Pour respecter les consignes sanitaires, l’année s’est terminée pour beaucoup par un réveillon en visioconférence, à l’image de notre nouveau mode de vie. Avant, nous avions l’habitude des gens qui s’écoutaient parler. Maintenant, ils se regardent aussi en même temps… quand ils ne consultent pas leur fil d’actualité ! La seule satisfaction à tirer d’avoir levé nos flûtes de champagne à un écran en souriant devant une caméra sera de célébrer la fin de ce long et unique épisode de la saison 2020 de Black Mirror. Ce scénario d’une société qui doit choisir entre liberté ou espérance de vie aura été servi par une réalisation particulièrement soignée, avec une immersion dans nos propres existences. On s’y serait cru. Pour 2021, histoire de réconcilier nos corps avec la nature, si nous nous occupions enfin de notre microbiote ? (Attention, le deuxième « o » a toute son importance).
Oubliez les virus, tellement 2020, et découvrez le bon côté du monde de l’infiniment petit : les bactéries, levures et autres microbes ou champignons. Loin de moi la prétention de prodiguer des conseils médicaux, surtout en ce moment où une heure passée sur les réseaux sociaux suffit à imaginer avoir une quelconque expertise dans le domaine, selon le principe du « quand je vois le nombre d’imbéciles qui donnent leur avis, ça me donne envie de partager le mien ». Mais la simple lecture de sources fiables donne un aperçu du monde insoupçonné qui se cache dans notre for intérieur et qui nous impose une certaine humilité face à cette vieille maxime du « connais-toi toi-même ».
De premiers articles sur le sujet avaient éveillé ma curiosité, mais c’est l’écoute d’une chronique sur les liens entre dépression et flore intestinale mis en évidence dans une récente publication de la revue Nature qui m’a convaincu de l’intérêt de la question. D’après l’Institut national français de la santé et de la recherche médicale (Inserm), notre tube digestif abriterait plus de mille milliards de micro-organismes, soit deux à dix fois plus que le nombre de cellules qui constituent notre corps. Cet ensemble d’environ deux kilos de bactéries, virus, parasites et champignons constitue notre microbiote intestinal (ou flore intestinale). À ce stade de l’information, le profane que je suis commence à se représenter ses propres intestins comme un gigantesque zoo d’Amnéville voire, pire, une jungle amazonienne hors de contrôle, dans laquelle d’innombrables bestioles microscopiques colonisent le moindre repli gastrique.
C’est le genre de nouvelle susceptible de déclencher une petite crise d’angoisse chez quiconque a pris l’habitude de s’asperger les mains (et le bout des chaussures) avec du gel hydro-alcoolique dès qu’il entre dans un lieu accueillant du public. Pourtant, non, la nature n’est pas peuplée que de pangolins vengeurs et de chauve-souris impatientes de nous transmettre les spécimens encore inconnus de leur incommensurable réservoir de virus mortels. Notre microbiote nous aide à digérer ce que nous mangeons et à produire plusieurs vitamines. Certaines bactéries jouent aussi le rôle de gendarmes et évitent que d’autres ne prolifèrent. Escherichia coli, qu’on a plutôt tendance à voir comme un dangereux criminel capable de contaminer des semaines entières de production chez Luxlait, assure ainsi une régulation de la petite ménagerie que nous promenons entre notre estomac et notre rectum.
Une interview du gastroentérologue Harry Sokol pour Arte, visible en replay sur le site de la chaîne, présente tout cela de façon assez didactique et explique comment le microbiote peut jouer un rôle, même mineur, dans le développement de certaines pathologies telles que le diabète mais aussi la maladie de Parkinson, l’autisme ou des formes sévères de dépression. Ceux qui auraient été tentés de qualifier 2020 « d’année de merde » y réfléchiront à deux fois quand il évoque les recherches dans le domaine très sérieux des transplantations fécales. La preuve que c’est sérieux, d’ailleurs, c’est qu’il existe des personnes assez cinglées pour publier des tutos sur YouTube expliquant comment y procéder de façon artisanale (ce qui est évidemment à éviter pour tout un tas de bonnes raisons !) et des vendeurs de soupe assez futés pour publier des régimes spéciaux ou vendre des compléments alimentaires censés donner un coup de boost à vos boyaux.
Pour faire fructifier son patrimoine intérieur, une autre méthode semble consister, comme pour tout investissement à long terme, à diversifier autant que possible son capital. Éviter les aliments contenant trop de résidus d’antibiotiques ou trop artificiels, et, surtout, favoriser les produits frais ainsi que tout ce qui est fermenté. Du vin, du fromage, une bonne raclette, de la bière, une choucroute, des pâtes au gorgonzola. Voilà le genre de résolution un peu plus enthousiasmante qu’un « dry january » !.