L’adoption d’une nouvelle Constitution (2e partie)

Les institutions

Famille grand-ducale, Luxembourg
Photo: Patrick Galbats
d'Lëtzebuerger Land du 19.05.2017

Le Chef de l’État, monarque constitutionnel Le premier des chapitres dédiés aux institutions étatiques est réservé au Grand-Duc. Dans son avis du 12 juin 2012, le Conseil d’État avait déjà pris soin de souligner les compétences du Chef de l’État « non comme des prérogatives, mais comme des attributions relevant des devoirs constitutionnels du Grand-Duc »1. La façon de structurer le chapitre en question et sa division dans une section relative à la fonction du Chef de l’État et dans une autre traitant de la monarchie constitutionnelle reflète cette finalité. Les attributions du Grand-Duc sont axées autour de trois fonctions, une fonction symbolique et représentative, une fonction de médiation en cas de crise politique (traitée plutôt discrètement dans les futurs articles constitutionnels) et la fonction d’agir comme « notaire de la Nation » en vue d’authentifier par sa signature les dispositions prises plus particulièrement par la Chambre des députés et le Gouvernement ainsi que les propositions de nomination de magistrats formulées par le Conseil national (ou « suprême ») de la Justice.

La future Constitution est censée reprendre le principe de l’inviolabilité de la personne du Grand-Duc, le contreseing de ses actes par les membres du Gouvernement qui en assument la responsabilité devant la Chambre des députés, et ses droits régaliens (droit de grâce, droit de conférer des promotions dans les ordres nationaux, droit de conférer des titres de noblesse, désormais limité aux membres de la famille grand-ducale2), à l’exception du droit de battre monnaie (de toute façon limité à la prérogative de voir apparaître son effigie sur la monnaie émise selon les règles légales, et valant depuis l’introduction de l’euro seulement encore pour les pièces métalliques que les autorités luxembourgeoises sont en droit d’émettre). La section relative à la fonction du Chef de l’État servira finalement encore de cadre pour organiser plus clairement le pouvoir réglementaire (avec la nécessité d’aligner le texte aux révisions ponctuelles évoquées plus haut en relation avec l’article 32 de la Constitution actuelle) ainsi que pour confirmer le Treaty making power qui restent formellement attribués au Grand-Duc.

Contrairement aux autres fonctions institutionnelles d’un régime démocratique, la fonction monarchique est en raison de son caractère héréditaire la seule à ne pas répondre aux exigences d’électivité ou de nomination par un organe élu. Les règles de succession à la fonction grand-ducale doivent dès lors être fixées avec précision dans la Constitution même, et non, comme prévu dans la Constitution actuelle, par le renvoi à un pacte de la famille régnante, qui apparaît à la lumière de la conception du droit actuel comme un acte de droit privé.

Dorénavant la succession à la fonction monarchique et les conséquences d’une abdication volontaire ou forcée du Grand-Duc seront réglées dans la Constitution. La succession se fera par ordre de primogéniture sans distinguer selon le sexe des enfants3. Or, il reste que le droit de succession est limité aux seuls enfants nés d’un mariage du titulaire de la fonction grand-ducale, et l’on peut se demander si cette formule est compatible avec les principes de droit international dans l’éventualité où il y aurait un jour des enfants adoptifs. Cette même question vaut aussi pour les règles de la dévolution fidéicommissaire au profit du seul successeur à la fonction monarchique4, comme le Conseil d’État le relève à bon escient dans son avis du 14 mars 2017.

Hormis sa proposition de préserver au serment du Grand-Duc une formule plus solennelle que prévue dans les amendements parlementaires, l’avis complémentaire du Conseil d’État discute les conséquences juridiques, selon que le Grand-Duc se fait représenter (comme en droit civil) par un Lieutenant-Représentant ou qu’il délègue à celui-ci (comme en droit public) une partie de ses compétences. Par ailleurs, la question de la renonciation à la fonction monarchique devrait selon lui valoir non seulement pour l’auteur de la renonciation mais s’appliquer aussi à ses descendants pour éviter que, en cas de succession par voie collatérale, il y ait des difficultés au sujet de « la priorité des lignes de succession ».

