Hécatombe dans les pays de l’Est. Entre la Slovénie, la Lettonie et la Slovaquie, et en quelques années, une demi-douzaine de candidats a été refusée pour un poste de juge à la Cour de justice européenne. Les derniers recalés sont une Lettone et un Slovène. Certains peuvent se demander s’il n’y aurait pas une fatalité qui frappe les pays ex-communistes qui ont adhéré à l’Union Européenne à partir de 2004. Le site de la Cour constitutionnelle lettone présente la juge Daiga Rezevska, née en 1977, professeure de droit et « auteure de nombreuses publications ». Cela n’a pas suffi pour convaincre les membres du comité 255, ce panel européen chargé par le traité UE d’évaluer les compétences des candidats. La réaction du gouvernement letton est significative. D’abord le silence du Ministère de la justice contacté à Riga pour confirmation. Puis l’explication de la représentation diplomatique lettone auprès de l’UE à Bruxelles pour expliquer l’absence de réponse gouvernementale. « Vous pouvez imaginer que l’affaire comporte en elle-même un degré élevé de sensibilité et d’impact, non seulement globalement, mais pour chacun de nos candidats, entraînant des conséquences dans leur carrière. »
Admettre qu’un refus européen peut nuire à la carrière d’un juriste ou lui porter préjudice est un argument connu. Le comité 255 et le Conseil de l’UE, qui lui sert de secrétariat, l’ont invoqué eux-mêmes pour ne pas rendre public leurs avis. L’argument a été combattu par une ONG spécialisée dans la transparence et une clinique du droit : connaitre le contenu des avis permettrait aussi de comprendre comment certains candidats ont pu franchir la barre et devenir juge, des personnages publics dont le citoyen européen est en droit de connaitre publiquement les qualités. Le grand degré de sensibilité invoqué pour refuser tout commentaire est aussi familier. Certains pays en font une affaire d’honneur, d’autres, plus fatalistes, prennent note et cherchent un autre postulant. Aucun n’a pour l’instant contester les avis du comité qui pourtant ne sont pas contraignants.
Cette opacité dont fait preuve la Lettonie tranche avec la transparence de la Slovénie, dont la procédure de sélection des candidats a pour point d’orgue le passage au Parlement slovène devant lequel ils doivent obtenir un certain nombre de voix. Un professeur associé de la Faculté de droit de Ljubljana, Klemen Podobnik, avait passé le cap parlementaire mais le comité 255 n’en a pas voulu. La Slovénie est actuellement dans la position inconfortable de devoir trouver trois juges. Un pour le Tribunal européen qui se voit doté depuis 2016 de deux juges par pays. Le second pour ce même tribunal, en remplacement d’un juge en place qui a explosé en vol après les révélations publiques de sa référendaire et maitresse sur ses violences présumées. Le troisième sera pour la Cour de Justice. Marko Ilesic, arrivé en 2004, grand amateur de football, juge à la cour d’appel de la Fifa et de l’UEFA en son temps, raccroche. Interrogés, des juristes des pays de l’Est présentent quelques pistes de réflexion sur les raisons pour lesquelles le recrutement serait plus difficile chez eux. D’abord, certains pays ont mis sur pied une procédure de sélection transparente, ce qui les « désavantage » par rapport aux vieux pays de l’UE qui n’en ont aucune. L’exigence de connaitre le français, langue de travail de la Cour peut aussi constituer un obstacle. Pour des raisons linguistiques évidentes, les Roumains seraient moins handicapés. D’autres pays, comme la Pologne, peuvent avoir des affinités culturelles ou historiques avec la langue française. Mais les pays baltes, autre exemple, « sont très loin de la sphère de la francophonie », explique l’un deux.
Une autre raison invoquée est la tradition juridique. Un quadragénaire estime que sa génération est la première à avoir vraiment étudié le droit européen en tant que droit autonome. La génération d’avant s’est certes formée au droit l’Union, mais elle ne peut se détacher « de certaines normes gravées dans la pierre » et garde ses distances. Enfin, il y a la taille du pays. C’est du bon sens. Un petit pays a moins de personnel qualifié. Toutes zones géographiques confondues, le Luxembourg peut toutefois servir de contre-exemple, même s’il a été servi par une série de circonstances particulières. Marc Jaeger, juge, président du Tribunal européen puis juge à nouveau, est stable depuis 1996. Dean Spielmann, président de la Cour des Droits de l’Homme à Strasbourg, était disponible lorsqu’il s’est agi de trouver un second juge au Tribunal à la suite de la réforme de 2016. Pour la Cour de justice et après le passage de Romain Schintgen (1996-2008), le gouvernement luxembourgeois a eu recours à son personnel politique. Un Maréchal de la Cour, Jean-Jacques Kasel (2008-2013) et un ministre de la Justice, François Biltgen (2013- ?) qui voulait « une belle conclusion à (sa) carrière ».