L’actuelle œuvre de refonte constitutionnelle a été formellement entamée au moment du dépôt de la proposition de révision portant modification et nouvel ordonnancement de la Constitution le 21 avril 20092. Les motifs en étaient « la modernisation de la terminologie désuète par endroits, la nécessité d’adapter les textes à l’exercice réel des pouvoirs et l’inscription dans la constitution des dispositions relevant d’une pratique coutumière et inscrites dans d’autres textes échappant à l’intervention du législateur ». Il s’agissait en bref « [d’adapter] un texte vieux de 150 ans à l’évolution naturelle du système politique, des institutions et des concepts juridiques. »
Quant à sa forme, notre Constitution date de 1868, même si sa substance remonte, pour une grande partie des articles, au texte de 1848, lui-même très étroitement aligné sur la Constitution belge de 1831. Depuis 1919, elle a subi de nombreuses modifications qui se sont suivies à un rythme toujours plus soutenu, surtout à partir de la fin des années 1970. Comme la structure de l’actuelle Constitution est globalement maintenue, et que les amendements ne changent donc pas fondamentalement le fonctionnement des institutions existantes et de leurs relations, « [les] incidences pratiques n’apparaissent pas majeures. [La] réforme infléchit toutefois sensiblement la nature du régime politique du Grand-Duché. On relève un affaiblissement manifeste des compétences, fussent-elles devenues symboliques, du Grand-Duc, par l’instauration des éléments essentiels d’un régime parlementaire moniste. »
L’avis de la Commission de Venise
L’avis de la Commission de Venise du 18 mars 2019 sur la proposition de révision portant instauration d’une nouvelle Constitution3 fait suite à une première prise de position de sa part du 14 décembre 20094. La Commission s’est félicitée qu’un bon nombre de recommandations exprimées en 2009 ont été apportées surtout dans le chapitre relatif aux droits et libertés. Elle a également salué l’étendue et la richesse du processus consultatif, organisé parallèlement aux travaux d’élaboration de la proposition. Elle n’a pas entendu commenter les choix politiques du constituant luxembourgeois qui relèvent à ses yeux du pouvoir discrétionnaire de celui-ci, mais elle s’est limitée à vérifier que le cadre des principes fondamentaux promus par le Conseil de l’Europe – démocratie, droits de l’homme et prééminence du droit – est respecté. Dans cet ordre d’idées, son avis se borne principalement « à souligner les points qui pourraient poser des problèmes d’interprétation ou d’application. » Malgré cette apparente retenue, la portée des trois groupes de ses recommandations principales est loin d’être négligeable :
– clarifier les dispositions relatives aux droits et libertés, en en alignant la portée sur celles des normes de droit internationales, entre autre en ce qui concerne la distinction prévue entre droits fondamentaux, libertés publiques et objectifs à valeur constitutionnelle, la terminologie « souvent datée », et l’étendue générale du principe d’égalité ;
– reprendre formellement dans le texte constitutionnel le principe de la hiérarchie des normes, sinon du moins celui de la primauté du droit international ;
– apporter à la mouture actuellement en discussion des précisions a) sur les conditions et effets du référendum et la composition du corps électoral, appelé à y participer, b) les conditions de nomination et de fonctionnement du Conseil d’État et du Conseil supérieur de la justice, c) le mode de nomination et de révocation des magistrats et d) les modalités de nomination et la durée du mandat du médiateur.
Même si la question des droits et libertés n’occupe qu’un peu plus d’un quart des 24 pages de l’avis du 18 mars 2019 , l’importance que revêtent les droits de l’homme dans un système libéral et démocratique, fondé de surcroît sur les principes de l’État de droit, justifie de s’y concentrer, même si les autres considérations des experts du Conseil de l’Europe mériteront aussi qu’on s’y attarde plus longuement.
Dans son avis de 2009, la Commission avait déjà estimé que le projet de nouvelle Constitution était l’expression d’une grande confiance à l’égard du législateur, puisque plusieurs dispositions réserveraient exclusivement à la loi le soin de déterminer les restrictions susceptibles d’affecter notamment les droits et libertés. Il y a été remédié lors des travaux consécutifs, en déclarant les droits fondamentaux identifiés dans la future Constitution comme absolus, et en encadrant de plusieurs garde-fous, inscrits dans le texte constitutionnel, les restrictions que le législateur pourra désormais apporter aux libertés publiques.