Un autre problème soulevé concerne la volonté de remplacer la liste civile traditionnellement accordée au Grand-Duc pour toute la durée de son mandat par une dotation annuelle à charge de la loi budgétaire. Cette approche avait déjà été analysée plus amplement dans l’avis du Conseil d’État du 12 juin 20125, et elle est reprise dans son avis complémentaire du 14 mars 2017. En effet, si le Grand-Duc doit, en sa qualité de Chef de l’État, être considéré comme une institution de l’État, au même titre que les autres organes constitutionnels, il semble logique d’appliquer également à son égard les règles usuellement valables en matière de finances publiques. Il est d’ailleurs prévu que l’ancien Chef de l’État, le Grand-Duc héritier, le Lieutenant-Représentant et le Régent toucheront eux aussi une telle dotation annuelle. Il appartiendra évidemment au législateur d’en fixer le montant et d’en régler les modalités et les mécanismes de contrôle. À notre avis, ces dotations auront encore l’avantage de dédramatiser la discussion autour de la question du fidéicommis dont l’insertion dans le futur texte constitutionnel est préconisée par le Gouvernement et jouit du soutien de la commission parlementaire.

La Chambre des députés, représentant de la Nation et législateur

La Chambre des députés est le seul organe de l’État dont la composition et le renouvellement reposent sur la sélection de ses membres grâce à un suffrage universel. Elle puise donc sa légitimité dans sa désignation directe par le corps électoral, représentant de la Nation entière.

Les compétences de la Chambre des députés portent sur quatre aspects, la fonction constituante que nous avons déjà évoquée dans la première partie de notre analyse, la fonction législative qui s’avère la mission principale du moins par le volume des dossiers traités, la fonction de contrôle de l’exécutif qui a certainement évolué dans un régime de partis (où la majorité parlementaire a un rôle de support bien plus que de contrôle du Gouvernement, celui-ci étant surtout assumé par l’opposition et l’opinion publique), et enfin une fonction de coopération au processus législatif et politique de l’Union européenne6.

La section 1ère « De la représentation du pays » évoque le rôle de la Chambre et la manière dont elle est composée et renouvelée. Les articles relatifs au droit électoral actif et passif pourraient aussi figurer dans le chapitre dédié aux droits fondamentaux et aux libertés individuelles, mais selon la tradition constitutionnelle ils continuent à être inscrits au chapitre relatif à la Chambre des députés.

La disposition voulant que la Chambre représente le pays ou la Nation fait écho au principe constitutionnel conférant au régime politique luxembourgeois la forme d’une démocratie représentative ou démocratie parlementaire.

D’après le droit constitutionnel moderne, le mandat parlementaire n’a pas de caractère impératif, car les députés sont tenus de « [voter] sans en référer à leurs commettants, [en ne pouvant] avoir en vue que l’intérêt général ». Les commentateurs se sont interrogés sur l’intention des constituants en ce qui concerne le choix du mot « commettants », notion de droit civil, qui s’écarte de la terminologie du droit public7.

Dans le sillage de l’innovation rédactionnelle introduite en 1919, le Conseil d’État avait préconisé en 2012 d’harmoniser le libellé constitutionnel en remplaçant de façon générale la référence au « pays » par celle à la « Nation ». La commission parlementaire préfère s’en tenir au terme original « pays », en guise de compromis entre les tenants de la souveraineté nationale et ceux de la souveraineté populaire. En France, où il a eu ses origines, le clivage entre les deux concepts semble surmonté non seulement par la doctrine mais aussi et surtout par le constituant lui-même8. Il est d’ailleurs étonnant de voir la discussion resurgir au Luxembourg à un moment où, depuis la modification de l’article 34 de la Constitution en 2009 et la suppression de la sanction grand-ducale des lois, le pouvoir législatif n’est plus partagé entre une assemblée d’élus et le monarque, et où la distinction entre nation et peuple a dès lors perdu son acuité9. D’ailleurs, la commission parlementaire n’a pas remis en cause le texte du chapitre 1er de son texte coordonné, où le terme « Nation » et son adjectif « national » sont employés au moins trois fois.

