Fallait-il être un preux chevalier et adoubé par son souverain pour prétendre à un blason ? Oui, au Moyen-Âge, si on en croit les textes explicatifs d’Ars Heraldica – Le monde des armoiries et le petit ouvrage qui accompagne l’exposition à la Bibliothèque nationale. Les armoiries font partie de la culture occidentale depuis plus de 800 ans, y est-il précisé. Les enfants d’aujourd’hui connaissent ces insignes portant lions, aigles, heaumes emplumés et casaques souvent à damiers et triangles aux couleurs vives, représentant le suzerain pour lequel les chevaliers combattaient. Ils s’identifient aux chevaliers à travers des jeux sur leur Playstation.
Il ne faut donc pas hésiter à les emmener voir cette exposition qui permet d’apprendre à lire ce langage des signes, avec lequel ils sont virtuellement familiers. On retiendra de l’histoire que ce qui correspondait à une réalité est encore utilisé aujourd’hui dans le marketing. Quel amateur de foot n’a pas crié « Rode Léiw huel se » dans un stade ? C’est l’occasion d’apprendre que le fameux lion rouge, portant couronne et griffes dorées, drapé d’hermine blanche, sur fond de rayures bleues pour les grandes armoiries du Grand-Duché, remonte au 12e siècle.
On apprendra évidemment beaucoup plus de choses que l’origine des couleurs du drapeau national dans l’exposition en quatre parties, où les éléments constitutifs des blasons, leurs significations et attributions, sont habillement « décortiqués » par l’historien Pit Péporté dans une scénographie signée NJOY. Mais rien de tout cela n’aurait été possible sans le don à la Bibliothèque nationale du Luxembourg, du fonds Jean-Claude Loutsch (1932-2002) par son épouse. Passionné par l’étude des blasons, l’ophtalmologiste était devenu « le » spécialiste luxembourgeois par excellence, au point de rassembler 2 700 ouvrages consacrés à l’héraldique. La moitié des manuscrits anciens sur un ensemble qui en comprend 44 est exposée ici, dont plusieurs remontent jusqu’au 16e siècle.
C’est donc une vraie leçon de l’histoire par les signes que de découvrir des armoiries originales créées à l’occasion de mariages entre enfants de familles nobles, les dits « livres d’amis » que l’on pourrait comparer à ce qu’est aujourd’hui un livre d’or ou des commentaires laissés à la fin d’une exposition dans un cahier. Sauf que la minutie des dessins (sans doute à la plume et encres de couleurs, ce n’est malheureusement pas précisé) d’il y a 400 ou 500 cents ans, l’emporte haut la main.
On peut cependant comparer le talent des dessinateurs de l’époque à celui de l’artiste Catherine Lorent, dont la BnL a eu la bonne idée d’exposer les dessins contemporains. L’accrochage d’Insignia, dans la salle de lecture de la Bibliothèque et les exemplaires précieux et les explications d’Ars Heraldica – Le monde des armoiries, dans la salle d’exposition, forment un tout et il est à espérer que le public aura l’idée d’aller voir l’une et l’autre exposition. Les 21 armoiries contemporaines, dessinées à l’encre et à la gouache, sont une expression rituelle récurrente de Catherine Lorent, qui donne à voir dans cet exercice d’art visuel, les liens ou dissonances de l’organisation sociale contemporaine.
Certains pourront juger cette initiative iconoclaste par rapport à une « noble expression » et l’exposition historique. Pourtant, partant de la haute origine au 12e siècle, les blasons ont connu une déclinaison inouïe que l’on découvre dans l’exposition. Les attributions de blasons passent de la puissance des princes et des alliances familiales nobles à la représentation des guildes et des métiers. Ce sont des insignes si importants, qu’ils font déjà l’objet d’ouvrages qui les référencent au 17e siècle. Tous les éléments qui les composent, division, formes géométriques, motifs d’êtres vivants et d’objets stylisés, les couleurs, parlent. Que ce soient des éléments réalistes ou imaginaires.
C’est ainsi que la BnL elle-même peut désormais s’enorgueillir de son blason dessiné par Catherine Lorent, rehaussé des lettres de l’alphabet. Une bibliothèque n’est-elle pas la reine des ouvrages imprimés ?