Les observations critiques de la Commission de Venise au sujet du Chapitre 1er (De l’État, de son territoire et de ses habitants) concernent entre autres le fait qu’« [u]ne disposition générale sur la hiérarchie des normes juridiques manque ». Même si la hiérarchie des normes n’est formellement inscrite ni dans la Constitution actuelle, ni dans la proposition de révision, elle fait figure de principe général du droit, auquel font régulièrement référence les avis du Conseil d’État et les décisions de justice. De surcroît, la proposition de révision se réfère sous différents angles de vue à ce principe : elle fait interdiction aux juridictions d’appliquer des lois ou des règlements qui ne sont pas conformes aux normes supérieures (art. 98) ; le règlement grand-ducal apparaît clairement comme un acte d’exécution de la loi (art. 50) ; une hiérarchisation formelle entre les règlements grand-ducaux et les actes réglementaires que peuvent prendre les établissements publics, les organes professionnels et les communes est établie (art. 118 et 122). Comme le principe de la hiérarchie des normes se trouve dans ces conditions réglé quant à sa substance, une mention formelle en paraît, à nos yeux, superfétatoire.
De même, la primauté du droit international sur les normes de droit interne, y compris la Constitution, fait traditionnellement partie des principes généraux du droit luxembourgeois. Aussi l’utilité d’une évocation explicite dans le texte constitutionnel n’a-t-elle jamais été considérée. Or, au regard de l’insistance des experts du Conseil de l’Europe sur ce point et des avantages d’une mise en évidence de la reconnaissance de ce principe par le Luxembourg, sa constitutionnalisation formelle s’avérerait opportune5.
« Typique du XIXe siècle »
Quant au chapitre 2 de la proposition de révision, la Commission reconnaît le mérite des modifications par rapport au texte actuel qui ont été apportées à ces dispositions. Mais elle regrette que celles-ci continuent à coller trop étroitement à la conception de la garantie des droits et libertés « typique du XIXe siècle ». Cette critique est pertinente, dans la mesure où l’interprétation et l’application des droits et libertés est largement conditionnée, au Luxembourg tout comme dans les 46 autres États membres du Conseil de l’Europe, par les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg qui, pour dire le droit, se réfère évidemment aux stipulations de la Convention européenne des droits de l’homme6. Il importe par conséquent que tant en ce qui concerne le fond que pour ce qui est du libellé, les dispositions constitutionnelles luxembourgeoises s’alignent étroitement sur le contenu et la forme de la Convention tout en prenant en compte la jurisprudence des juges de Strasbourg.
Le chapitre 2 sera à l’avenir subdivisé en trois sections traitant consécutivement des droits fondamentaux, des libertés publiques et des objectifs à valeur constitutionnelle. Les droits fondamentaux auront une portée absolue, en ce qu’ils sont intangibles et inaliénables, et que le législateur ne pourra pas, en avançant les droits d’autrui ou en se réclamant de l’intérêt public, y apporter des restrictions.
Les libertés publiques, et les droits qui s’y rattachent, sont par contre susceptibles d’être mis en balance avec des mesures de protection des libertés et droits d’autrui ainsi qu’avec des restrictions dictées par l’intérêt général. Or, pour éviter que le législateur n’utilise cette prérogative pour diluer l’essence même des libertés inscrites dans la Constitution, une « clause transversale »7 a été prévue dans la proposition de révision en vertu de laquelle toute restriction y apportée doit respecter le contenu essentiel et le principe de proportionnalité, elle n’est admise que si elle est nécessaire dans une société démocratique et répond à des objectifs effectifs d’intérêt général ou de protection des droits et libertés d’autrui. Et il appartiendra à la Cour constitutionnelle, appelée à se prononcer sur la conformité d’une loi qui prévoit des restrictions aux droits et libertés inscrits dans la Loi fondamentale, de vérifier si les restrictions légales introduites respectent effectivement les critères de la « clause transversale ». À cet égard, la Commission souligne la nécessité de préciser à l’article 37 de la proposition de révision que les restrictions prévues ne pourront être adoptée que sous la forme d’une loi. Reste par ailleurs à savoir si le droit électoral actif et passif et les droits du justiciables ne doivent pas être mesurés à la même aune que les libertés inscrites dans la section 2 du chapitre 2 de la proposition de révision.
