Faute de temps pour des rencontres avec les partis, les lobbies présentent leurs catalogues de revendications sur papier, espérant qu’ils trouveront un écho dans les programmes des partis d’ici un mois

Fast Forward

d'Lëtzebuerger Land vom 16.08.2013

Il en arrive au moins un par jour. Parfois même deux, trois, voire plus : chaque association, chaque groupe de pression, chaque lobby publie en ce moment ses recommandations et revendications en vue des élections législatives du 20 octobre, des classiques Mouvement écologique et Fédération des artisans avec leurs dizaines de pages, en passant par les plus exotiques Ordre des architectes, Forum Culture(s) ou encore Association des victimes de la route jusqu’aux nouvelles initiatives d’entrepreneurs comme 5 vir 12 et 2030.lu. Leur but : essayer d’influencer les programmes électoraux des partis, qui se trouvent en phase d’écriture et devront être achevés d’ici un mois seulement. Peut-être que les longs processus de consultation mis en place par certains d’entre eux, comme notamment 5 vir 12 ou 2030.lu, se substituent même au traditionnel dialogue interne dans les partis, en amont de l’adoption de leurs programmes, qui disparaît au fur et à mesure que la politique se professionnalise. C’est désormais dans ces documents-ci que l’on trouve les voix des militants pour l’introduction de l’espéranto ou du Wifi gratuit qui, jadis, prenaient la parole lors de chaque congrès un tant soit peu démocratique.

Ceux qui, comme le directeur de l’Automobile Club Daniel Tesch au DP ou plusieurs membres de 5 vir 12 sur différentes listes (DP, Déi Gréng, LSAP, voir pages 2-3), se sont même portés candidats, essayant de faire passer leurs idées de l’intérieur, soulignent lourdement que par ailleurs, leur club est apolitique. Pourtant, le passage du lobbying en politique est un parcours classique, les exemples sont pléthoriques : Lucien Thiel (de l’ABBL au CSV), Fernand Kartheiser (de l’Association des hommes Hodilux à l’ADR), Paul Hammelmann (de l’Association des compagnies d’assurances au LSAP), John Castegnaro (de l’OGBL au LSAP), Jean et Marc Spautz, Ali Kaes et Robert Weber (du LCGB au CSV) ou Claude Thurmes (du Mouvement écologique aux Verts)...

Ces catalogues de revendications et de propositions, qu’ils fassent une centaine de pages comme celui du Mouvement écologique ou de 2030.lu, ou seulement trois ou quatre, comme celui de l’Association des athées, humanistes et agnostiques (Aha) ou de l’Association des victimes de la route (AVR) se lisent surtout aussi comme un bilan peu glorieux des manquements, à leurs yeux, de la majorité CSV-LSAP de la législature écoulée. Voire des deux mandats passés. Les thèmes récurrents les plus souvent évoqués sont d’ailleurs ceux qui, d’après les annonces des partis, constitueront l’épine dorsale de leurs propres programmes : la politique du logement, l’aménagement du territoire et la mobilité, l’éducation et l’emploi, la simplification administrative, la sélectivité des transferts sociaux...

Les sectoriels L’égalité des chances, la sécurité routière, la séparation de l’Église et de l’État ou encore les droits des consommateurs sont les principales revendications des petites associations sectorielles comme le Conseil national des femmes (CNFL), l’AVR, Aha ou l’Union luxembourgeoise des consommateurs (ULC) respectivement. Souvent, outre l’augmentation des aides financières pour leur club, ils demandent même l’instauration d’un ministère propre à leur terrain d’action, comme un ministère délégué aux consommateurs (ULC), qui fait écho au ministère de la modernisation de l’État demandé par la Fédération des artisans. Le CNFL (qui ne représente pas une minorité, mais la moitié de la population) regrette le peu d’action du gouvernement Juncker-Asselborn II en faveur des femmes et de l’égalité des chances, notamment le fait que ni l’assurance-pension individualisée, ni le splitting en cas de divorce, promesses de longue date des socialistes, n’aient été réalisées, et souligne une nouvelle fois sa position abolitionniste en matière de législation sur la prostitution. L’Aha, une association qui monte, demande une séparation nette entre l’État et l’Église, que ce soit en abolissant le financement public des cultes, en établissant une politique claire de réaffectation des édifices religieux qui ne servent plus, en promouvant les cérémonies civiles ou en introduisant un cours unique d’éducation aux valeurs... Elle constitue la mauvaise conscience du LSAP en la matière. L’association des victimes de la route et l’Automobile club se rejoignent sur les demandes d’une meilleure politique de mobilité individualisée – plus de routes et des routes plus sures, en gros.

