Status quo ante. En quelques mois seulement, au terme de deux années d’annulations, de reports ou de jauges limitées, maintenant que la pandémie n’est plus, semble-t-il, qu’un mauvais souvenir, le complexe prestigieux de la Place de l’Europe a, pour le plus grand bonheur de tous les musiciens et mélomanes, retrouvé toute sa superbe, à la faveur d’une programmation des plus prometteuses, alternant judicieusement prestations des acteurs locaux (OPL, SEL, OCL, UIL…), festivals thématiques (Atlântico, Rainy Days) et invitations régulières de grands solistes et de grandes formations dirigées par de grands chefs.
On pourra ainsi applaudir, dans le cadre de la saison musicale 2022/2023, le « Grand d’Espagne », Gustavo Gimeno, qui entame sa huitième saison à la tête de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg, et qui, à côté de pages symphoniques incontournables signées Rimski-Korsakov, Richard Strauss, Tchaïkovski et Mahler (dont il s’est « toujours senti très proche » et dont il donnera, le 27 octobre, l’énorme Sixième), inclura dans ce répertoire mainstream les œuvres de compositeurs du vingtième siècle parmi les moins souvent joués, tels que Lutoslawski, Szymanowski et Dutilleux.
« Comme avant, mieux qu’avant ! » : telle est l’exigeante devise sous laquelle les responsables des Solistes Européens, Luxembourg entendent placer la saison nouvelle. Il faut dire que leur patron, Christoph König, n’a pas son pareil pour sortir des sentiers battus, en mariant valeurs sûres et talents prometteurs, pages célébrissimes (la Cinquième de Beethoven) et opus rarissimes voire inconnus (comme telle pièce du Chinois Zhou Long) ou carrément inédits (comme la première mondiale du Concerto pour piano du jeune créateur de chez nous, Ivan Boumans).
Avec l’imaginative et fougueuse Corinna Niemeyer à sa tête, la programmation de l’Orchestre de Chambre du Luxembourg se conjugue au féminin. La preuve avec l’affiche du 18 septembre, où le nom de Louise Farrenc côtoie ceux de Rebel, Respighi et Rautavaara. De la musique chambriste comme on l’aime, et pour tous les goûts, et - qui plus est - interprétée par des musiciens de renom : voilà ce qui attend les amateurs du genre, dans le cadre si inspirant de la splendide salle de musique de chambre. Des noms ? Les Quatuors Emerson, Ébène, Jérusalem, Casals et Kreisler… entre autres formations plus intimes.
Attention à ne pas résumer la nouvelle saison de piano à la venue annoncée et forcément très attendue de la légendaire Martha Argerich dans le chef-d’œuvre Concerto en sol de Ravel (4 février). La Philharmonie sera, en effet, le luxueux écrin de nombreux concerts et récitals, où « nos » Tristano, Muller et Krier auront l’occasion de croiser les monstres sacrés que sont Sokolov, Trifonov, Sir Schiff (artiste en résidence), Zimerman, Lang Lang, Wang, Buchbinder, Aimard, Pires, Uchida, Grimaud, pour ne citer que les plus en vue d’entre eux, leurs cadets (Grosvenor, Perianes, les frères Jussen) ainsi que les nouveaux visages des rising stars Elisabeth Brauß, Jonathan Fournel et Jan Lisiecki.
Quant aux aficionados de l’instrument roi, ils seront gâtés avec les prestations des violonistes hors norme que sont les Frank Peter Zimmermann, Mutter, Fischer, Jansen, Capuçon, Bell, Kavakos et autres Kremer. Côté « grands » chefs, solistes et orchestres, le mélomane aura, une fois de plus, l’embarras du choix, entre Christian Thielemann et la Sächsische Staatskapelle, le London Symphony sous Sir Simon Raatle, le Budapest Festival Orchestre avec Iván Fischer, Les Arts Florissants de William Christie, Sir John Eliot Gardiner et le Royal Concertgebouw Orchestra, Herbert Blomstedt et le Chamber Orchestra of Europe, Philippe Herreweghe et l’Orchestre des Champs Élysées, l’Academy of St Martin in the Fields sous Joshua Bell, le Tonhalle Orchester Zürich sous Paavo Järvi, le Filarmonica della Scala avec Riccardo Chailly, le San Francisco Symphony dirigé par Esa-Pekka Salonen ou Le Concert des Nations de Jordi Savall. Ouf ! Qui dit mieux ? Que demander de plus ?
Côté « lyrique », les amoureux des grandes voix sont servis, c’est le moins que l’on puisse dire. Le 30 novembre, épaulée par Les Musiciens du Prince-Monaco, l’éblouissante impératrice du chant, Cecilia Bartoli, sera la vedette de La Clémence de Titus, en version concert, tandis que la soprano Patricia Petitbon chantera La Voix humaine en version pour voix et piano. Quant au ténor et touche-à-tout Rolando Villazon, il emmènera le public dans l’immense univers de l’opéra, en alternant chant et paroles. Comme si cela ne suffisait pas, s’y ajoutent une version concert de Siegfried, fièrement défendue par l’un des meilleurs chefs et ensembles actuels, ainsi qu’une mise en scène de Tristan und Isolde, avec l’OPL, flanqué d’une brochette de solistes vocaux triés sur le volet. Sans parler de la collaboration que la Philharmonie noue, depuis des années, avec le Grand Théâtre de la capitale. De plus, est-il besoin de rappeler que l’esprit de l’opéra règne aussi sur bon nombre d’affiches symphoniques ?
On the road again ! Bloqué par deux années de crise sanitaire, l’OPL peut enfin reprendre son bâton de pèlerin pour diffuser la bonne parole symphonique dans toute la grande région (au Cape d’Ettelbruck, à L’Arche de Villerupt) et bien au-delà (à la Liederhalle de Stuttgart, à La Comète de Châlons-en-Champagne, au Konzerthaus de Vienne, au Müpa de Budapest, au Victoria Hall de Genève), avec, pour la première fois, une tournée d’une semaine en Corée du Sud.
Enfin, poursuivant fidèlement, depuis 2003, son étroite et intense collaboration avec le ministère de l’Éducation nationale, le navire amiral de la vie musicale grand-ducale fera régulièrement escale dans les établissements scolaires du pays pour y propager la connaissance et l’amour d’Euterpe, et ce, à la faveur de formats d’écoute et de participation soigneusement élaborés, qu’ils eussent été éprouvés en ayant fait leurs preuves par le passé, ou que, à la suite de la pandémie, ils eussent été repensés, quand ils ne sont pas proprement inédits.