Les objectifs à valeur constitutionnelle n’engagent l’État que vis-à-vis de lui-même et ne peuvent en principe pas être invoqués devant le juge comme les droits subjectifs, dont font partie les droits et libertés publics, repris à la section 2 ; l’article 52(5) de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, évoquant celles parmi ses dispositions qui contiennent des principes (ou objectifs) retenus par le droit primaire de l’Union, susceptibles d’être mis en œuvre par le droit dérivé (actes législatifs ou exécutifs au sens des articles 289, 290 et 291 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) ou par le droit des États membres, lorsque ceux-ci appliquent le droit de l’Union, retient à ce sujet que « [l’invocation de ces principes] devant le juge n’est admise que pour l’interprétation et le contrôle de la légalité de tels actes ».
La Commission de Venise apprécie l’effort de subdivision prévue du chapitre 2 de la future Constitution, mais elle se montre beaucoup plus réservée quant à la classification retenue des droits, libertés et objectifs. Elle remarque tout d’abord que le droit au respect de la vie privée ne saurait constituer un droit absolu, car les visites domiciliaires, les fouilles de véhicules, l’infiltration ou encore les écoutes téléphoniques que le droit pénal prévoit dans l’intérêt de la manifestation de la vérité en deviendraient impossibles. La proposition de révision risquera aussi de comporter des incohérences, si la liberté de religion est comme droit général considérée comme intangible à l’article 14, mais que l’article 24 prévoit de punir les infractions commises du moment que cette liberté s’articule à l’extérieur, par exemple dans le cadre de l’exercice de la liberté de manifester ses convictions philosophiques ou religieuses ou de l’exercice d’un culte. D’un autre côté, la Commission renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme pour relever que certains soi-disant objectifs à valeur constitutionnelle, comme le droit à la non-discrimination des handicapés ou le droit de fonder une famille, voire le respect de la vie familiale, comportent des droits subjectifs et devraient par conséquent figurer dans la section 2 du chapitre 2, afin de faire concorder la distinction prévue par le constituant luxembourgeois avec le droit international. L’analyse de la Commission et l’intérêt d’assurer la cohérence entre la future Constitution luxembourgeoise et le droit international soulignent la nécessité de remettre sur le métier la subdivision du chapitre 2 de la proposition de révision.
L’égalité vaut entre les seuls Luxembourgeois
Concernant la question de l’égalité, la Commission rappelle d’emblée que « l’égalité dans la loi et devant la loi est l’un des critères constitutifs de l’État de droit ». Or, la formule retenue dans la proposition de révision est reprise des textes constitutionnels antérieurs8 et continue à disposer que l’égalité vaut entre les seuls Luxembourgeois, excluant a priori les étrangers de son bénéfice. Aussi la Commission critique-t-elle la formule qui, nonobstant l’article 179 assimilant, « sauf les restrictions établies par la loi », les étrangers aux Luxembourgeois, maintient un libellé qui n’est plus adapté aux exigences du droit international que le Luxembourg a ratifié. Elle insiste dès lors sur un changement de l’approche choisie et demande que le principe de l’égalité bénéficie à tous, en concédant au constituant la prérogative d’en exclure le droit de vote et d’éligibilité pour les étrangers. Toute autre distinction fondée sur la nationalité ne pourra à ses yeux être envisagée que si la différence de traitement procède « d’une disparité objective et [qu’elle] est rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but »10. Cette approche rendrait partant inutile l’article 17 de la proposition de révision et l’assimilation entre Luxembourgeois et étrangers qu’il comporte.