La fronde des patrons Alors que les syndicats ne se sont pas encore officiellement positionnés, les patrons ont pris les devants : Fédération des artisans, Chambre de commerce (avec 2030.lu), Confédération du commerce et 5 vir 12 montent le ton dans leurs revendications de libéralisation de l’État (flexibilisation du temps de travail et des salaires surtout). Étonnamment, tous demandent – en parallèle à un cadre normatif allégé, des procédures administratives facilitées, des transferts sociaux plus sélectifs, des actions directes pour le logement (notamment social ou locatif) ou une éducation plus proche de l’économie – aussi l’introduction du droit de vote pour les étrangers aux législatives. Ou, pour le dire avec la Fédération des artisans : « Alors que la vie économique du pays s’est internationalisée, les forces politiques ont été de marbre en matière de mise en œuvre d’une véritable politique d’intégration et de langues ». L’« étranger », aujourd’hui, n’est plus seulement l’underdog, l’ouvrier peu qualifié qu’on fait venir pour les basses besognes, mais aussi et de plus en plus souvent le jeune patron hyper-dynamique qui lance sa start-up pour raisons fiscales au Luxembourg ou le directeur de banque détaché par sa maison-mère pour gérer la filiale luxembourgeoise. Ici, le patronat rejoint le Mouvement écologique, dans son chapitre sur la participation politique. Le ministre de l’Économie Étienne Schneider, sans encore être officiellement tête de liste des socialistes aux législatives, avait étonné son monde en lançant le pavé du droit de vote des étrangers dans la marre au début de l’année. Comme quoi, il sait très bien quel électorat il doit conquérir pour avoir une chance contre le CSV et Jean-Claude Juncker.

Ce même Étienne Schneider a d’ailleurs déjà repris à son compte un certain nombre d’autres propositions des organisations patronales, comme celle, tout aussi inattendue, lancée lors de son investiture, d’une ouverture radicale des périmètres d’agglomération – même la Fédération des artisans ne va pas aussi loin et ne demande qu’une simple étendue de ces périmètres. Son annonce était d’autant plus étonnante qu’elle ne fut pas vraiment coordonnée au sein du parti, et surtout, semble peu compatible avec la prise de conscience écologique qu’a connue la société luxembourgeoise ces dix dernières années.

Les organisations patronales mettent en outre en garde contre la réforme fiscale annoncée par les partis de la majorité, notamment l’augmentation de la TVA prévue pour la prochaine législature, au moins par le CSV. Car si « le pouvoir d’achat constitue le carburant de la consommation » comme l’affirme la Confédération du commerce (CLC), il faut surtout éviter de l’étrangler en menant « une politique en matière de TVA prudente et ciblée, à mener en étroite collaboration avec le secteur ». La Chambre de commerce est du même avis côté impôts : « L’alourdissement des impôts sur le revenu des personnes physiques devrait être maintenu à un minimum, note son initiative 2030.lu. De même, l’augmentation de l’impôt des sociétés risquerait d’entraîner une dégradation de l’environnement compétitif de nos entreprises, ce qui pourrait conduire à un essoufflement de la croissance et à une perte nette d’emplois. » Avant de mettre en garde : « L’accroissement des taxes et impôts ne doit donc pas constituer le principal outil pour résoudre le défi financier auquel le Luxembourg est confronté. »

josée hansen
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