Une distinction entre les conditions à remplir par les titulaires du droit électoral actif et passif et les exigences à observer pour participer concrètement à des élections est probablement difficile à établir, même si en principe les premières sont déterminées dans la Constitution et les secondes dans la loi électorale. Par voie de conséquence, le Conseil d’État avait en 2012 suggéré d’adopter la loi électorale et les changements à y apporter à la majorité qualifiée, comme en matière constitutionnelle. Or, la commission parlementaire entend garder la « flexibilité » actuelle pour modifier la loi électorale dans les conditions usuellement prévues pour l’adoption des lois ordinaires. Au regard de la sensibilité que revêt la question pour l’organisation démocratique du scrutin, la suggestion du Conseil d’État ferait du sens, ne serait-ce que pour éviter que la loi électorale soit utilisée par une majorité parlementaire simple pour altérer les principes constitutionnels adoptés à la majorité qualifiée de l’article 114 de la Constitution.

Un autre point de discorde entre le Conseil d’État et la commission parlementaire concerne la manière d’évoquer les incompatibilités avec le mandat de député d’autres fonctions publiques, voire d’autres activités professionnelles. Sans entrer dans la discussion technique de savoir si une mention explicite du mandat de membre du Parlement européen parmi les incompatibilités ne requiert pas l’évocation parallèle de l’exercice de fonctions dans d’autres institutions de l’Union européenne (Commission, Cour de justice, Cour des comptes, …), il nous semble surtout indiqué d’étendre les incompatibilités, inhérentes à l’exercice d’ « emplois et fonctions publics », à d’autres activités susceptibles de générer des conflits entre l’intérêt privé ou personnel lié à une telle activité et l’intérêt général à la réalisation exclusive duquel le député est tenu. Le conflit d’intérêts auquel s’exposerait un député, professionnellement engagé dans le lobbying économique ou à la tête d’une entreprise faisant une grande partie de son chiffre d’affaires grâce à des commandes publiques, ne serait-il pas plus grave que par exemple l’exercice d’une fonction dans l’enseignement fondamental ou encore un travail subalterne dans une administration ?

Il est de tradition que la Chambre des députés « vérifie les pouvoirs de ses membres et juge les contestations qui s’élèvent à ce sujet »10. Le Conseil d’État se plaît de rappeler à ce sujet le refus de la Chambre des députés de l’époque de valider l’élection du premier député communiste lors du scrutin de 1934 et note les réticences du Conseil de l’Europe de placer la responsabilité de validation des mandats parlementaires entre les seules mains d’un parlement. Il y a accord entre la Haute corporation et la commission parlementaire pour maintenir la compétence de cette validation en première instance auprès de la Chambre, mais de prévoir désormais un recours juridictionnel contre les décisions prises. L’idée du Conseil d’État de renvoyer à une loi, adoptée à la majorité qualifiée, pour régler ce recours est en tout cas préférable à l’idée de la commission parlementaire octroyant à la Cour administrative la compétence pour connaître de ce recours. En effet, traditionnellement, « les contestations qui ont pour objet des droits politiques sont du ressort des juridictions de l’ordre judiciaire »11 et l’attribution d’une telle compétence à une instance juridictionnelle d’appel prive les intéressés d’un degré de juridiction.

L’innovation selon laquelle le mandat de député ne prend pas fin au jour des nouvelles élections, mais seulement au jour de la prise de fonction de la nouvelle Chambre (obligatoirement dans les trente jours suivant la date du scrutin) s’inscrit dans un souci de continuité du travail parlementaire, préoccupation que l’on retrouve aussi dans plusieurs textes constitutionnels étrangers. Ce point qui fait l’unanimité nous semble approprié.