Une deuxième critique de la Commission concernant la façon de cerner le principe de l’égalité tient à la formule de l’article 16 (2) qui interdit de façon générale (interdiction qui ne vaut donc pas seulement dans l’intérêt des Luxembourgeois) toute forme de discrimination « en raison de [la] situation ou [des] circonstances personnelles » des personnes visées. La Commission propose de développer cette formule, qui lui semble trop concise, en reprenant dans le futur texte constitutionnel les précisions apportées au terme « discrimination » dans la Convention européenne des droits de l’homme11. Or, les auteurs de la proposition de révision étaient pleinement conscients de leur choix ; même si le Luxembourg est tenu par ses engagements internationaux, ils craignaient que la reprise formelle dans le texte constitutionnel luxembourgeois de la formule bien plus précise de la Convention européenne sur tout ce qui est discrimination ne risque de renforcer la propension des justiciables à se réclamer d’une disposition constitutionnelle spécifiant bien davantage les différents aspects de discrimination et submerger la Cour constitutionnelle d’affaires sur la conformité constitutionnelle de lois au moindre indice laissant pressentir l’existence d’une disposition ressentie comme discriminatoires.
L’actuelle égalité des femmes et des hommes et l’obligation concomitante de l’État de promouvoir activement l’élimination des entraves pouvant subsister en la matière, est inscrite dans la Constitution depuis 2006 ; elle est reprise telle quelle dans la proposition de révision (art. 16 (3)). La Commission s’interroge sur la portée possible de cette disposition. À notre avis, la formule voulant que « [l]es en femmes et les hommes sont égaux en droits et devoirs » ne constitue qu’une application du principe constitutionnel général de l’égalité dans et devant la loi, tandis que l’invitation faite à l’État de « promouvoir activement l’élimination des entraves pouvant exister en matière d’égalité entre femmes et hommes » range parmi les objectifs à valeur constitutionnel et devrait dès lors figurer à la section 3 du chapitre en suivant la logique structurelle du texte que les auteurs de la proposition de révision ont retenue par ailleurs.
Privation de la liberté – certaines lacunes
En matière de privation de la liberté, la Commission de Venise a identifié un certain nombre de lacunes qui auraient avantage à être comblées dans le texte définitif. Elle estime tout d’abord que le libellé retenu se focalise trop exclusivement sur les privations de liberté intervenant sur base d’une décision du juge pénal, mais omettrait d’évoquer les internements administratifs (par exemple ceux dus à la prévention de maladies contagieuses, ceux intervenant dans le cadre d’une procédure d’expulsion ou de refoulement, ceux décidés à l’encontre de personnes atteintes de troubles psychiques graves, ou encore les placements de mineurs). Nous nous référons aux développements dans l’ouvrage « Le Conseil d’État, gardien de la Constitution et des Droits et Libertés fondamentaux »12, réservés à l’article 12 de la Constitution actuelle, dont le texte est repris de manière quasiment identique à l’article 18 de la proposition de révision. Le commentaire relatif audit article 12 nous semble dissiper les appréhensions des experts du Conseil de l’Europe dans la mesure où les auteurs expliquent que, dans sa version introduite lors de la révision du 2 juin 1999, ledit article a été conçu pour assurer que toutes les garanties constitutionnelles valant en relation avec les différentes formes de privation des libertés soient indistinctement valables dans les différents cas de figure. Une autre question est de savoir si les lois concernées respectent intégralement les exigences constitutionnelles. Il sera par exemple intéressant de le vérifier en relation avec le projet de loi sur la protection de la jeunesse en préparation, dont en particulier les passages relatifs au placement de mineurs hors leur cadre familial. Par ailleurs, la Commission a raison d’attirer l’attention sur l’inadéquation du libellé du paragraphe 3 de l’article 18, qui pourrait être lu comme si les garanties du « Habeas corpus » ne s’appliqueraient pas aux privations de liberté suivant une arrestation en cas de flagrant délit, qui doivent évidemment, tout comme les autres arrestations, être confirmées par une décision judiciaire intervenant au plus tard dans les vingt-quatre heures. Un redressement rédactionnel s’avérera par conséquent indiqué. Par contre, nous ne voyons pas l’intérêt de transférer au chapitre 2 les garanties du justiciable formant la section 5 du Chapitre 7 relatif à la justice, mais nous partageons l’avis de la Commission qui estime que la clause transversale , inscrite au dernier article de la section 2. Des libertés publiques (cf. art. 37) doit s’appliquer de la même façon aux droits du justiciable. Cette précision qui fait manifestement défaut dans la proposition de révision, et elle sera aussi de mise en relation avec l’exercice du droit électoral.
