Chroniques de la Cour

It’s politics, stupid !

d'Lëtzebuerger Land du 18.12.2020

L’honneur est sauf. Le gouvernement slovaque respire. À force d’essuyer des échecs, il commençait à douter. « On est content », dit un haut fonctionnaire. Miroslav Gavalec, juge à la Cour suprême slovaque, va intégrer la Cour de justice européenne en remplacement de son compatriote Daniel Svaby. Il va y retrouver d’autres juges de cours suprêmes au sein de la cour suprême européenne. Jusqu’ici, tout va bien. Là où cela se gâte, c’est au Tribunal de l’UE. Le même comité de sélection européen qui a accueilli Miroslav Gavalec a, en même temps, rejeté la cinquième candidature consécutive slovaque au poste de juge au Tribunal. Du jamais vu dans aucun pays de l’UE. La nouvelle candidate était Martina Janosikova. Professeure à la faculté de droit d’une des universités de Kosice, référendaire pendant cinq ans au cabinet de l’avocat général à la Cour de justice européenne Jan Mazak et coauteure avec celui-ci de savants ouvrages sur le droit européen, elle a été recalée. Ce comité a eu pour elle des mots jugés si durs que la version officielle des autorités slovaques donnée à la presse a été édulcorée. Dans son rapport, le comité 255 - en référence à l’article du Traité de l’UE qui l’a créé - estime que la candidate n’a pas « les capacités juridiques spécifiques requises » et qu’en dépit de son expérience comme référendaire à la Cour « elle présente des lacunes importantes » dans les domaines de compétences du tribunal. Les Slovaques vont devoir trouver un(e) autre candidat(e). Ce sera difficile. Déjà Martina Janosikova, comme Miroslav Gavalec à la cour, avait été la seule candidate à ce poste, vacant depuis 2016. Certains attribuent ce peu d’enthousiasme aux critères de sélection slovaques plus strictes que dans les autres pays. Quoiqu’il en soit, les quatre candidats précédents se sont cassés les dents. La première, probablement à cause d’un français hésitant, le second assurément du fait de ses liens politiques jugés douteux, le troisième, fonctionnaire du greffe de la Cour des droits de l’homme, du fait d’un CV trop léger. Quant au quatrième candidat, un juge à la Cour constitutionnelle slovaque, on ne connaîtra peut-être jamais les véritables motivations du comité de sélection européen.

Ce dernier a commencé ses travaux en 2010. L’objectif était de contrer les dérives des gouvernements qui envoyaient leurs amis politiques trop souvent incompétents. Ses membres, renouvelés tous les quatre ans, sont essentiellement des hommes, anciens juges ou magistrats en fonction. Le comité 255 publie régulièrement un rapport d’activité. Dans le dernier, celui de 2019, il dit attacher de l’importance à une « procédure nationale de sélection ouverte, transparente et rigoureuse menée par un comité (national) indépendant et impartial ». Mais, ajoute-t-il, l’absence de procédure d’évaluation indépendante, en soi, n’est pas un handicap et ne peut « en aucun cas » porter préjudice à un candidat. Une formule interprétée comme laissant une marge de manœuvre aux gouvernements qui ont juste à se préoccuper d’envoyer des amis politiques assez compétents pour pouvoir franchir l’obstacle que constitue le comité. La Cour, lorsqu’elle est interrogée sur ce point particulier, admet que les nominations des juges qui la composent sont politiques, mais assure que son mode de fonctionnement (vote des arrêts en délibéré à la majorité des juges qui composent une chambre) en annule les effets néfastes. Le comité donne ensuite les critères, très vagues, qu’il applique, dont l’un des plus importants est la « grande capacité d’analyse et de réflexion sur les questions relatives de droit de l’Union ». Il précise aussi que ses rapports d’évaluation « sont exclusivement destinés au gouvernement et ne peuvent être révélés au grand public directement ou indirectement ». Une hérésie selon des ONG spécialisées dans la transparence, les juges étant des personnages publics. Refuser au public les raisons pour lesquelles un juge est en poste, au nom de la protection des données personnelles de l’intéressé, est abusif, le citoyen ayant le droit de connaître les mérites de ceux qui les jugent. Elles ont porté plainte auprès de la Médiatrice européenne qui les a déboutées.

Pour l’échéance d’octobre 2021, le comité 255 se penche actuellement sur la candidature de nouveaux candidats ou sur celle des juges qui veulent rester pour six ans encore, avec la permission de leur gouvernement, à la Cour de justice. Ce renouvellement vise la moitié des 38 juges et avocats généraux, l’autre moitié a rendez-vous en 2024. Mais en septembre 2022, la moitié des 54 juges du tribunal comparaîtront devant lui, l’autre moitié en 2025. Entretemps, il y aura les renouvellements pour démissions, décès ou montées d’un juge du Tribunal à la Cour, jugée plus prestigieuse, lorsqu’un poste s’y libère. Du travail en perspective dans un contexte qui change au fil des années. Plus les sélections nationales deviennent ouvertes, plus elles attirent les médias et plus le travail du comité est commenté avec son lot de comparaisons entre les mérites de ceux qu’il a recalés et de ceux qu’il a acceptés, mettant à jour, le cas échéant, ses contradictions.

Dominique Seytre
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