edito

OK, Boomer

d'Lëtzebuerger Land du 29.10.2021

L’Union luxembourgeoise des consommateurs (ULC) est une sorte de old boys club du milieu syndical ; et cela se ressent. En mai, elle pourfendait « les idées fausses et les charges excessives qui pèsent sur les automobilistes en particulier ». Alors que l’industrie automobile anticipe la fin des moteurs à combustion, l’ULC décrète que « dans un avenir prévisible, il n’y a certainement aucun moyen de contourner les voitures à technologie de combustion ». Ayant stipulé « l’absence manifeste d’alternatives viables », les boomers de l’ULC appellent à ne « pas exagérer », surtout pas le niveau de la taxe sur le CO2. Puis de se fendre d’un obligatoire « l’ULC n’est certainement pas un adversaire des énergies alternatives et encore moins de la protection du climat ».

Au royaume des SUV, le débat sur la taxe carbone se focalisait dans un premier temps sur le prix de l’essence et du diesel. Or, la soudaine flambée des prix du gaz repose brutalement la question de la précarité énergétique. Les ménages acculés par leur dette hypothécaire, et donc incapables de lancer de coûteux travaux d’isolation thermique, risqueront de se retrouver piégés. Surtout que les subsides aux rénovations énergétiques, bien que très généreux, sont versés selon le principe bien luxembourgeois de l’arrosoir, sans aucune distinction sociale. Au Luxembourg, la hausse des prix a pu être en partie endiguée jusqu’ici. Enovos aurait « préventivement acheté en avance », pour ne pas finir otage des soubresauts du marché, et s’engage à ne pas couper le gaz en plein hiver aux mauvais payeurs, disait son directeur ce mercredi sur Radio 100,7. Selon l’Institut luxembourgeois de régulation, la facture annuelle d’un ménage devrait en moyenne augmenter de 375 euros, soit de 29 pour cent.

L’OGBL réagissait à la flambée des prix dès le 12 octobre et demandait (entre autres) « la suspension de l’augmentation prévue de la taxe CO2 au 1er janvier 2022 » (elle passera alors de vingt à 25 euros la tonne). Ce mercredi, le syndicat revient à la charge et exige le « report » de l’augmentation de la taxe carbone… « à plus tard ». Or, en réalité, cette taxe carbone, pièce-maîtresse de la politique climatique, n’est nullement à l’origine de la flambée actuelle. L’OGBL oublie également de mentionner qu’elle est couplée à un ample système de compensation sociale, le Statec estimant que pour les vingt pour cent des ménages les plus pauvres, le surcoût sera entièrement contrebalancé. Dès 2019, l’OGBL avait revendiqué une compensation de la taxe carbone sous forme d’un « crédit d’impôt mobilité », c’est-à-dire une extension de la Pendlerpauschale, au-delà de trajets de plus de trente kilomètres et à l’encontre de tous les projets de mobilité durable. Un clientélisme court-termiste plutôt qu’une stratégie socio-écologique.

À la première hausse des prix fossiles, les bonnes volontés climatiques s’écroulent. Dans ses discours du dimanche, la présidente de l’OGBL, Nora Back, manque pourtant rarement de citer l’urgence climatique. Elle marchait en tête de la manifestation « United for climate justice » en 2019. En perte de vitesse, le « syndicat n°1 » cherchait alors à nouer de nouvelles alliances, notamment avec les jeunes de Fridays for future. Par leur implantation dans la sphère de la production industrielle, les syndicats ont un rôle-clef à jouer dans la transition énergétique. Mais à condition de s’émanciper d’une posture étroitement corporatiste. Or, l’OGBL reste prisonnier du paradigme productiviste qui se reflète dans ses incantations rituelles du « pouvoir d’achat ». Le risque de « fracture sociale » est réel, mais il ne ne doit pas non plus servir d’alibi à l’immobilisme.

Avec le Fonds de compensation (FdC), les syndicats disposent d’un puissant levier. En 2020, la Sicav du FdC pesait 21,6 milliards d’euros. « En incluant le gaz naturel, les combustibles fossiles représentent 46,9 pour cent du mix énergétique du portefeuille consolidé du FdC », note le Rapport d’investisseur responsable publié en juin. Ce serait mieux que les indices de référence, même si ce résultat aurait été réalisé « par le biais d’une exposition plus significative à l’énergie nucléaire, ceci au détriment des énergies renouvelables. » Le conseil d’administration du FdC est composé de manière tripartite. Quatre représentants, tous issus de la vieille école productiviste de l’OGBL et du LCGB, y occupent un tiers des sièges. En décembre 2019, le congrès de l’OGBL avait pourtant adopté son nouveau programme dans lequel il « exigeait » que le FdC « n’investisse plus, ni dans le nucléaire, ni dans les énergies fossiles ». Mais face à l’urgence climatique, le temps des vœux pieux est révolu. Cette semaine ABP, le principal fonds de pension néerlandais, a annoncé désinvestir des énergies fossiles quinze milliards d’euros d’ici 2023.

Bernard Thomas
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