L’article 23 a trait à la « liberté de manifester ses opinions » et à la « liberté de la presse ». La Commission propose d’aligner le libellé à la terminologie courante des traités internationaux qui préfèrent les termes « liberté d’expression » à ceux de « liberté d’opinion ». En effet, la liberté d’expression ne comporte pas seulement le droit de communiquer ou de manifester des opinions, mais aussi celui de recevoir des informations13. D’un autre côté nous avons été surpris de voir la Commission passer sous silence la formulation de l’article 24 qui comporte la seule disposition de la proposition de révision à évoquer un droit ou une liberté non seulement sous son aspect positif, mais évoque la liberté de religion sous le double angle de vue du droit « d’adhérer ou de ne pas adhérer à une religion ». La Cour européenne des droits de l’homme a itérativement rappelé que le droit « positif » d’adhérer à une association comporte de plein droit la liberté « négative » de ne pas y adhérer. Pourquoi évoquer cette double dimension de l’exercice d’un droit pour une seule des dispositions reprises au chapitre 2 de la proposition de révision, et pourquoi retenir justement la liberté d’adhérer à une religion plutôt qu’un autre droit ou une autre liberté consacrés par la future Constitution. Le choix rédactionnel est d’autant plus surprenant que l’alinéa 2 de l’article 24 ajoute que « Nul ne peut être contraint de concourir d’une manière quelconque aux actes et aux cérémonies d’un culte ni d’en observer les jours de repos » ?
Liberté de reunion continue dans la ligne du XIXe siècle
Contrairement à la Convention européenne ou à la Charte de l’Union européenne14, l’article 25 de la proposition de révision sur la liberté de réunion continue, dans la ligne de nos textes constitutionnels du XIXe siècle, à prévoir la possibilité de soumettre à autorisation les réunions ou rassemblements en plein air dans un lieu accessible au public. La Commission préconise de mettre la disposition de l’article 25 en phase avec le droit des traités en remplaçant la possibilité des autorités publiques de soumettre à autorisation les réunions en plein air dans un lieu public par l’obligation de l’organisateur d’indiquer son intention de tenir une réunion plutôt que de devoir solliciter une autorisation.
Depuis sa révision du 21 mai 1948 notre Constitution garantit les libertés syndicales, garantie qui a été complétée le 29 mars 2007 par l’ajout qu’il appartient au législateur d’organiser l’exercice de la grève. L’article 28 de la proposition de révision reprend ces principes confirmant que les libertés syndicales sont garanties, et que le droit de grève préexiste à l’organisation de son exercice par la loi. La Commission de Venise estime que le contenu des libertés syndicales aurait avantage à être précisé. Effectivement tant la Convention européenne que la Charte de l’Union européenne s’avèrent bien plus détaillées sur la question. La première considère, aux termes de son article 11, la liberté syndicale comme relevant de la liberté d’association et dispose que la liberté d’association comporte « le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts » et en permettant « des restrictions légitimes (…) à l’exercice de [ce droit] par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État ». La seconde reprend le principe de la Convention à son article 12, mais ajoute, à l’article 27, le droit à l’information et à la consultation des travailleurs (exercé de façon directe ou par l’intermédiaire de représentants) au sein des entreprises et, à l’article 28, le droit (tant pour les travailleurs que pour les employeurs) de négocier et de conclure des conventions collectives et le droit de recourir, en cas de conflits d’intérêts, à des actions collectives pour la défense de leurs intérêts, y compris le recours à la grève. Si le droit de grève nous semble implicitement garanti à l’article 28, alinéa 2, de la proposition de révision, les autres éléments des articles 27 et 28 de la Charte de l’Union européenne ouvrent sans doute des pistes de réflexion intéressantes pour adopter la proposition de révision aux observations de la Commission de Venise.
