Lorsqu’on examine le rôle du plastique dans la perpétuation de notre folie carbonée, il saute aux yeux à quel point il est illusoire de miser sur l’action des industriels pour mettre fin au règne des énergies fossiles. Si certains d’entre eux affirment vouloir contribuer aux efforts de réduction des plastiques à usage unique, la majorité des pétroliers, raffineurs et chimistes qui les produisent font tout, en réalité, non seulement pour les pérenniser, avec les effets délétères sur les organismes vivants dont on commence à saisir l’ampleur, mais aussi pour en faire leur bouée de sauvetage.
Cela commence par la part que représentent les plastiques dans l’utilisation du pétrole et du gaz extraits. Estimés généralement à moins de dix pour cent aujourd’hui, elle pourrait bondir à vingt pour cent d’ici 2050 sur notre trajectoire actuelle selon le Programme des Nations Unies pour l’Environnement. Ce qui entraînerait une multiplication par quatre de la pollution marine par ces matériaux, avec pour conséquence des impacts catastrophiques pour de nombreuses espèces marines et des écosystèmes fragiles tels que coraux et mangroves.
Ensuite, loin de reconnaître la nécessité de réduire leur usage, les industriels continuent de prôner le recyclage comme solution, tout en prévoyant de doubler d’ici 2040 leur production de résines vierges. Lorsqu’un accord peu contraignant a été trouvé en 2022 à ce sujet lors d’une conférence à Nairobi, ils ont manifesté leur joie. L’American Chemistry Council s’est dit « très satisfait » par la voix de son représentant Stewart Harris « Nous ne soutenons pas de plafonds globaux de production de résine », a précisé le lobbyiste, insistant qu’il revenait à chaque pays de déterminer comment traiter les déchets et investir dans les technologies de recyclage.
L’industrie joue ici la même partition que pour les combustibles, à savoir qu’il importe selon elle de ne pas restreindre l’offre et de favoriser l’innovation technologique – une position soutenue à Nairobi par le gouvernement américain. Il s’agit d’un mirage, puisque loin de progresser, les taux de recyclage ont reculé ces dernières années, tandis que la part de résidus de plastique brûlés comme combustible bon marché a augmenté. L’Union européenne est favorable à des limites de production, mais n’a pas réussi jusqu’ici à en ancrer le principe au plan international.
Un récent reportage d’Arielle Samuelson, de la newsletter Heated, à Port Arthur, au Texas, à l’invitation d’un ancien employé d’Exxon, John Beard Jr, devenu fer de lance de la lutte contre la pollution que génèrent la production de résine de plastique et sa transformation pour cette communauté riveraine du Golfe de Mexique, illustre la négligence des industriels du secteur, mais aussi comment les compagnies pétrolières tentent d’instrumentaliser cet usage du pétrole et du gaz pour contrecarrer les efforts de décarbonation.
La production de résine de plastique s’accompagne d’effluves de benzène, chloroforme, formaldéhyde, dioxyde de soufre, sulfure d’hydrogène et butadiène. L’administration laisse généreusement les raffineurs torcher les excès de gaz. John Beard indique se réveiller fréquemment avec une odeur d’œufs pourris. L’usine Valero dont il est riverain a été accusée de 600 infractions à la législation sur la qualité de l’air entre 2014 et 2019. Les statistiques médicales démontrent une incidence élevée dans le comté de Jefferson, où se trouve Port Arthur, des cas de cancer, de maladies cardio-vasculaires et de la peau, de troubles respiratoires ou nerveux, plus nombreux que dans le reste de la population.
La journaliste de Heated note que les quartiers visités lors de son reportage à Port Arthur, qui héberge 17 usines pétrochimiques, portent encore les traces de l’ouragan Harvey qui a balayé les côtes du Texas et de la Louisiane en août 2017. La crise climatique et les tempêtes monstres qu’elle génère a beau frapper aussi les usines qui l’alimentent, leurs propriétaires n’en ont cure.
La stratégie des compagnies pétrolières est clairement, pour parer l’impact sur leurs chiffres d’affaires de l’inéluctable baisse de la demande de combustibles fossiles, de préparer le terrain pour une montée en puissance dans leurs activités de la production de dérivés du pétrole et du gaz. Cela peut paraître, à première vue, une stratégie légitime. Il importe cependant de ne pas tomber dans le panneau. Certes, les citoyens ont leur rôle à jouer en privilégiant, quand ils le peuvent, les matériaux vraiment réutilisables, les consignes et autres alternatives aux plastiques à usage unique, réduisant ainsi la demande. Mais laisser la bride sur le cou à ceux qui entendent continuer d’inonder les rayons des supermarchés et les déchetteries de leurs produits nocifs, et les sols, océans et organismes des micro-débris ô combien destructeurs qui résultent de leur fragmentation, revient à leur donner carte blanche pour justifier de nouveaux forages, continuer d’investir dans des usines et tenter de nous convaincre de l’innocuité de leurs nouveaux composés dits « biodégradables ». Prochain round de négociations internationales en avril au Canada.