Dans l’exposition L’invention d’Esch-sur-Alzette, Josef Stübben et les architectes de la Ville, on peut voir pour la première fois, le plan d’extension de celui auquel la commune a fait appel en 1924 dans l’idée d’un développement cohérent pour une ville de 34 000 habitants. Avant, Esch était un village rural (comme le montre la carte de Ferrantis de la deuxième moitié du 18e siècle), puis passe à l’échelle du bourg au milieu du 19e siècle et surpasse Bettembourg comme chef-lieu de canton (relevé cadastral de la commune de 1842) avant de devenir une ville en 1906. À l’époque, elle compte près de 12 000 habitants et prospère ensuite grâce à la sidérurgie (plan de SUDenergie). La ville compte trois usines et s’étend entre le vieux noyau médiéval et la gare. Malgré les constructions à fier caractère urbain, la rue de l’Alzette couverte devient l’artère principale, l’installation de toutes les infrastructures afférentes à une ville du vingtième siècle sont mises en place au niveau technique et de l’hygiène. Esch s’est développé si vite qu’elle va rechercher plus de cohérence pour son extension future.
À l’époque de cette commande, Stübben va avoir 80 ans, mais sa réputation est encore grande. Il a beaucoup travaillé dans la région : il a été architecte en chef des villes d’ Aix-la-Chapelle et de Cologne. En Lorraine, après la guerre franco-prussienne, il est l’auteur des belles avenues du Quartier allemand de Metz et d’une grande partie de la ville de Thionville. En 1890, il a publié un ouvrage intitulé Der Städtebau, Handbuch der Architektur. Deux ans avant Esch, en 1922-23, Luxembourg a déjà fait appel à lui et les quelques « morceaux » de son plan transposé (avenue de la Liberté au Plateau Bourbon, Val-Ste-Croix, Limpertsberg), sont encore aujourd’hui immédiatement identifiables. Sa théorie repose sur la hiérarchie des voies de circulation séparées véhicules-piétons, la végétation est abondante sous forme de parcs et d’avenues plantées. Le bâti aussi est hiérarchisé : places devant les édifices publics, bâti en front de rue pour les édifices les plus hauts, jardinets avant pour les maisons d’habitation des quartiers périphériques.
À Esch, Joseph Stübben aurait fait de la rue de l’Alzette une artère verte et les quartiers d’habitation, dessinés en îlots urbains réguliers, auraient été traversés par des chemins piétonniers plantés. En témoigne, aujourd’hui encore, même s’il a été transformé, le Parc Laval, un parc de quartier. Les aménagements éducatifs et sportifs y sont publics comme la bibliothèque municipale, il comprend des courts de tennis, des jeux pour les enfants, le tout ombragé par des essences d’arbres remarquables. La connaissance botanique n’est pas oubliée et l’embellissement et les bienfaits sur la santé par le végétal hautement estimés. L’allée centrale du cimetière Saint-Joseph est encore aujourd’hui un axe inter-quartiers apprécié, complété depuis par un axe transversal, ce qui confirme la justesse de son tracé prévu par Stübben, car naturellement emprunté par les piétons. Cette adéquation entre tracé et usage équivaut, dans le langage imagé du regretté Lucien Kroll disparu récemment, au « chemin des sioux ».
L’architecture pittoresque de Joseph Stübben, ne tendait pas vers la modernité. Il suffit pour cela de visiter Metz ou Thionville et dans l’exposition, de regarder les dessins, boulevard Servais à Luxembourg de l’imposante villa, (aujourd’hui l’Ambassade des États-Unis), construite en 1922 par son émule l’architecte allemand Gust Schoppen (1890-1931). Les années 1920 voient la guerre des styles entre, les toits-terrasses prônés par le Bauhaus et les toit traditionnels à deux pentes. À Paris, en 1925, Le Corbusier présente le pavillon de l’Esprit Nouveau à l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes. Stübben est naturellement à ranger du côté du style « heimisch », régionaliste.
Comme dans beaucoup de villes, les entrées de Esch ont été négligées et ont même créé de véritables césures dans le tissu urbain, car abordées uniquement en fonction de la circulation automobile. Mais est-ce une raison pour présenter le projet du Parteiforum, dessiné en 1941 par Karl-Heinz Löb à la typologie idéologique national-socialiste avec ses arcades, ses formes géométriques, sa tour signal et, sa place destinée aux rassemblements du peuple comme un exemple à prôner aujourd’hui pour coudre le tissu entre Esch et Schifflange sur le site de l’usine Arcelor-Mittal transformé en quartier de ville ? On ne sait pas qui, des responsables de l’exposition (Christian Mosar, direction artistique, Alain Linster et Denis Scuto, curateurs) prône ce retour de boomerang dont les frères Krier ont fait leur pain post-moderne théorique et construit avec la Cité judiciaire à Luxembourg…
Tant qu’à être de parti pris, il nous semble que la modernité de Stübben serait aujourd’hui du côté du paysagiste Michel Desvigne (1958), qui actuellement plaide pour et met en œuvre des îlots forestiers urbains pour contrecarrer la surchauffe dans un futur plus proche qu’on ne croyait. Il serait aussi assurément apprécié d’un Jan Gehl (1936), l’urbaniste danois appelé dans le monde entier pour redonner la mixité urbaine nécessaire à l’usage de la ville par le pas de l’homme ou à distance d’une petite course en bicyclette. Mais revenons à l’exposition. Certes, elle présente l’original de Josef Stübben qui est la pièce maîtresse de l’exposition.
Des exemples sont également rassemblés de réalisations ou de projets d’architectes de la Ville. On reconnaîtra l’entrée principale du terrain de foot de la Jeunesse Esch de Christian Scholl-Mersch (vers 1935) et on appréciera du même, la modernité de la villa Probst (1938), ainsi que le projet de concours pour le Monument aux Morts, même si on se refuse à rentrer dans le jeu de la polémique concernant le classicisme – mal compris aujourd’hui – du projet réalisé par Nicolas Schmit-Noesen avec Laurent Schmit pour l’actuel Musée de la Résistance (MNR). Sont également à voir le pavillon café-restaurant au Gaalgebierg de Robert Van Hulle (dessin de 1954), lequel, apprendra-t-on, succéda à ce poste à Isidore Engler qui est l’auteur de l’actuel Hôtel de Ville d’Esch en 1937. De Nicolas Schmit-Noesen, on verra les plans du fameux cinéma Rex, place du Brill (1938) : les polémiques ont du bon, puisqu’il est connu de tous, ayant été l’objet d’un long combat pour sa conservation.
Alain Linster et le Lëtzebuerg Architektur Musée (LAM), s’efforçant depuis de longues années de réunir des archives, c’est peut-être déforcer le propos de l’histoire de l’architecture eschoise et des architectes en chef de la Ville que de voir des projets hors Esch de la « star » Schmit-Noesen qu’on a déjà pu voir par ailleurs (voir d’Land du 16.01.2015 et du 22.07.2016). On conseille donc au visiteur de prendre son temps et de lire attentivement leurs fiches biographiques – établies de manière irréprochable. On comprend mieux l’importance qu’ont eu les architectes de la Ville d’Esch : Paul Flesch, Paul Wigreux, Isidore Engler, Gust Schopen, Prosper Colling.
Esch, la Métropole du Fer, regorge de projets et d’architectures bâties remarquables. On aurait aimé aussi pouvoir bénéficier de repères visuels et graphiques qui permettent de comprendre l’extension de la ville suivant la localisation des quartiers d’Esch, dont les noms sont pour beaucoup inconnus sinon à être eschois, voire architecte.