Par contre, l’idée que la Chambre gardera la plénitude de ses attributions au-delà du jour des élections, et ce jusqu’au jour où l’assemblée qui lui succédera aura eu sa séance constitutive, pourra poser problème. En effet, il est prévu que dans le délai entre les élections et cette réunion constitutive l’ancienne Chambre devra se réunir à la demande motivée du Gouvernement ou d’un tiers de ses membres12. Le caractère motivé d’une telle demande ne comporte-t-il pas un risque de contentieux inutile ? Qui appréciera la suffisance des motifs ? La demande pourrait-elle être refusée, si les motifs étaient jugés inadéquats ? Une simple demande de réunir la Chambre, appuyée par la majorité des députés, ne suffirait-elle pas ?

La façon de provoquer des élections anticipées prévue par la nouvelle Constitution se distinguera de la prérogative actuelle du Grand-Duc de dissoudre la Chambre des députés. L’article 75 du texte coordonné du 24 novembre 2016 évoque les élections anticipées sous deux angles de vue. D’une part, d’après la première phrase de son alinéa premier, le Grand-Duc ne pourra fixer des élections anticipées que dans les deux hypothèses où la Chambre aura rejeté une motion de confiance ou adopté une motion de censure à l’égard du Gouvernement. D’autre part, aux termes du même alinéa, le Grand-Duc «[ fixera] des élections anticipées» en cas de démission du Gouvernement, après avoir reçu l’assentiment de la Chambre pour ce faire.

Il convient d’abord de noter que l’adoption desdites motions ne se fera pas d’après le mode de votation usuel, mais requerra l’appui de la majorité des membres de la Chambre des députés. Cette manière dérogatoire pour déterminer la majorité requise s’impose-t-elle vraiment, puisque le vote par procuration restera possible pour se prononcer ?

En visant la première des deux évocations des élections anticipées de l’article 75, le Conseil d’État estime que, dans pareil cas, la Chambre devrait convaincre le Chef de l’État de la nécessité de telles élections. Nous ne partageons pas cette lecture de la disposition en question, et nous croyons en outre qu’elle est en fin de compte superfétatoire.

En effet, l’article 75 doit être lu avec l’article 91 du chapitre relatif au Gouvernement13. En vertu de cet article 91, le Gouvernement est tenu de démissionner, lorsqu’un texte (programme gouvernemental présenté en début de législature ou tout projet de loi et toute déclaration gouvernementale sur laquelle le Gouvernement a engagé sa responsabilité en cours de législature), sur lequel il a dû ou voulu engager sa responsabilité, ne recueille pas un appui majoritaire au sein de la Chambre. La démission s’impose aussi si la Chambre retire sa confiance au Gouvernement en adoptant une motion de censure. Enfin, l’on peut encore imaginer d’autres raisons, indépendantes de la Chambre des députés, qui pousseraient un gouvernement à la démission.

Dans chacune des hypothèses précitées, le Premier ministre est tenu de formaliser la démission en la soumettant au Grand-Duc14 qui chargera le Gouvernement démissionnaire de la gestion des affaires courantes, c’est-à-dire le Gouvernement « [sera chargé de continuer] à conduire provisoirement la politique générale ». Voilà pour les dispositions de l’article 91.

Les suites qui se dégagent de la démission d’un gouvernement sont réglées à l’article 75 qui dispose qu’« en cas de démission du Gouvernement, le Chef de l’État, après avoir reçu l’assentiment de la Chambre (…) fixe des élections anticipées ». L’hypothèse pour activer la disposition précitée est donc celle de la démission du Gouvernement, sans précision des causes qui y ont mené. Dans ces conditions, il appartient en premier lieu à la Chambre de se prononcer. Renouvellera-t-elle sa confiance au Gouvernement démissionnaire, le cas échéant autrement composé, ou trouvera-t-elle en son sein une autre majorité prête à appuyer un autre gouvernement ou, à défaut, s’accorde-t-elle, du moins majoritairement, sur des élections anticipées ? Dans ce dernier cas, elle informera le Grand-Duc de son choix, et celui-ci sera tenu de fixer de nouvelles élections sans pouvoir en apprécier l’opportunité. Sa compétence apparaît donc comme une compétence purement liée, lui donnant tout au plus la liberté de déterminer la date effective des élections qui devront, selon les exigences constitutionnelles, se tenir dans les trois mois.