Le contenu de l’article 32 de la proposition de révision est nouveau, en ce qu’il fait du droit d’asile un droit formellement reconnu par la Constitution et protégé « dans les conditions déterminées par la loi ». Comme la Commission n’apprécie pas que la Constitution accorde une trop grande confiance au législateur, elle propose d’encadrer davantage le pouvoir discrétionnaire de la Chambre des députés. Nous ne partageons pas ce souci, à partir du moment où la proposition de la Commission sera suivie d’inscrire formellement le principe de la primauté du droit international dans le futur texte constitutionnel, principe qui oblige le législateur à respecter les engagements pris par le Luxembourg dans les traités qu’il a ratifiés, dont la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés15.
La façon de traiter l’éducation fait, dans la proposition de révision (cf. art. 33), l’objet d’une refonte poussée par rapport au contenu de l’article 23 de la Constitution actuelle. Hormis l’ajout essentiel à l’ingrès de l’article que « [t]oute personne a droit à l’éducation », la future disposition constitutionnelle continuera à admettre l’existence d’un enseignement privé à côté de l’enseignement public. Nous estimons que dans ces conditions les exigences de l’article 2 du Protocole n°1 de la Convention européenne des droits de l’homme16 sont respectées, et que par conséquent les craintes formulées par la Commission quant à une éventuelle prise en compte insuffisante du droit des parents d’assurer à leurs enfants un enseignement conforme à leurs convictions religieuses et philosophiques n’est guère fondée. La Cour européenne des droits de l’homme17 accepte l’interdiction de l’éducation des enfants à la maison pour des considérations tenant aux convictions religieuses ou philosophiques des parents, car elle estime que cette interdiction relève de la marge d’appréciation qu’elle concède aux États en matière de conception du système d’enseignement. Les exigences du protocole n°1 sont dès lors remplies, si les parents peuvent inscrire leurs enfants dans des établissements scolaires qui conviennent le mieux à leurs convictions. Il en est autrement de la dispense des élèves de certains cours dont le contenu s’écarte des convictions des parents et que les autorités publiques doivent dès lors accorder. Ce droit à la dispense ne s’étend pourtant pas des cours d’éthique laïque puisque, selon la Cour, ledit protocole ne s’oppose pas à la fréquentation obligatoire de ce type de cours.
Financement de l’éducation et de l’enseignement privés
Même si les États ne sont tenus par aucune obligation internationale de subventionner l’enseignement privé, la Commission de Venise propose par ailleurs de réfléchir à l’opportunité de l’inscription dans la future Constitution de règles selon lesquelles l’État entendrait financer l’éducation et l’enseignement privés. Un tel ajout ne nous semble pas indispensable en présence de l’alinéa deux du paragraphe 3 de l’article 33 qui prévoit que « l’intervention de l’État dans l’enseignement privé est déterminée par la loi ». Cette disposition permettra d’abord à l’État d’exercer la surveillance sur l’enseignement privé, surveillance relevant de la marge d’appréciation précitée des États au motif que le droit à l’éducation appelle de par sa nature même une réglementation. La Cour se réserve pourtant de vérifier les applications nationales pour éviter que les limitations mises en œuvre ne réduisent pas le droit au point de l’atteindre dans sa substance et de le priver de son effectivité. Cette même disposition crée en même temps la base constitutionnelle pour le cadre légal des interventions matérielles dans l’organisation des écoles privées, qui peuvent notamment être destinées à soutenir sur le plan financier leurs efforts d’investissement et à supporter une partie de leurs frais d’exploitation.
Sur base de l’analyse qui précède, nous nous rallions aux conclusions de la Commission de Venise, lorsqu’elle estime que le projet de révision constitutionnelle apporte des précisions bienvenues dans le chapitre sur les droits et libertés, dont notamment l’ajout d’une clause transversale concernant les limitations que le législateur peut apporter aux libertés publiques. Toutefois, il échet de clarifier les normes sur les droits de l’homme et d’indiquer, en l’absence d’une disposition générale sur la hiérarchie des normes, au moins de façon explicite le rang du droit international, car « cristalliser dans la Constitution des divergences importantes par rapport aux standards internationaux, tels qu’ils sont connus à l’heure de la réforme constitutionnelle, peut être interprété comme une volonté du législateur constitutionnel de s’écarter du droit international. »