroseurs arrosés, avec l’argent de la clause libératoire, tous savent maintenant qu’ils ont de quoi payer.

Footnote

Lucien Kayser
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