Il n’est donc pas besoin de convaincre le Grand-Duc de l’utilité des élections anticipées pour lesquelles s’est prononcée la Chambre des députés, tout comme la première phrase de l’alinéa premier de l’article 75 n’aura pas de valeur ajoutée, puisqu’elle ne constitue finalement qu’une redite des dispositions sur la manière d’activer la question de la confiance parlementaire à l’égard du Gouvernement. Enfin, des élections anticipées ne seraient pas possibles dans l’année qui suit une autre élection (sous-entendu, « parlementaire »). Qu’en serait-il au cas où il s’avère impossible de constituer au sein de la Chambre nouvellement élue une majorité gouvernementale ou au cas où un gouvernement nouveau, tenu d’engager sa responsabilité sur son programme, se voit refuser la confiance de la Chambre ? Ces hypothèses ne sont hélas pas seulement théoriques comme documenté récemment en Belgique ou en Espagne. Est-il raisonnable de prolonger inutilement une crise politique ? À défaut d’une majorité parlementaire, disposée à soutenir un gouvernement dans la première hypothèse, ou de trouver une majorité gouvernementale autrement composée dans la seconde, le Gouvernement en place avant les élections ou celui qui n’a pas trouvé de majorité parlementaire prête à le supporter, devront-ils continuer à assumer la responsabilité des affaires politiques pendant un an avant qu’il ne devienne possible de procéder à de nouvelles élections ?

En vertu du projet de nouvelle Constitution, il est prévu d’étendre l’initiative législative, actuellement partagée par le Grand-Duc (en fait le Gouvernement) et la Chambre (en fait chaque député pris individuellement). Désormais un groupe d’électeurs pourra également exercer cette prérogative. Dès 2012, le Conseil d’État s’était déclaré d’accord avec le principe, mais il avait souligné la nécessité de veiller au maintien de l’attribution exclusive du pouvoir législatif à la Chambre. Celle-ci devra en effet rester seule juge du suivi à réserver aux initiatives législatives peu importe que l’auteur en soit le pouvoir exécutif, un député ou un groupe d’électeurs. Est-il pourtant judicieux, comme semble l’envisager la commission parlementaire, de réduire l’initiative populaire à une « pétition de qualité supérieure » (puisqu’elle comportera obligatoirement un projet de texte légal et un exposé des motifs susceptibles de servir de support à une discussion parlementaire) qui serait d’abord entérinée par la Chambre des députés et pour ainsi dire mutée en proposition parlementaire, avant que son examen par la Chambre puisse débuter ?

Selon l’article 70 de la Constitution actuelle, « la Chambre détermine par son règlement le mode suivant lequel elle exerce ses attributions », et l’article 51(2) dispose parallèlement que « l’organisation de la Chambre est réglée par la loi ». Le règlement de la Chambre est considéré comme équipollent à la loi, même si sa conformité à la Loi fondamentale échappe au contrôle de constitutionnalité. Selon le Conseil d’Etat15, la double façon de régler l’organisation parlementaire repose sur la distinction voulue par les auteurs de la Constitution de 1868 entre les règles de fonctionnement purement interne, réservées au règlement, et les questions impliquant des relations externes qui doivent faire l’objet d’une loi (enquêtes parlementaires, sécurité sociale des députés et anciens députés, engagement et statut du personnel, …). Dans cette logique, il est difficile de comprendre la proposition de la commission parlementaire entendant confier au règlement de la Chambre le soin « [de déterminer] les mesures d’exécution des lois qui concernent son organisation ». La Chambre entend-elle renoncer à l’équipollence de son règlement aux lois ? Est-elle consciente de l’obligation de repenser dans ces conditions l’ordonnancement des textes en vigueur qui la concernent ? En effet, dans l’optique énoncée, la loi déterminerait les principes essentiels d’organisation interne de la Chambre, et il appartiendrait au règlement de préciser les conditions d’application à partir des principes légaux, pour autant que la question ne relève pas des matières que la Constitution a réservées à la loi formelle. Le règlement s’en trouverait abaissé au niveau d’un acte de pure exécution de la loi organique de la Chambre des députés.

