« CSV und DP : Nationalismus vor Vernunft », est intitulé l’édito du Wort de ce mardi. Le correspondant bruxellois y critique la crispation autour du principe de l’unanimité : « Kurzfristig zementiert das Großherzogtum dadurch sein Image als Steuerparadies [...]. Und langfristig bleibt die für Luxemburg so lebenswichtige EU dadurch schwach. » Cette ambivalence entre solidarité européenne et égoïsme national n’est pas nouvelle. Dans son analyse des programmes électoraux des années 1970 et 1980 (parue dans la revue d’histoire Hémecht), l’étudiante trévoise Viola Merten pointe « a certain tension between the pursuit of Luxembourg’s national interests (i.e. ensuring the most attractive conditions for the financial centre) and the need to present Luxembourg as a reliable partner in Europe. » Le CSV y apporte toujours la même réponse : Il construit une convergence des intérêts. Il faudrait éviter une « fuite des capitaux en-dehors de l’UE », en renforçant le marché intérieur, tout en évitant une harmonisation fiscale. Dans l’édition 2024 de son programme électoral, le CSV plaide ainsi pour un « continent de compétences » en matière financière (avec le Luxembourg au centre). Quant au DP, son programme européen fait presqu’entièrement l’impasse sur l’épineux sujet de la place financière.
L’ADR n’a pas besoin de s’encombrer de telles bienséances. Le centre financier « doit être toujours défendu de manière véhémente », lit-on dans son programme européen. Déjà durant la campagne des législatives, le parti faisait l’apologie d’une place amorale, ni « surchargée » par des revendications environnementales, ni « politisée » par des « sanctions contre-productives ». Un jusqu’au-boutisme qui se révélerait rapidement comme suicidaire s’il était mis en pratique.
Dans son analyse, l’historienne Viola Merten pointe la rapidité avec laquelle le LSAP a embrassé la place financière naissante. En 1974, les socialistes fustigeaient encore le rôle du Luxembourg comme « Steuerparadies für das internationale Kapital ». Cinq ans plus tard, ils plaidaient pour une « Konsolidierung und den weiteren Ausbau des Finanzplatzes nicht zuletzt im Interesse der Arbeitsplatzbeschaffung ». Relégué dans l’opposition, le LSAP vient d’effectuer un revirement à gauche. Son manifeste pour les Européennes est très court, mais il ne ménage ni la clientèle UHNWI du private banking (« un impôt spécial pour les ultra-riches »), ni le business de l’optimisation fiscale (les sociétés seraient à imposer de manière « plus équitable et efficace »), ni l’industrie des fonds. Le LSAP revendique ainsi une taxe sur les transactions financières, et ceci au niveau européen.
C’est également ce que demande Fokus, le parti de l’ex-eurodéputé Frank Engel, qui y avait longtemps été opposé. L’élue européenne Monica Semedo a, elle aussi, « changé d’avis », notamment sur la question de l’unanimité. Tant qu’elle représentait le DP, elle aurait « voulu rester en ligne » avec son parti et son ministre des Finances, explique Semedo au Land. Depuis sa démission et son repêchage par Fokus, elle serait favorable (« ou du moins pas opposée ») à la majorité qualifiée, notamment sur les questions fiscales. Les Pirates s’affichent très circonspects : Leur programme ne dit pas un mot sur le principe de l’unanimité. (Les trois députés pirates se sont d’ailleurs abstenus lors du vote sur la motion de l’ADR ; lire page 9.) Ils sont pour la taxe Tobin, mais uniquement au niveau de l’OCDE. Ils sont pour plus de « coordination » fiscale, mais contre une harmonisation des taux d’imposition.
Le programme de Déi Lénk se lit comme une diatribe contre le modèle d’affaires grand-ducal : « Il y a un cancer qui ronge les fondements de la solidarité de l’Union : la concurrence fiscale ». Le parti appelle à « supprimer » la règle de l’unanimité, afin de permettre à l’UE de « lutter contre les insidieux dispositifs des paradis fiscaux », parmi lesquels Déi Lénk semble compter le Luxembourg. Durant les « roaring 80ies », les Verts avaient été les seuls à maintenir une analyse internationaliste et tiers-mondiste de la place bancaire. (Alors que le KPL avait adopté un prisme nationaliste, défendant « les intérêts de notre pays » contre des « mesures dictées de l’extérieur »). Entretemps, Déi Gréng se sont assagis et mettent la finance verte et « les banques durables » dans la vitrine. Grâce à la « transparence », le parti espère réduire « l’attractivité des services financiers dans le domaine des énergies fossiles ». Sa représentante à Bruxelles et Strasbourg, Tilly Metz, estime que le principe de l’unanimité devrait être « repensée » : « Cela ferait du bien à l’image du Luxembourg. On ne peut pas freiner tout le temps des quatre fers. » La psychopédagogue recommande au gouvernement d’adopter une attitude « plus zen ».