Une réforme déséquilibrée très favorable aux patrons, mais une première manche gagnée par Emmanuel Macron et le gouvernement, en l’absence d’un large front syndical pour s’y opposer. Tel est le panorama dressé par les grands médias français après le dévoilement par le gouvernement, jeudi 31 août, des cinq ordonnances libéralisant le droit du travail.
Les mesures réclamées et obtenues par les chefs d’entreprise vont surtout leur faciliter les licenciements et les ruptures de contrat en général : plafonnement des indemnités en cas de licenciements abusifs, raccourcissement des délais de recours pour certains licenciements, périmètre national et non plus mondial pour juger des difficultés économiques justifiant les licenciements, création d’une « rupture conventionnelle collective » pouvant permettre de contourner les obligations liées aux plans de licenciements collectifs, enfin élargissement des contrats temporaires dits « de chantier » qui ne prévoient pas de prime de précarité pour le salarié en fin de contrat.
Une autre série de décisions a trait à la négociation : élargissement des sujets à négocier directement dans l’entreprise, autonomie des branches pour définir les règles d’utilisation des contrats à durée déterminée (CDD), fusion des instances représentatives du personnel avec, dans certains cas, disparition des comités d’hygiène et de sécurité (CHSCT), droit de négocier un accord avec un élu du personnel sans mandatement syndical dans les entreprises de moins de onze salariés (un droit social spécifique pour les très petites entreprises).
En face, une seule mesure répond aux vœux des syndicats de salariés : la hausse de 25 pour cent des indemnités légales de licenciement. Autant dire que les organisations patronales (Medef et CGPME) ont applaudi des deux mains une réforme qui, en regard du concept de « flexisécurité », promeut bien plus la flexibilité pour les entreprises que la sécurité des salariés Pour autant, et même si l’issue de la bataille de l’opinion en cours est incertaine, il n’y a pas à ce stade de large front syndical constitué comme en 2016 contre la loi El Khomri. Si la CGT, Sud et la FSU (premier syndicat de fonctionnaires) appellent à manifester le 12 septembre, ce n’est le cas ni de Force ouvrière, en pointe contre la « loi travail 1 », ni de la CFDT réformiste, ni du syndicat des cadres CFE-CGC, pourtant tous à des degrés divers opposés à la « loi travail 2 ».
L’habileté de l’exécutif aura été d’une part d’isoler les syndicats dans des concertations bilatérales (sans jamais de rencontre multilatérale), d’autre part de chercher l’abstention de Force ouvrière, pour la désolidariser de la CGT. Le supposé « deal » passé avec le secrétaire général de FO, Jean-Claude Mailly, paraît néanmoins aussi fragile que mystérieux : pourquoi accepter aujourd’hui des mesures qui constituaient l’an dernier des « lignes rouges », comme le plafonnement des indemnités aux prud’hommes ? Peut-être parce que les minima salariaux restent l’apanage des branches et ne seront pas négociés au niveau des entreprises, comme la menace en a été un moment brandie (d’Land du 14 juillet 2017).
Toujours est-il que la décision de Jean-Claude Mailly fait tanguer son organisation : dès le dévoilement des ordonnances, plusieurs fédérations de FO ont bien appelé à descendre dans la rue le 12 septembre. Puis la direction collégiale a jugé plusieurs dispositions « inacceptables », un désaveu rarissime du secrétaire général. Emmanuel Macron, après avoir fait éclater le paysage politique, va-t-il faire de même dans le champ syndical ?
Si elle n’appelle pas à manifester, conformément à sa tradition réformiste, la CFDT s’est dite déçue par une réforme qui va moins protéger contre les licenciements, sans pour autant renforcer le dialogue social : « En l’absence de mandatement syndical dans les entreprises de moins de onze salariés, il y a un risque énorme de voir la situation des travailleurs relever de décisions unilatérales de l’employeur », a regretté au Monde son leader Laurent Berger, alors qu’en Allemagne il n’y a pas de négociation collective possible sans syndicat.
Interpellé sur le déséquilibre du texte, le gouvernement a répondu que le volet « sécurité » des salariés était en préparation, avec un projet de loi sur la formation prévu au printemps 2018. Mais le risque est grand, après l’entrée en vigueur de la réforme du code du travail fin septembre, de connaître des licenciements collectifs dans les entreprises qui jusqu’alors étaient attentistes. Comme pour les dizaines de milliers de contrats aidés supprimés en cette rentrée avant la mise en place d’une autre politique, la démarche est donc « schumpétérienne », du nom de l’économiste américain d’origine autrichienne Joseph Schumpeter : l’espoir d’une « destruction créatrice ».
Dans le contexte d’un chômage quasiment record, cet espoir patronal de « lever les freins à l’embauche » n’est pourtant décidément pas partagé par les Français : selon un sondage Harris Interactive publié une fois les ordonnances connues, 58 pour cent des personnes interrogées y sont toujours opposés.