Le Gouvernement, « puissance organisatrice de la vie sociale »16 et le Conseil d’État, « gardien de la Constitution »

Dans son avis de 2012, le Conseil d’État notait que le dispositif relativement sommaire actuellement en vigueur a permis au Gouvernement de s’affranchir de son rôle d’exécutant de la volonté du Grand-Duc que lui assignaient les textes du XIXe siècle, mais que le texte constitutionnel actuel n’avait pas évolué au même rythme que la pratique institutionnelle. En effet, le Gouvernement s’est depuis longtemps émancipé de son rôle d’exécutant, et il partage le pouvoir exécutif avec le Chef de l’État dont le rôle se limite de plus en plus à des interventions formelles.

Le nouveau texte constitutionnel en projet ne modifiera pas foncièrement cette approche, mais se bornera à préciser ponctuellement la fonction gouvernementale par certaines dispositions consacrant la pratique institutionnelle courante. Le rôle du Gouvernement consiste à diriger la politique générale de l’État. La composition du Gouvernement, dont les membres continueront à être nommés par le Grand-Duc, est précisée tout comme le rôle du Premier ministre, « primus inter pares » dont la fonction se borne à coordonner l’action gouvernementale et à en maintenir l’unité. La dualité des attributions des membres du Gouvernement est soulignée, exercice individuel des affaires dont ils ont la charge, responsabilité collective pour les affaires concernant la fonction gouvernementale dans son ensemble. Le contreseing des dispositions grand-ducales par les membres du Gouvernement et la responsabilité ministérielle devant la Chambre des députés sont réaffirmés, tout comme leurs responsabilités civile et pénale sont clarifiées. La façon d’engager la responsabilité politique devant la Chambre des députés reçoit une empreinte constitutionnelle formelle17, alors que jusqu’ici la façon d’engager cette responsabilité et les conséquences qui en découlaient avaient tout au plus la portée d’une pratique para-constitutionnelle.

Le Conseil d’État gardera son rôle d’organe consultatif valant pour les modifications de la Constitution, l’adoption des lois et, sauf procédure d’urgence, pour la finalisation des règlements grand-ducaux. Son obligation de se prononcer sur la dispense du second vote en relation avec les lois adoptées en première lecture par la Chambre lui conserve en outre son droit de véto suspensif actuel.

La commission parlementaire a, à son tour, été d’accord pour reprendre de façon quasiment littérale la version de texte proposée en 2012 par le Conseil d’État concernant sa propre évocation dans le futur texte constitutionnel. Tant les amendements parlementaires que l’avis complémentaire du Conseil d’Etat se passent dès lors de propositions et d’observations nouvelles.

(À suivre)

Paul Schmit est juriste et vice-président honoraire du Conseil d‘État. Il continuera son analyse de la nouvelle Constitution dans une des prochaines éditions du Lëtzebuerger Land. La première partie est parue dans le Land du 12 mai 2017.

1 Doc. parl. n° 60306, p. 8

2 La notion de « famille grand-ducale » n’est pas définie dans une norme de droit public, mais la définition figure dans le décret grand-ducal du 18 juin 2012 portant coordination du Statut de famille du 5 mai 1907 qui distingue entre la « Lignée Grand-Ducale », la « Famille Grand-Ducale » et la « Maison Grand-Ducale » et qui définit la famille grand-ducale comme suit sous le point II, § 2: « Die Großherzogliche Familie (la Famille Grand-Ducale) besteht aus allen direkten ehelichen Nachkommen der Großherzogin Charlotte. Die Ehepartner und Verwitweten der Mitglieder der Großherzoglichen Familie gehören dieser ebenfalls an. »

3 À cet égard, la future Constitution s’aligne sur le décret grand-ducal du 16 septembre 2010 introduisant l’égalité entre hommes et femmes en matière de succession au trône (cf. Mém. B n° 55 du 23 juin 2011 (p. 720).

4 Le fidéicommis est une disposition testamentaire (voire dans le Pacte de famille de Nassau de 1783 une stipulation liant les membres de cette famille) par laquelle le disposant transmet un ou plusieurs biens, sinon une partie ou l’ensemble de son patrimoine à un bénéficiaire apparent, tout en chargeant celui-ci de retransmettre cet héritage à une tierce personne. Le titulaire de la fonction monarchique se voit attribuer aux termes du pacte de 1783 la partie du patrimoine familial affectée à cette fonction avec l’obligation de gérer celle-ci dans l’intérêt de cette finalité et de la transmettre, en cas de décès ou d’abdication, à son successeur. Les autres héritiers du monarque n’ont par contre aucun droit sur cette partie de l’héritage.

5 Cf. doc. parl. n° 60306, p. 55 et 56

6 Cf. art. 12 du Traité de l’Union européenne et protocole n° 1 sur le rôle des parlements nationaux dans l’Union européenne, annexé au Traité de Lisbonne, signé le 13 décembre 2007 et entré en vigueur le 1er janvier 2009.

7 Ni les constitutions françaises de l’époque révolutionnaire (Constitution de 1791, Titre III, chapitre Ier, section 3, article VII ; Constitution de l’an I – 1793 –, article 29 ; Constitution de l’an III – 1795 –, article 52) ni la Constitution hollandaise de 1815 (article 83) ou la Constitution belge de 1831 (article 32) n’emploient cette notion, lorsqu’elles évoquent l’interdiction du mandat impératif ; cf. Alex Bonn, « La prohibition du mandat impératif » in : La Constitution oubliée, 1968, p. 20

8 La synthèse obtenue par conjonction de la nation et du peuple est illustrée à l’alinéa premier de l’article 3 de la Constitution française du 4 octobre 1958 qui dispose que «  La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ou par voie de référendum ».

9 Michel Troper, Terminer la Révolution, la Constitution de 1795, Fayard, 2006 (p.116) et Olivier Gohin, Droit constitutionnel (3e édition), LexisNexis, 2016 (p. 233-241)

10 Cf. article 57(1) de la Constitution actuelle.

11 Cf. article 85 de la Constitution actuelle.

12 Cf. art. 74 du texte coordonné joint aux amendements du 24 novembre 2011 : « Art. 74. La Chambre des députés se réunit en séance publique à la demande motivée du Gouvernement ou d’un tiers des députés. »

13 Cf. art. 75, alinéa premier du texte coordonné joint aux amendements parlementaires du 24 novembre 2016: « Le Chef de l’État ne peut fixer des élections anticipées que si la Chambre (…) soit rejette une motion de confiance au Gouvernement, soit adopte une motion de censure à l’égard du Gouvernement. En cas de démission du Gouvernement, le Chef de l’État après avoir reçu l’assentiment de la Chambre (…) fixe des élections anticipées », et art. 91 : « (1) le Premier ministre engage la responsabilité du nouveau Gouvernement à l’occasion de la présentation du programme gouvernemental devant la Chambre des députés. / (2) Le Premier ministre peut, après délibération du Gouvernement en conseil, engager la responsabilité du Gouvernement devant la Chambre des députés à l’occasion du vote d’un projet de loi ou d’une déclaration gouvernementale. / (3) La Chambre des députés peut engager la responsabilité du Gouvernement par une motion de censure. / (4) Lorsque la Chambre des députés refuse la confiance au Gouvernement, le Premier ministre présente la démission du Gouvernement au Chef de l’État. / (5) Le Gouvernement démissionnaire continue provisoirement à conduire la politique générale. »

14 Cf. voir note en bas de p. 27, texte de l’article article 91(4) du texte coordonné joint aux amendements parlementaires du 23 novembre 2016

15 Cf. avis précité du 6 juin 2012 (p. 69 et 70)

16 La qualification est empruntée à Charles-Léon Hammes, « Le Gouvernement du Grand-Duché, essai sur son évolution ». In: Le Conseil d’État, Livre jubilaire publié à l’occasion du centième anniversaire de sa création, 1957 (p. 472)

17 Pour le texte proposé, voir note en bas de
page n° 27.

Paul Schmit
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